Interview Claire – Projectionniste

Claire, 22 ans, est projectionniste depuis août 2016. Actuellement en quête d’un emploi, elle a bien voulu répondre à mes petites questions sur son métier méconnu.

Quelles études as-tu faite ?

J’ai passé un bac STDAA, puis une première année de DMA costumier-réalisateur, ensuite une L1 lettres moderne et arts du spectacle, et pour finir un CAP opérateur projectionniste à l’AFOMAV, à Elencourt dans le 78, en alternance.

Pourquoi as-tu voulu devenir projectionniste ?

Je cherchais des études courtes, parce que je ne dépassait pas la première année. Je me suis dit qu’il me fallait une formation diplômante en un an, et qui restait dans le milieu du spectacle et du cinéma. En plus c’était en alternance, ce qui m’empêcherai de me lasser. Je pensais à projectionniste depuis un moment et une amie m’a conseillé d’aller rencontrer des projectionnistes. J’en avais rencontré plusieurs à cette période là et à chaque fois je tombais sur des plus vieilles, qui regrettaient le 35 mm, qui disaient que le métier s’était perdu, que ça valait plus rien, des trucs qui donnaient pas envie de s’engager. Du coup je suis allée voir trois projectionnistes sur Paris, et la dernière travaillait au studio-Galande. Elle était jeune, super enjouée, m’a proposé de voir un film et c’était la première alors que c’est la base. En plus elle était à l’AFOMAV, donc l’école que je visais.

Donc c’était plus pour les études que pour le métier en soit ?

Je ne me suis jamais dit que j’avais envie d’être projectionniste dans ma vie, je réfléchissais au présent et à ce que j’avais envie et ce que pourrais faire l’année qui venait, et la projectionniste du studio-Galande m’a vraiment donné envie. Elle m’a vendu l’école et je me suis dit que je pourrais peut-être être heureuse là-bas, et ça a été le cas. Les étudiants avaient des profils variés, ça allait de 17 à 26 ans, certains avaient fait du commerce, d’autres du graphisme, de l’histoire, donc c’était très enrichissant. Le fait que les prof n’en soient pas étaient extrêmement intéressant, parce que la veille, le soir même ou le lendemain bah ils étaient sur le terrain donc ils nous apprenaient des choses pratiques et utiles. Quand on reprenait les cours on commençait toujours par se raconter les problèmes rencontrés pendant le stage avec les profs et comment on les avait résolus, parce que ça sert.

Peut-tu me parler de la partie pratique du CAP ?

Au début de l’année on a beaucoup de cours théoriques parce qu’il faut comprendre comment les machines marchent et comprendre comment on est passé de l’argentique au numérique. Puis au fil de l’année on a de plus en plus de pratique. On était dans des classes de quatorze et pour la pratique par groupe de sept, donc tout le monde fait un peu tout, on peut ouvrir un projecteur et voir ce qui s’y passe par exemple. Plus l’année passait plus on faisait ce qu’on voulait. A la fin de l’année on empruntait du matériel à l’école, on branchait une caméra dans une salle et on la retransmettait dans une autre salle, un peu comme un duplex, ou bien on branchait une console et on jouait à Mario à 6 dans la salle de cinéma.C’est des choses qu’on ne fera pas dans nos cinéma si on a pas d’événementielle mais c’est cool de savoir le faire pour le jour où on y sera confronté.

Il y a combien d’écoles de projectionniste en France ?

Mon école est la seule « vraie » en France, on y est une trentaine, et une autre devrait ouvrir bientôt. Après tu peux faire la formation sans aller dans l’école, par les cours du CNED ou par des GRETA par exemple. Dans ce cas pour la pratique il suffit de faire un stage à côté

En quoi consistent les épreuves du CAP projectionniste ?

