Comme à chaque couverture de festival, les rédacteur·ices se prêtent au jeu du carnet de bord, retranscrivant au jour le jour leurs impressions à chaud sur les temps forts du festival.
Jeudi 6 octobre
Dolores : Commencer le festival avant même qu’il n’ait commencé, c’est la vie que j’ai choisi de mener. C’est donc au Cratère, une jolie salle à St Michel, que commence mon aventure avec Abuela de Paco Plaza, un film sorti en février que j’avais malheureusement loupé en salle. Quel plaisir de pouvoir le redécouvrir ! Paco Plaza est un grand nom du cinéma d’’horreur, qui propose toujours des films relativement classiques mais soignés, intelligents et si beaux qu’ils sont toujours de grands moments de cinéma. Abuela ne déroge pas à la règle : la photographie et la mise en scène sont magnifiques, au service d’un récit glaçant sur l’inéluctabilité de la vieillesse avec un fond de sorcellerie, entre Neon Demon et Relic sur ses propos. Les actrices dans ce quasi huis-clos sont exceptionnelles, hantées par leurs rôles magistraux. Encore une réussite du réalisateur, toujours à la hauteur de sa réputation dont je vous parle plus longuement dans cet article.
Vendredi 7 octobre
Dolores : Après un début informel, place à la soirée d’inauguration officielle dans la cour de la Cinémathèque ! Concert gratuit et verre de sangria, une magnifique manière de profiter en musique de ce mois d’octobre particulièrement doux. The Jazz Bicravers nous proposent un jazz manouche lumineux et dansant, parfait pour se mettre dans l’ambiance.
Mais pas l’temps d’niaiser, comme diraient nos amis du Québec : à l’ABC se déroule la projection du film d’ouverture, de 2h40 tout de même ! Pacifiction d’Albert Serra est ma première incursion dans le cinéma singulier de cet auteur, autour duquel est organisé une rétrospective à la Cinémathèque de Toulouse. On ne va pas se mentir, j’ai eu besoin d’un temps d’adaptation au jeu ampoulé des acteur·ices, à la limite du surjeu, et au placement de la caméra au plus près de ses personnages, qui écrase les décors et aplati les couleurs. La lumière, dans un flou étrange comme si la lentille était constamment sale, est aussi très étrange. Mais on se laisse vite prendre par cette déambulation fleuve autour de Benoît Magimel qui porte le film, incarnant un Haut Commissaire de la République en Tahiti qui tente de ménager la chèvre et le chou dans un conflit qui implique la potentielle reprise des essais nucléaires à Tahiti. Un film étrange, qui mérite de passer les premières minutes difficiles pour se laisser porter par son rythme lent et son récit original.
Samedi 8 octobre
Dolores : Direction la Cinémathèque pour découvrir le documentaire Robin Bank d’Anna Giralt Gris en présence de la réalisatrice. Un film passionnant autant dans son fond que dans sa forme, centré sur la figure d’Enric Duran, un militant anticapitaliste et activiste catalan connu pour ses actions contre les banques espagnoles, lui valant d’être désormais recherché à l’internationale. Résumer un tel film est complexe, alors contentons nous de l’essentiel : le regard d’Anna Giralt Gris n’est jamais complaisant, n’iconisant ni diabolisant Enric Duran. À travers le récit de personnes l’ayant côtoyé et d’enchaînements de faits, un portrait multiple et complexe de ce militant naît sous la caméra de la réalisatrice qui n’hésite pas à s’adresser aux spectateur·ices en faisant part de ses doutes, de ce qu’elle pense d’Enric Duran. Un regard volontairement subjectif qui évite toute hagiographie.
C’était un sujet qui m’était totalement inconnu et voir ce film m’a donné envie d’en découvrir plus. A la fin, de nombreuses personnes sont parties de la salle en râlant, et beaucoup d’autres ont exprimé un certain mécontentement durant la projection. Un sujet sans doute trop sensible sur le plan politique, avec un traitement radical, puisque les convictions anticapitalistes de la réalisatrice transparaissent à tout moment.
Dolores : En retard, me voilà pour la rencontre publique avec Rodrigo Sorogoyen dans une salle comble. J’avais si hâte de le rencontrer, car je peux me targuer d’avoir vu tous ses films… Et de tous les adorer ! C’est un cinéaste jeune à la carrière sans faute et déjà d’une incroyable maturité. As Bestas, El Reino, Madre, Que dios nos perdone ou encore la série Antidisturbios ont été plébiscités aussi bien par le public que par la critique. L’observer en public est un vrai plaisir : à l’aise, plein d’humour et de finesse, Sorogoyen se plie aux jeux des questions réponses et répond (dans un français irréprochable) en profondeur sur son cinéma.
Renard : Sortant d’une séance de Yu Gi Oh avec des amis à côté du cinéma le Cratère, je les invite à me suivre pour découvrir le dernier Almodovar. Je l’avais déjà vu au moment de sa sortie mais Cinespana est un très bon prétexte pour revoir ce long métrage dont je n’avais pas vraiment de souvenir. Madres Paralelas allie parfaitement les parcours individuels des deux femmes qu’il présente ainsi que le destin collectif des Hommes. Le film n’est pas aussi bien écrit que ses précédents mais c’est tant mieux. Il n’a à aucun moment la prétention d’être juste, il veut être vrai dans son portrait. Et il l’est, Almodovar, de par sa caméra, fait transparaître de l’amour pour l’histoire qu’il capture et c’est sûrement pour ça qu’il n’est pas aussi juste que les autres. Parce qu’il n’est pas objectif. Almodovar signe une magnifique lettre d’amour à sa muse Penélope Cruz qui vient, dans une histoire tendre, confier tout ce qu’elle est à la nouvelle génération incarnée par une jeune Milena Smit pleine d’avenir.
Dimanche 9 octobre
Renard : Dimanche, 12h30, moi, Renard devait rencontrer Rodrigo Sorogoyen pour une interview très intimiste. Je me devais d’honorer ce rendez-vous avec le plus grand respect tant Dolores aime ce réalisateur. J’ai alors préparé méticuleusement mes questions pour vous proposer une entrevue des plus intéressantes et la plus insolite possible. Mais comme jamais rien ne roule avec moi , à peine une heure avant l’heure initiale fixée, la personne attachée au rendez-vous me contacte : le rendez-vous est déplacé à une horaire non défini. Je me rends alors sur le lieu supposé de l’interview au cas où on me recontacte. Les heures défilent et je reste là avec mes questions sous le bras qui ne trouveront pas de réponse. 18h arrivée à ma montre, Sorogoyen s’envole direction l’Espagne sans que notre entrevue puisse se concrétiser.
Mardi 11 octobre
Dolores : À l’American Cosmograph avait lieu la projection de El Dia de la Bestia (Le jour de la Bête), réalisé par Alex de la Iglesia que nous avons déjà eu la chance de rencontrer lors d’une précédente édition de Cinespana. Grand nom du cinéma de genre espagnol, adepte de films mélangeant humour absurdes, personnages décalés, esthétique gore et fondements religieux, Alex de la Iglesia s’est fait connaître à l’internationale grâce au Jour de la Bête qui l’a révélé au grand public et contenait déjà tous les ingrédients de son cinéma. Un film furieux au rythme effréné et aux personnages tous plus décalés les uns que les autres sur fond de panique satanique. Jubilatoire !
Jeudi 13 octobre
Dolores : J’attendais un nouveau Fernando Leon de Aranoa depuis 2017 et son biopic sur Escobar, mais surtout depuis A Perfect Day, pépite de la comédie noire et absurde dont l’affiche trône fièrement sur le mur de mon salon. Et Dieu sait qu’il nous revient en forme avec un film primé par 6 Goyas, prix totalement mérités ! El Buen Patron est une comédie satirique sur le patron d’une entreprise familiale de balances, un patron bien sous tout rapport, qui s’intéresse à la vie de ses employés et prend soin d’eux comme un père… Jusqu’au jour où un prix censé honorer la perfection de son entreprise rentre en jeu, et qu’il décide de tout faire pour donner une image plus prestigieuse à sa boîte. En bon patron, il va donc prendre les choses en main…
Le film est porté par un Javier Bardem MAGISTRAL, qui a même rarement été aussi bon (et c’est pour dire vue la carrière excellente de cet acteur). A ses côtés aussi la jeune Almudena Amor, excellente, aussi à l’affiche d’Abuela, quelle sacrée coïncidence. El Buen Patron est une excellente comédie noire, politisée, mordante, avec un casting excellentissime. Une pépite de l’année à voir absolument !
