C’est une vérité universellement reconnue qu’il est impossible de choisir un seul et unique film à placer au-dessus de tout autre. Il n’était donc pas possible de le faire ici, en revanche, je peux affirmer que Brooklyn Affairs est l’un des meilleurs films de ces dernières années. De très bons films divers et variés sont sortis en 2019, dont Rocketman, Knives Out ou encore La Belle Époque, mais, en tant que film néo-noir, celui-ci réussit le pari de présenter ce genre et, tout pariculièrement, l’esthétique qui le caractérise tant, à une toute nouvelle génération. Une esthétique généralement connotée comme quelque peu désuète, synonyme de l’époque lointaine des États-Unis des années 1950.
Un projet de longue date
Edward Norton a choisi de rendre hommage au film noir au travers d’un projet personnel entamé suite à sa lecture du livre éponyme publié en 1999. Il a pris le parti de réaliser l’histoire dans laquelle Lionel, un jeune homme handicapé au quotidien par le syndrome de Tourette, travaille au sein d’une agence de détectives privés située à l’épicentre d’un New York City immoral, débordant de secrets, de complots politiques et de révoltes. Après une filature manquée à la suite de laquelle son mentor perd la vie, Lionel décide de mener l’enquête, au mépris de ceux qui ne l’en croient pas capable. Ses recherches le mènent à des découvertes qui l’enfoncent toujours plus loin dans un monde d’implacables réalités, délibérément obscurcies aux yeux des citoyens.
Portraits de sous-estimés
Réputé pour son investissement professionnel et personnel dans ses rôles de films indépendants, de The Incredible Hulk à Moonrise Kingdom en passant par Fight Club, Edward Norton parvient à donner vie à Lionel en lui insufflant détermination et sagacité. On peut comparer sa performance à celle mise en valeur au travers d’un autre personnage souffrant de troubles mentaux joué par un autre acteur de renom : Joaquin Phoenix. Sorti au cinéma la même année que Brooklyn Affairs, Joker est un film qui place le célèbre personnage de bande dessinée dans un scénario réaliste qui fournit une analyse sociopolitique de la société américaine des années 2010, vu au travers de la vie quotidienne d’un homme isolé, incompris des autres et de lui-même. Alors que Lionel demeure sans conteste du bon côté de la loi, ce n’est pas le cas du personnage de Joker. Grâce à sa performance, Joaquin Phoenix parvient à nous faire ressentir de l’empathie pour lui tout au long du film, et ce malgré son adoption croissante d’actes choquants et tabous, tels la perte de contrôle de soi et l’appel à la violence. Dans Brooklyn Affairs, Willem Dafoe (Paul), quant à lui, saisit l’opportunité de mettre en valeur son registre moins connu portant sur la subtilité, l’effacement et la soumission face à l’influence de plus imposant que soi. Alec Baldwin (Moses) est excellent dans son jeu d’acteur d’homme d’affaires indomptable, prêt à tout pour achever ses ambitions.
Le contraste saisissant entre pouvoir et misère
On est peu à peu entraîné dans les méandres sombres et tortueux des liens qui les unissent. Ce cheminement est très bien reflété dans les choix de lieux dans lesquels les scènes se déroulent ; la juxtaposition des immeubles partagés contre les extravagants manoirs n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il fait écho au cheminement du film de Christopher Nolan Batman Begins sorti en 2005. Notamment à la scène dans laquelle l’amie d’enfance de Bruce Wayne, Rachel, lui fournit la motivation nécessaire pour débuter son travail sous l’identité de Batman. Elle le force à quitter les quartiers huppés et de la suivre dans les bas-fonds de Gotham pour se rendre compte de la misère qui y pullule et à quel point l’absence d’un quelconque ordre contribue à priver la population de tout espoir. Ce sentiment est présent dans la volonté de Lionel de trouver justice pour son mentor assassiné, mais également dans les valeurs incarnées par les autres personnages. Alors que Moses représente, sans aucun doute possible, le pouvoir de l’argent, Laura, finement jouée par l’actrice Gugu Mbatha-Raw, elle, est la porte-parole du pouvoir de la liberté d’expression. À renfort de multiples indices visuels, les talents combinés de cet ensemble d’éléments font ressortir de manière naturelle une des trames principales du film : la disparité et l’inégalité des chances entre les différentes classes sociales.
L’enquête que suit Lionel nous mène au gré des rencontres et des révélations qu’elles enclenchent pour enfin découvrir dans toute sa complexité le cœur de l’histoire, soit le conflit entre censure et vérité, mensonge et réalité.