Il est séparé en trois parties : théorique, avec quatre-vingt questions toutes matières confondus, dont la moitié sur la sécurité incendie, et le reste c’est son, optique, histoire du cinéma, ciné argentique et ciné numérique ; numérique, où tu dois projeter un contenu, faire une playlist en un temps donné avec sur une feuille les contenus nécessaires, et un contenu alternatif donc au hasard soit brancher un micro, soit projeter un DVD, soit brancher une mixette ; et argentique, où on nous présente plusieurs morceaux de pellicules et on doit reconnaître le format d’image et le format son, des questions, puis faire une boucle, donc prendre des morceaux de pellicules et les coller de manière pro -parce qu’en fait pour projeter un film en six ou sept bobines il y a deux solutions : soit tu as deux projecteurs et pendant qu’un tourne tu charges la bobine sur l’autre, soit c’est « à plateau », donc tu prends toutes tes bobines et t’en fais une seule, mais les scotchs qui les relient doivent être mis correctement, parce que si tu inverses le sens de la pellicule tu te retrouves avec une image à l’envers, ou le son qui ne passe pas, ou des perforations décalées ce qui fait sauter ton projecteur etc…- enfin on te donne une pub ou une bande annonce et tu dois la charger dans le projecteur, c’est-à-dire la passer dans le mécanisme, et lancer la projection.

Concrètement, que t’as apporté le CAP ?

Comme d’habitude, ça dépend d’où tu travailles. Par exemple à l’UGC c’est les bureaux qui décident de quel film va être diffusé et dans quelle salle, et après t’as plus qu’à créer les playlists et encore c’est un projectionniste qui les fait une fois dans la semaine et après c’est automatique. Mais si tu travailles dans une petite salle, par exemple s’il y a deux salles et que vous êtes deux projectionnistes à alterner les horaires, c’est toi qui va devoir tout faire, les playlists, réceptionner les films, les charger, faire la playlist et renvoyer les films au distributeur.

Quand tu es en cinéma, ton métier ça consiste en quoi exactement ?

Ça dépend vraiment du cinéma ou des chaînes, parce que depuis le passage au numérique il y a quelques années il y a eu des choix différents. Certains ont décidé de supprimer des postes de projectionnistes donc il y a très peu de projectionnistes mais ils font que ça et s’occupent de beaucoup salles, alors quand il y a un bug ça va mais quand y en a plus c’est compliqué ; d’autres ont choisi de garder les projectionnistes mais du coup c’est plus des agents de cinéma que des projectionnistes donc ils sont polyvalents. A ce moment là à part allumer les cabines le matin le reste du temps tu contrôles les tickets à l’entrée des salles, tu fais le ménage, tu peux aussi t’occuper de la billetterie ou de la caisse par exemple.

Tu me parlais des playlists tout à l’heure, peux-tu m’expliquer les différentes facettes moins connues du métier ?

Le projectionniste s’occupe de réceptionner les films, de les charger dans le serveur et de les renvoyer aux distributeurs. Ensuite pour que les films soient lus on a besoin d’une KDM, c’est comme une clef qui déverrouille le film, une preuve que le distributeur t’autorises à diffuser le film. Quand on reçoit un film en fait il est souvent sur un disque dur, tu le charges dans le serveur, et tu ne peux pas le lire tant que tu n’as pas la clef. En général la KDM tu la reçois par mail, tu l’as mets sur une clef USB et tu la charges aussi dans le serveur. Si les deux correspondent avec les dates, les jours et le format auxquels tu passe ton film ça marche, et c’est souvent là qu’il y a des problèmes, (c’est pas envoyé à temps, c’est pas les bons serveurs, c’est pas les bonnes dates etc…)

La KDM doit donc contenir une autorisation pour chaque séance ?

Non, en fait dans la clef il a écrit « moi j’ouvre de telle date telle heure à telle date telle heure, pour ce numéro de serveur », c’est à dire que si ton film est diffusé dans la salle deux la KDM va s’ouvrir pour le serveur de la salle deux, mais si au dernier moment tu dois faire un changement de salle parce qu’il y a un film qui marche mieux en salle deux et que tu le passes en salle trois, tu dois demander une nouvelle KDM qui ouvre le film pour le serveur de la salle trois. Après si tu es dans un petit cinéma avec deux ou trois salles il t’envoie une clef qui t’ouvre le film pour toutes les salles par exemple. Quand tu as des avants-premières par exemple ils ne veulent pas que le film soit accessible trop tôt donc ils te l’ouvrent deux heures avant, ce qui rend les tests compliqués. Surtout il faut que la clef soit pour la bonne version, parce que quand tu reçois le film sur le disque dur il y a plein de versions : la VO, la VOSTFR, la VO en 3D, la VF etc… et le distributeur ne sait pas forcément quelle version tu veux passer, donc ce n’est pas forcément la bonne KDM.