Vendredi 14 octobre
Dolores : Pas de répit pour les braves, direction la Cinémathèque après une pause café au bar bien méritée ! Premier film de ma sélection à participer à la compétition fiction, Sis Dies Corrents m’a intriguée car c’est une comédie sociale construite autour d’acteurs non-professionnels. On y suit Moha, un jeune immigré Marocain, lors de sa période d’essai d’une semaine dans l’entreprise de Valero, plombier et électricien. C’est une comédie douce très feel good, où Valero, le gros dur au cœur d’or, va s’ouvrir peu à peu au mutique Moha, prêt à tous les sacrifices pour obtenir un emploi en Catalogne. Au cours de leurs interventions, le duo mal assorti va, bon gré mal gré, devoir s’entendre pour réparer les installations chez des personnes toutes plus éclectiques les unes que les autres. Un buddy movie avec une galerie de personnages improbables, d’autant plus justes qu’ils sont d’un réalisme mordant. Une très belle découverte, modeste et très plaisante, qui repart du festival avec le prix des meilleures interprétations masculines. Une belle réussite pour des acteurs non professionnels !
Je me suis ensuite hâtée vers le Cratère pour découvrir As Bestas, le dernier film de Sorogoyen que j’ai hélas loupé en salles lors de la sortie cet été. Malgré mon arrivée avec une demie heure d’avance, la séance a été très vite complète. Dommage pour moi, tant mieux pour le film, qui continue sa success story plus de trois mois après sa sortie.
Samedi 15 octobre
Dolores : La semaine aura passé si vite, c’est déjà le dernier jour du festival ! Une dernière journée ensoleillée qui promet une soirée douce au rythme de Canzonieri, un groupe de reprises de chants traditionnels italiens. Le trio est hélas amputé de l’un de ses membres – merci le Covid – mais pas de sa bonne humeur, distillée dans les chants italiens sautillants et dynamiques.
La soirée de clôture débute à la Cinémathèque par une intervention passionnante d’Ana Martín Morán sur le cinéma de Basilio Martín Patino, mis à l’honneur dans le film Canciones para después de una guerra projeté suite à la rencontre. La filmographie de ce réalisateur culte m’est totalement inconnue, j’ai donc beaucoup apprécié cette présentation particulièrement centrée sur sa trilogie documentaire interdite par le franquisme – Canciones para después de una guerra (1971), Queridísimos verdugos (1973) et Caudillo (1974).
Canciones para después de una guerra reste un film difficile à aborder malgré la mise en contexte. Film de collage, entre le clip, le cinéma expérimental et le documentaire, il consiste en une mise bout à bout d’une heure quarante de chansons populaires espagnoles d’après-guerre civile, illustrées par un patchwork d’images d’archives, d’extraits de publicités ou de films d’époque. La dimension nostalgique, tout comme la dimension critique, reste difficilement appréhendable lorsqu’on ne connaît pas les références de culture populaire utilisées dans le film. C’est un film qui mériterait d’être commenté de bout en bout afin de comprendre toute la subtilité des images, car le sens échappe forcément à la compréhension d’un regard qui n’a pas connu cette époque. En revanche, la maestria technique, tout comme le montage “clipesque”, très en avance sur son temps, sont à souligner et font que Canciones reste très moderne dans sa forme. Une belle façon de terminer le festival sur une archive importante du cinéma espagnol, qui rappelle combien Cinespaña s’engage pour la projection d’œuvres contemporaines, de propulser de nouveaux·lles auteurices mais aussi de donner à voir le patrimoine cinématographique.
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