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Interview : Enzo Balland réalisateur du court-métrage, L’Iris de Narcisse

Lilith a pu s’entretenir sur les orgines et les choix artistiques du réalisateur du court-métrage L’Iris de Narcisse.


Lilith : Explique-moi ton projet de base en quelques mots.

Enzo : L’Iris de Narcisse c’est une relation à distance qui s’établit entre 2 personnages, 2 personnages mythologiques qui se rencontrent dans le monde contemporain. Et via le montage on a essayé de créer une rencontre affective. Narrativement ça s’arrête là, après on les suit chacun à travers leurs soirées respectives.

Lilith : Quel était ton parcours avant de réaliser ce projet ?

Enzo : J’ai passé un bac littéraire au lycée Bellevue à Albi et suite à ça j’ai fais une licence en cinéma audiovisuel à l’université Toulouse – Jean Jaurès.

Lilith : Pourquoi la mythologie ? Et pourquoi ce mythe-là ?

Enzo : Le personnage de Narcisse m’intéressait tout particulièrement. L’interprétation du personnage de Narcisse a évolué au fil des siècles. L’idée était de le ramener dans le monde contemporain et d’essayer d’en faire quelque chose. Ce qu’on retient aujourd’hui sur l’écrit le plus connu de ce personnage se trouve dans Les métamorphoses d’Ovide, c’est un mec qui va au bord de l’eau, il voit son reflet, il tombe amoureux de son reflet et il se transforme en fleur au bord de cette eau. Mais ce qui est dommage c’est qu’avec ça on n’exploite pas la dimension psychique du personnage.

Je voulais, à travers mon projet, imaginer et montrer les souffrances du personnage. Qui il est réellement, au-delà des seuls faits. De manière générale, je trouve que le narcissisme est souvent abordé de manière superficielle. Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que ça cache ? De mon point de vue ça cache des failles intérieures.


Le personnage d’Iris s’est rajouté par la suite, il est lié à un autre personnage qui s’appelle Écho. Cette dernière subit le comportement de Narcisse et lui en veut de ne pas être tombé amoureux d’elle, cette situation la faisant tellement souffrir elle décide de se suicider. Mon court métrage est une adaptation cinématographique, et de ce fait je voulais créer un personnage proprement cinématographique. D’où l’intérêt de choisir le nom Iris qui rappelle l’Iris de la caméra. Et ensuite le personnage d’Iris est comme le reflet de Narcisse. Quand il pense à Iris il pense à lui d’abord, donc il y a une idée de jeux de miroirs. Mais après certaines des caractéristiques du personnage d’Écho résonnent en Iris.

Lilith : Les personnages sont en constant décalage avec leur environnement, ils entendent des dialogues auxquels ils ne prennent jamais part, ils sont filmés en gros plan et on voit très peu de décors autour d’eux. Pourquoi ce choix ? Est-ce une façon de faire d’eux des personnes égocentrées ?

Enzo : L’idée c’était en effet de mettre la caméra au plus proche des personnages pour créer cette impression qu’on appelle l’effet Bokeh (NDLR : Le “Bokeh” est un terme japonais qui désigne les formes plus ou moins harmonieuses créées dans le flou d’arrière-plan par le diaphragme de l’objectif). Cela vient en fait d’une contrainte technique ; on a peu de matériel, il faut réaliser une fiction et il faut que cette fiction soit vraisemblable. Donc de ce fait, il fallait imaginer au travers de la contrainte et en faire une création. C’est pour ça que nous avons eu recours à cet effet qui apporte une touche photographique. L’autre intérêt au niveau de la sémantique du film, c’est que la perte de repères spatiaux-temporels créée par cet effet donne l’impression que cette nuit ne finit jamais.

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Lilith : Quelles ont été les autres difficultés techniques lors de votre tournage ?

Enzo : Au fur et à mesure du tournage on a compris qu’il y avait une tension qui s’exerçait entre la liberté créatrice et ce que les contraintes du réel nous imposent. Au niveau sonore, il a fallu faire des retouches. Au niveau visuel on avait un matériel assez bon comparé à ce que peuvent avoir des personnes au même niveau que nous, donc on ne se plaint pas. Mais ce qui était compliqué c’était d’entretenir la vraisemblance de la fiction et d’obtenir la meilleure photographie possible. Dans le court-métrage il y a une lumière un peu orangée dorée qui progressivement s’empare de l’espace filmique, arriver à maintenir cette lumière sur toutes les scènes était une très grosse contrainte car il faut savoir qu’il n’y a pas eu d’étalonnage réalisé en post-production sur les images. C’est un réel travail de chef opérateur.

Au départ, nous tournions sur Toulouse et sur Albi. Cependant pour avoir cette lumière de manière constante on a décidé de tourner en majorité à Albi car il y a beaucoup de lumières de type orangées la nuit. Il n’y a aucune lumière ajoutée, tout a été fait avec les lumières de la ville.


Nous avons aussi tourné en hiver. En hiver il y a une baisse de vitamine D, on est dans un autre mood, et à un niveau personnel ma créativité est décuplée, car le fait d’être plus souvent enfermé chez soi permet d’imaginer des choses plus intéressantes. Tourner en hiver à vraiment apporté un truc, il y a beaucoup de séquences en voiture, il faisait froid dehors j’étais avec ma petite équipe de tournage à l’intérieur d’une voiture. Il y a forcément une osmose qui se crée, une complicité aussi avec l’équipe. Le fait d’avoir tourné à cette période de l’année donne aussi de la puissance à la séquence un peu sensuelle dans la voiture, je pense que tourner en été n’aurait pas donné le même impact à la scène. En plus, au niveau des pare-brises il y a une espèce de buée qui se crée qui était intéressante à filmer d’un point de vue esthétique.

Lilith : Quel était le but de mettre tous les dialogues en hors champ ?

Enzo : Ce choix part d’une contrainte. Mis à part Nadia qui incarne Iris à l’écran, les acteurs étaient pour la plupart non professionnels. Alexis qui incarne Narcisse était totalement débutant, mais je ne regrette pas ce choix car il incarne vraiment très bien ce personnage. Cependant dans mon idée je voyais mal ces personnages parler à l’écran, en plus de ça ce sont des personnages mythologiques, donc j’avais en tête de les inscrire dans un monde contemporain, mais de montrer qu’en quelque sorte ils sont isolés de cet espace. L’idée était donc de faire des gros plans sur eux et de les isoler en les rendant muets, mais qu’autour d’eux il y ait une profusion sonore, une matière sonore qui les envahit mais qui à côté de ça participe aussi à stimuler l’espace visuel. Faire des gros plans sur des personnages qui parlent ça peut vite être ennuyeux, donc je trouvais plus intéressant d’aller creuser la psyché et l’intimité des personnages à travers ces plans là.

Lilith : Le traitement sonore un peu étouffé dans les séquences en voitures, mais qui à mon sens ajoute à cet enfermement des personnages et à leur décalage, était-il voulu à la base ?

Enzo : L’idée était de faire un espèce de film hybride entre la fiction et le documentaire. Il y a la mythologie, et j’ai ramené des amis à moi pour donner une dimension un peu documentaire. Ils n’ont pas eu de pitch, leurs dialogues ont été improvisés, ils parlaient comme ils peuvent se parler entre eux dans la vie de tous les jours. J’ai fait une prise sonore et ensuite j’ai retenu ce qui était le plus intéressant pour mon film. Je n’avais pas envie de faire une prise de son vraiment propre car ça aurait été trop superficiel.

Lilith : Il y a beaucoup de place laissée à l’imagination du spectateur, pourquoi ce parti-pris ?

Enzo : Je ne voulais pas faire un film totalement narratif, clairvoyant, qui va tout expliquer et détailler. Mais je ne voulais pas non plus dériver et faire du Fincher avec des rebondissements. Je voulais faire un cinéma de la suggestion et surtout sensoriel avant d’être intellect.

Lilith : Où est-ce qu’on pourra retrouver ton court-métrage ? Est-ce qu’on pourra le trouver sur internet ?

Enzo : Pour le moment il est difficile de le dire parce que j’espérais le distribuer au maximum en festival, avec la situation actuelle liée à l’épidémie de covid-19 cela n’a pas pu se faire puisque la plupart des festivals ont été annulés. Il y aura une projection à la rentrée sur la faculté Jean Jaurès, mais on ne sait pas encore précisément à quel moment cela sera possible. Par contre je ne pense pas que le support internet soit approprié à ce film, je pense que l’expérience sensorielle est importante et seul le grand écran peut apporter ça.

Lilith : Un dernier mot sur les projets futurs ?

Enzo : Actuellement je suis en train de travailler sur un documentaire, et j’ai aussi envie de créer un collectif autour de projets cinématographiques. Mais plutôt sur des projets de documentaires qui se font plus à l’instinct que ce que fait la fiction. 

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