Tu passes donc pas mal de temps au téléphone ?

En général ça se passe plutôt bien hein ! Ce qu’on fait surtout c’est les playlist, ça on l’apprend bien à l’école. En fait quand tu projettes un film, tu décides des contenus que tu vas mettre juste avant, c’est-à-dire que pour une séance tu as telle et telle pub, puis telle et telle bande-annonce, puis le film. Autour des contenus il faut ajouter les « automations », donc que les lumières s’éteignent à tel moment, que le son baisse à tel volume… Et ensuite il y a « l’emploi du temps » de la journée avec les différentes séances qui se lance tout seul en fonction des heures.

Est-ce que c’est possible pour toi d’assister à certaines séances ?

Ca dépend des cinémas. Si tu es dans un grand cinéma, que tu gères beaucoup de salles et que tu aides à l’entrée il y a toujours quelque chose à faire et tu n’as pas le temps. Alors que si tu es dans un plus petit cinéma et que sur ta fiche de poste il n’y a que projectionniste tu peux juste voir le film. En plus il y a des moments où tu es censé les passer régulièrement pour vérifier si le son, les couleurs et la mise au point vont bien. Après j’ai une copine qui bossait dans un mono-écran donc une fois que toutes les places étaient vendues, si ses films étaient chargés, qu’elle avait tout renvoyé elle pouvait regarder les film, en surveillant de temps en temps qu’il n’y ait personne qui vienne à l’accueil.

A part dans les cinémas, y a-t-il des postes de projectionnistes ?

Il y a des projectionnistes dans des musées, d’autres organismes comme Unifrance ou le CNC, les grands festivals de cinéma type festival de Cannes qui doivent avoir leur salle à l’année pour faire les sélections, les distributeurs, les boîtes de prod… mais ce ne sont pas des branches que je connais très bien. Je pense que ça a pas mal changé entre l’argentique et le numérique, même si je suppose qu’il doit rester quelques projectionnistes, parce qu’à l’époque même dans les salles de montage c’était des projectionnistes, alors que maintenant c’est plus simple et tout se fait probablement par ordinateur.

Tu me disais qu’au départ tu n’avais rencontré que des femmes, est-ce que cette tendance s’est confirmée ?

Je pense que c’était un peu le hasard parce que depuis j’ai surtout rencontré des hommes. Ca s’explique : les plus vieux projectionnistes sont surtout des hommes parce qu’à l’époque de l’argentique les bobines étaient lourdes, un film faisant en moyenne six ou sept bobines, quand tu dois courir d’une salle à l’autre avec tes bobines sous le bras tu as intérêt à être costaud. Mais depuis c’est assez mixte, dans ma classe par exemple c’était vraiment paritaire. Par contre dans la promo de cette année je crois qu’il y a trois filles pour les deux classes. Après ça dépend surtout de l’âge je pense. Pendant mon alternance on était sept ou huit et j’étais la seule nana, et je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de femmes de plus de quarante ans.

Mais du coup avec le numérique est-ce qu’au niveau de l’avenir as-tu des inquiétudes sur le fait de trouver du travail sur le moyen et long terme ?

Bah déjà là je suis chômeuse donc évidemment un peu d’inquiétude, de ma classe on est pas mal à chercher du boulot. Après je ne pense pas qu’il faut être trop inquiet parce que tous nos profs nous ont dit qu’au début tu commences à faire des remplacements et des petits trucs à droite à gauche.

Maintenant que tu as fini les cours, est-ce que ce que tu as vu du métier te donne envie de continuer là-dedans ?

Oui je pense vouloir faire ça encore un peu, après je ne me vois pas projectionniste jusqu’à ma retraite. Je ne sais pas encore ce que je veux faire mais ça me permettra dans peut-être de rencontrer des gens pour rester dans le milieu du cinéma. En plus je pense qu’on est une génération qui va être amenée à pas mal changer de boulot contrairement à la génération de nos parents par exemple.

Le Comte Gracula

Add a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *