En attendant Bojangles : Une promesse échouée. Dommage.

En ce début d’année, Régis Roinsard s’attaque à la tâche ardue d’adapter le roman éponyme d’Olivier Bourdeault. On nous y raconte l’histoire de Camille (Virginie Efira) et Georges (Romain Duris) qui ne pensent qu’au plaisir et la fantaisie, qu’à danser et festoyer. Jusqu’à ce que la réalité et la folie pathologique de Camille les rattrapent. 

S’il n’existe pas d’autres histoires que celles qu’on se raconte, alors En attendant Bojangles est l’apothéose d’un réel que l’on se fictionnalise à la manière d’un enfant ou d’un comédien ; dans une forme d’anarchie joyeuse où les responsabilités sont des obstacles à éviter à tout prix.

Le mensonge devient énorme et chamboule tout : gaiement au début en désclérosant les relations, en atomisant les convenances et conventions ennuyeuses. Il finit par remplacer le réel, de manière hasardeuse et crée la confusion. Les fabulations dégénèrent et plus rien n’est vrai, d’ailleurs plus rien n’est faux non plus. Et alors c’est la folie qui l’emporte. 

Et le fantasque dans tout ça ?

Malheureusement le film se heurte à la difficulté, sinon l’impossibilité, de transposer le point de vue de Gary, le fils de Camille et Georges, sur la vie de ses parents. En effet le livre s’axe sur le regard de cet enfant qui tente d’évoluer au milieu de ces adultes hors-normes que sont ses parents. Il se demande sans cesse « Comment font les autres enfants pour vivre sans mes parents », et ce point de vue permet au roman d’exprimer une fantaisie débridée, une irrationalité géniale que ne parvient pas à retranscrire le film. 

La mise en scène est trop sage et manque de cette folie imaginative qui sublime l’histoire. Là où tout se cantonne à une vaine illustration des actions, l’on aurait apprécié des séquences illustratives des rêves, mensonges et histoires chimériques cultivées par le trio de personnages. Une mise en scène bien plus envolée, bien plus poétique et exubérante qui exploite tout de ces rêveries (et tout autant de leurs penchants cauchemardesques) aurait sans doute permis au film de gagner en puissance et en fantaisie. La rigueur classique de la mise en scène (au-delà de quelques ralentis) empêche au film d’être crédible dans l’expression de cette anarchie joyeuse et festive. Les séquences de « folie douce » comme la rencontre entre Georges et Camille sont statiques et en deviennent alors légèrement fades, laissant le spectateur en dehors de cette envolée poétique suggérée par les personnages. On les regarde simplement, sans vivre leur tournoiement psychologique avec eux. 

Seule séquence qui assume l’artificialité de leur vie, de leur vie qu’ils se racontent, seule séquence où la mise en scène épouse véritablement l’histoire : la séquence du Tango à Valencia. Où comment donner après 1h30 de film ce que le spectateur attend depuis le début. Là les projecteurs sont visibles, la danse est parfaitement chorégraphiée et captée à merveille par la caméra, là l’énergie visible transparaît dans la manière dont on la voit. Seule et unique séquence d’inventivité sur le plan visuel, cinématographique. Dommage. 

Régis Roinsard nous donne en fait l’impression d’avoir confondu le travail de mise en scène et le travail de décoration. 

Certains parlaient déjà d’un « cinéma d’antiquaire » pour son précédent film Populaire (2012) où le réalisateur animait sa fascination pour d’archaïques machines à écrire. Ici la reconstitution des années 1950 y est outrancièrement parfaite et la caméra semble alors filmer plus les objets, les voitures, les costumes que les personnages. 

