Dans le cadre de la onzième édition du FIFFH, nous avons eu l’opportunité de rencontrer un jeune réalisateur inspiré, du nom de Pierre-Yves Bezat, et un acteur de talent qu’on ne présente plus : Patrick Chesnais. Tous les deux venaient présenter le court-métrage : Le Jour où le Titanic a coulé, ou comment J. P. Morgan, financier américain et propriétaire de l’infortuné paquebot, a échappé à la mort en se trouvant dans un palace d’Aix-Les-Bains plutôt qu’à bord. L’occasion d’échanger sur le cinéma d’époque tout en confrontant le regard de plusieurs générations de cinéphiles !
Comment le projet a-t-il débuté, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans ce court-métrage, et comment M. Chesnais s’y est-il greffé ?
M. Bezat : Le projet est issu d’une histoire vraie qui s’est vraiment déroulée dans ce palace du Splendid. C’est vrai que, quand on me l’avait racontée, et en regardant les photos existantes et peu nombreuses de J.P. Morgan à l’époque — celles prises à la fois sur place et en-dehors de l’hôtel —, on arrivait quand même à discerner l’autorité qui se dégageait de ce personnage. Il y a même un cliché qui a été pris, où on le voit en train de frapper le photographe avant que la photo soit prise. En réfléchissant à tout ça, à la fois à la ressemblance physique, mais aussi à cette autorité et au charisme qu’imposait un peu ce financier — qui est celui qu’on voit à la toute fin, mais autour duquel le film se déroule —, j’ai proposé le rôle à Patrick Chesnais, qui m’a fait l’amitié de l’accepter.
M. Chesnais : Deux choses : d’abord, j’entretiens des relations amicales avec Pierre-Yves, et d’autre part, les histoires de palace me plaisent beaucoup. Parce que c’est une unité de lieu, et qu’il y a plein de choses différentes dans les palaces. Il y a des endroits extrêmement luxueux, et d’autres plus modestes, où les gens travaillent, préparent, où les gens nettoient. Il y a les cuisines, il y a les couloirs, les salles de réunion, les salles de sport, les piscines, les petites chambres de bonnes où dorment les employés, il y a l’accueil, le lobby, il y a des salons… C’est un endroit où se croisent et se décroisent plein de gens et beaucoup de récits. Il y a plein d’histoires mystérieuses qui se passent derrière les portes des chambres ou des suites. Et celle-là en est une. On est tous très sensibles vis-à-vis de l’histoire du Titanic, par tous les films qui ont été faits, par le mythe et toute la légende… Alors quand Pierre-Yves m’a proposé d’interpréter le big boss du Titanic qui, pour des raisons inavouables, va voir sa maîtresse, ou du moins se retrouve dans ce palace à Aix-les-Bains avec elle au lieu d’être sur son bateau et que le bateau coule… C’est évidemment très tentant.

Vous avez rendu un hommage assez joli, très pétillant et fleuri à la Belle Époque, alors qu’on se la figure souvent par des images en noir et blanc ou avec des couleurs assez cuivrées ou vert-de-gris. L’impression que ça donne, c’est que, déjà en ces temps-là, la vie continue, même après une tragédie comme celle du naufrage. Comment avez-vous abordé cette période si particulière ?
M. Bezat : Concernant le côté très poussiéreux dont vous parliez, c’est justement pour ça que l’ouverture est vraiment en noir et blanc et que, tout d’un coup, on passe à la couleur. Il y a des choses qui sont à la fois très ancrées dans l’époque (les costumes, les décors, etc.), mais, en même temps, la mise en scène se veut volontairement assez branlante, surtout au début où la caméra bouge un peu dans tous les sens. Elle se stabilise au fur et à mesure quand on arrive dans la suite de J.P. Morgan, et c’est la raison pour laquelle, tant au niveau des musiques, que de la mise en scène, que du montage, l’ensemble se voulait quand même moderne et hyperactif dans les premières minutes, avant de se calmer un peu vers la fin. L’effet est justement là pour désamorcer le côté un peu plan-plan, faussement ennuyeux de cette époque-là.
Oui c’est très enlevé, en fait ! Et même votre personnage à vous, monsieur Chesnais, est très vibrant.
M. Chesnais : C’est un personnage tragique, c’est ce qui m’a plu. Pourquoi ? Parce qu’il ne devrait pas être là. En même temps, s’il était sur son bateau, il serait peut-être mort. Mais ce paquebot qui a coulé avec plus de 1500 personnes, c’est une tragédie colossale, universelle. Et J.P. Morgan est un personnage très complexe : sa façon de réagir, c’est parce qu’il est dans la douleur, dans le refus. Mais il ne parle pas de ça. Il parle de la vie, de la liberté. Il donne de l’argent à ce groom qui va pouvoir en faire quelque chose de bien. Il va lui faire peur, il va jouer, déboucher dans un claquement sonore une bouteille de champagne là où on craignait qu’il s’agisse du tir d’un pistolet. Il refuse de pleurnicher. C’est sa façon à lui de se défendre. Parce que c’est un type qui, sûrement, “devait en avoir”.

Puisque nous sommes dans le cadre du FIFFH, j’ai envie de vous demander quelle est l’époque historique qui vous parle le plus, et quel est le film historique qui vous tient particulièrement à cœur, à l’un comme à l’autre ?
M. Chesnais : Je ne sais pas si c’est parce que c’était l’époque durant laquelle j’étais tout jeune, mais j’aime bien les années 50, les années 60. Comme film, ce serait La Dolce Vita, de Fellini. Il m’a profondément marqué. Il y a quelque chose qui fait qu’on ne peut pas expliquer ce chef-d’œuvre. Mais ce que ça dit sur ces années-là, sur les gens, sur ces sociétés, sur les classes sociales, sur la vie, j’ai adoré.
M. Bezat : Pour moi ce serait clairement les années 20. Un film contemporain qui parle de l’époque, ce serait Babylon de Damien Chazelle, j’ai adoré !
Alors que c’est un film qui a beaucoup divisé !
M. Chesnais : Moi, je n’ai pas aimé du tout !
M. Bezat : Ah bon ? Je suis allé le voir trois fois en salle !
M. Chesnais : Pourtant, j’aime bien Chazelle. J’ai adoré La La Land, mais là j’ai trouvé que c’était boursouflé, et je n’y croyais pas, je n’y ai pas cru une seconde. C’est ce que vous avez entendu aussi au sujet du film ?
Oui, tout à fait, j’ai vraiment remarqué cette division entre des gens qui en ont tiré une substance du style : “Ça, c’est le cinéma”, et ceux qui disent que c’est un peu de l’esbroufe. Donc vous reflétez parfaitement cette divergence d’opinions à vous deux ! *rires*
M. Bezat : Justement, j’ai aimé le fait qu’on n’exploite d’habitude jamais les bas-fonds de cette époque-là, la saleté, on reste toujours dans ce côté un peu policé.
M. Chesnais : C’est trop démonstratif, je ne suis pas rentré dedans. Dieu sait que je suis bon public, attention, mais alors là, franchement j’étais sur le cul. Ça dure trois heures, et je me suis emmerdé pendant trois heures.
Pour conclure, avez-vous d’autres projets de courts-métrages, incluant peut-être Monsieur Chesnais, d’ailleurs ?
M. Chesnais : Projets de l’ombre, projets de l’ombre… *rires*
M. Bezat : Plein de projets, mais rien de fixé encore ! À suivre…
M. Chesnais : C’est vrai qu’il y a de la matière, sur la vie d’un palace et tout ce qui gravite autour.
Oui vous pourriez même faire une série de courts-métrages sur ce thème-là !
J’ai une idée sur ce qu’il pourrait faire ! Il pourrait faire un film sur le naufrage du Titanic, ça n’a jamais été fait ! Est-ce que ça marchera ? Pas sûr… *rires*

