Critique (5)

Marcel et Monsieur Pagnol : Telle est la vie des hommes

Marcel et Monsieur Pagnol est le nouveau film d’animation de Sylvain Chomet, dont la sortie est prévue le 15 octobre 2025. Le scénario nous plonge dans les souvenirs de l’un des plus célèbres auteurs français, au gré de ses rencontres, de ses inspirations, de ses échecs et de ses succès, de ses amitiés comme de ses amours. L’occasion d’explorer le parcours d’un homme dont on connaît le nom des plus grandes œuvres, mais pas toujours aussi bien les éléments biographiques. Côté doublage, on y retrouve entre autres les méconnaissables, mais non moins talentueux Laurent Laffite, Géraldine Pailhas, Anaïs Petit, Thierry Garcia et Vincent Fernandel. Un petit bijou de cinéma qui, en dépit des apparences, est loin d’être réservé à un jeune public, et surtout, est idéal pour (re)découvrir Marcel Pagnol. 

Le dessin se présente d’office comme très personnel, avec un parti pris intéressant, et des couleurs qui resteront vives du début à la fin. Chaque plan laisse apparaître une foule de détails sur lesquels on prend plaisir à s’attarder. Quelques clins d’œil, quelques portraits, des références évidentes, mais pas moins réjouissantes, se plantent dans le cadre qui voit évoluer les protagonistes. C’est une patte unique, à peine comparable à ce qui se fait en matière d’animation, dans nos frontières et au-delà. L’esthétique détonne mais séduit, ose en accentuant efficacement les traits de certaines figures bien connues. Elle s’approprie son sujet avec brio, donne toujours matière à s’étonner, à se réjouir, ou à admirer tout simplement la finesse des croquis. Côté nuancier, la palette se veut tout aussi forte, mais pas pétante. Il y a juste le nécessaire de désaturation pour nous faire remonter plusieurs décennies en arrière, jetant un voile discret et chaleureux sur l’image. 

En outre, il ne faut que quelques minutes pour entrer dans l’histoire, pour appréhender le récit qui s’ouvre sur un Pagnol vieillissant, confronté à un voyage antérieur comme intérieur, malgré sa mémoire qui lui fait défaut. Aidé par son alter ego enfant, nous basculons rapidement avec lui, ramenés dans un passé qui ne sent pas la naphtaline pour autant. 

©WildBunchDistribution

Tout de suite, l’esprit du Sud chante et s’impose. On parle bien sûr du sud-est, celui qui a si bien réussi via Pagnol à créer une brèche dans le patrimoine intellectuel français, longtemps resté l’apanage d’un certain cercle parisien. Pas besoin de redouter le cliché ni l’exagération permanente. Le fil rouge proposé par Sylvain Chomet est juste, respire une forme d’authenticité méridionale qui fait du bien, à coup sûr évocatrice tant elle s’est enracinée dans notre héritage littéraire et cinématographique. Cette dualité entre le Nord et le Sud, entre la capitale et la province, fait partie des nombreuses thématiques évoquées par ce portrait particulier. Cet accent du Midi, si souvent caricaturé, pastiché, moqué, voire méprisé, imprègne le film. À l’heure de la mondialisation qui gomme les inflexions régionales, qui uniformise toutes les pratiques — la consommation de masse, nourriture ou habillement, la revendication d’une vision du monde et de la vie —, quelques œuvres, à l’instar de Marcel et Monsieur Pagnol, entrent dans une lutte pacifiste et bienveillante pour se remémorer l’importance de préserver les diversités. Cette confrontation entre deux cultures n’est pas sans rappeler l’Histoire même de la France, depuis des siècles, toujours en proie à ce déchirement ayant séparé la langue d’oc de la langue d’oïl. Chomet souligne la raideur caractéristique de Paris et sa violence à l’égard de ceux qui viennent de trop loin pour embrasser d’instinct les us et coutumes ; quand même la langue devient une barrière infranchissable, des deux côtés ; quand deux natifs des Bouches-du-Rhône ne parviennent pas à se faire comprendre, et qu’en face, le Parisien fatigué n’hésite pas à faire claquer le verbe face aux “pécores” déboussolés. Et si le vocabulaire a changé de nos jours, la barricade est toujours là, plafond de verre à la fois déplorable et pourtant témoin de ces identités patrimoniales fortes, que même le capitalisme galopant n’a pas encore réussi à saper définitivement. 

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Avec un lyrisme maîtrisé et enthousiasmant, Marcel et Monsieur Pagnol délivre un hymne à la vie et à son tourbillon. Les couleurs chaudes sont partout : dans les décors, sur les costumes, mais aussi au cœur des paysages montagneux et, surtout, dans l’accent rocailleux des personnages. Elles parviennent à se tailler une belle place dans la grisaille du nord. Ces couleurs amènent régulièrement le sourire aux lèvres des spectateurs, et les rires ne sont pas rares dans la salle. L’optimisme reste chevillé au corps d’un Pagnol poussant ses rêves toujours plus loin, et qui nous emporte avec lui, par ses espoirs contagieux. Le visionnage inspire une grande fraîcheur qui fait du bien, même si la tragédie n’est pas exempte de la narration. On rit, mais on pleure aussi, au gré des péripéties, des morts annoncées comme de celles qu’on n’attendait pas. Une tendresse assumée se dégage de l’ensemble, nécessaire, et qui nous rappelle à l’importance primordiale des rapports humains, aujourd’hui bien plus distanciés par les nouvelles technologies. Plus qu’une pépite nostalgique, le long-métrage nous renvoie à ce qui fait le sel de la vie et à ce qui nous aide à nous y raccrocher, surtout pendant les heures sombres. 

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Marcel et Monsieur Pagnol ne se contente pas de dérouler les lignes habituelles du biopic. Par sa forme originale et touchante, il propose toute une bobine de réflexions dont les spectateurs n’auront qu’à tirer un ou plusieurs fils, la dévidant à loisir dans toute sa complexité. Et ils auront largement de quoi choisir : entre la question de la difficulté de créer et d’écrire, l’importance de conserver une foi tangible en ses rêves, la pulsion folle de “monter à Paris” en abandonnant repères, famille et amis, ou encore le deuil — tous les deuils. Confronter le regard de l’enfant à son alter ego adulte, tout en aidant à compléter le puzzle de son existence, était sans doute le meilleur départ possible. Le réalisateur propose un portrait doux-amer, et révèle à quel point cette part d’innocence est importante à chérir. Elle nous rappelle au vrai, à l’essentiel, et à l’amour des autres, à l’amour du théâtre comme du cinéma, l’amour de l’écriture, des livres, des animaux, du temps, du monde. Le film parle beaucoup, mais il n’est jamais vainement bavard. Il rend un hommage sincère et particulièrement réussi à un très grand auteur populaire, un homme qui se consolait en écrivant, et qui parlait aux siens. Aux vivants et aux morts. 

“Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants.”

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