Une Efira pour les sauver tous

Alors que ce sont lesdits personnages qui tiennent l’histoire, leur caractérisation s’exprime dans un flou constant propre à leur existence inventée, mensongère, rêvée. « Quand la vérité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver. » Cette phrase que le personnage interprété par Virginie Efira ne cesse de répéter à son fils résume parfaitement ce qui caractérise ces personnages : le mensonge à outrance, l’éviction du réel pour se protéger de ses affres. En effet, malgré une mise en scène qui peine à extraire toute l’énergie de son histoire, cette dernière reste géniale dans son postulat : jusqu’à quel point une famille peut-elle se soustraire aux convenances sociales, aux codes sociétaux ? Cette famille tend à la micro-utopie où l’on ne va plus à l’école, où l’on n’ouvre plus son courrier et où l’on vit de plaisirs et de jouissance. Mais alors où finit le rêve et où commence la folie ? 

Et toutes ces questions, toutes ces thématiques, c’est le personnage de Camille qui les porte. Virginie Efira, bien que dans un rôle téléguidé pour les César, ne déçoit pas. Elle est tourbillonnante et transcende à elle seule certaines scènes, son absolue folie, son engagement total dans le rôle la rend crédible et d’autant plus touchante. Son duo avec le jeune Solan Machado-Graner qui joue Gary, le fils, fonctionne parfaitement. Ce jeune acteur est un pivot important du film et sa prestation est touchante non seulement pour son âge. A côté de cela Romain Duris débute bien, l’entrée dans le film vibre à travers lui, son énergie est communicative puis très vite l’acteur semble s’évanouir derrière la prestation d’Efira et ne parvient alors plus qu’à rejouer son rôle de Colin dans L’Écume des Jours de Michel Gondry (2013). Et cela ne prend pas car là où Gondry fait de L’Écume des Jours une oeuvre fidèle à Boris Vian, c’est à dire avec des séquences au surréalisme fantasque et truffées d’inventions visuelles où l’absurde épouse le romantisme, Régis Roinsard lui abandonne ses acteurs dans une mise en scène vague, pataude et timorée d’où seule Virginie Efira parvient à s’en sortir. 

Une nostalgie populaire qui ne prend pas

La comparaison avec L’Écume des Jours n’est pas incohérente, le livre de Bourdeault avait déjà été comparé à celui de Vian. Les deux s’articulent sur une construction bipartite entre une première moitié colorée et dynamique et une seconde moitié terne et désespérée. Ainsi le film chemine inlassablement vers un drame attendu (qui reste toutefois touchant). 

Cette construction bipolaire, parabole de l’état psychique de Camille, un scénario comme une carte mentale du personnage, fonctionne. Bien qu’encore une fois, l’artificialité de la mise en scène se fait sentir dans la première partie où les actions s’enchaînent sans cesse dans une sorte d’hystérie narrative. Les personnages veulent échapper à l’ennui alors le spectateur doit absolument y échapper aussi, et l’on étouffe de ne pas avoir de répits. L’intention du réalisateur d’insuffler une énergie, une folie à son film est claire, hélas elle ne fonctionne pas, elle ne prend pas. En effet, colorer l’image, faire courir les personnages et couvrir le tout de musique ne suffit pas à dynamiser la mise en scène. Ne reste alors que cette tendre nostalgie de la décennie 1950 où la déco vintage et la musique Mr. Bojangles sont touchantes de leur élégance désuète. Mais cette poésie de la nostalgie ne prend plus vraiment, elle sonne faux, artificiellement posée sur le récit comme pour lui donner un aspect populaire attendrissant. Comme pour déréaliser l’histoire tout en l’inscrivant dans une époque dont on aime imaginer les contours. Or cette nostalgie numérique manque peut-être d’un grain, de ce grain des années 1950, et alors elle déçoit par son artificialité. Dommage. Même Mr. Bojangles, même cette chanson géniale n’arrive pas à galvaniser cette nostalgie heureuse, qui échoue. 

En bref

Un postulat scénaristique prometteur, une adaptation hasardeuse, une mise en scène timide et décorative, une nostalgie populaire en perdition, et au dessus de tout ça : Virginie Efira, sublime, crédible, terrifiante, parfaite. 

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