La Douleur d’Emmanuel Finkiel

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Une adaptation ratée

Emmanuel Finkiel signe l’adaptation du roman éponyme de Marguerite Duras, femme de lettres très importante durant toute la seconde moitié du XXe siècle et dont les oeuvres à la fois romanesques et cinématographiques suscitent encore aujourd’hui un intérêt particulier. Alors quoi de mieux pour découvrir ou redécouvrir cette personnalité notable que de courir voir ce nouveau film, plutôt alléchant à vision des premières images de la bande-annonce. Duras est ici incarnée par Mélanie Thierry qui sort un peu de l’ombre avec ce premier rôle prestigieux. Verdict ?

Marguerite Duras – tous droits réservés
Mélanie Thierry – tous droits réservés

Énorme déception. La Douleur est un film qui manque cruellement de poésie et d’émotions, un broyage de mots qui veulent se la jouer “intellos” mais qui sonnent creux, tout cela recouvert par un jeu d’acteurs médiocre. 

On montrerait ce film à une classe de lycéens qui étudient Marguerite Duras pour le Bac, ils en feraient une crise de découragement. Nombreux sont pourtant les éléments intéressants à aborder dans une perspective pédagogique. Tout d’abord le rapport à l’Histoire, le contexte d’après-guerre, Paris sous la libération, les déportés juifs qui reviennent des camps, puis ce personnage, cette figure de femme dans l’attente de son mari qui ne lui a pas encore été rendu. Cette femme, semblable à tant d’autres, toutes ayant ce sentiment de désolation partagé, cette incertitude et cet espoir face à une réunion avec l’être aimé qui n’aura peut-être jamais lieu. La confusion de tous ces français de 1945, pris entre le soulagement de la guerre qui prend fin et la peur de ne jamais revoir certains proches. Des personnages forts, une époque riche en mémoire, un livre, des mots, une figure féministe. Tout est matière pour faire une adaptation à  ranger sur l’étagère des petits chefs-d’œuvre du cinéma français.

Mais Emmanuel Finkiel échoue lamentablement. Mélanie Thierry porte à bout de bras frêles ce personnage trop grand pour elle, pas aidée par les rôles masculins qui l’entourent avec un Benoît Magimel grassouillet (snif, il était si beau dans Les Petits Mouchoirs) et un Benjamin Biolay fidèle à lui-même dans sa mélancolie accablante. 

Ce n’est plus un film sur l’attente, ni même sur l’absence, mais uniquement sur l’ennui.

Confusion grossière entre “l’attente” et “l’ennui”

Nous avons conscience que la narration durassienne a plutôt tendance à être dramatique qu’épique. C’est ainsi que les dialogues l’emportent, abstraits, absurdes, métaphoriques, emplis de suggestions implicites, une sorte de “prose moderne”. Ils cherchent à prendre la place que l’action abandonne. Marguerite Duras souhaite avant tout souligner les aléas de la condition humaine dans des romans où “rien ne se passe”. La mise en scène de Finkiel peine à retranscrire cette volonté même, ce style rhétorique de l’écrivain et c’est en grande partie à cause de cela que le film s’écroule. Ne se réduisant plus qu’à l’aspect littéraire du roman, le réalisateur manque cruellement d’originalité quant à l’esthétique même de son film, faisant des choix de mise en scène qui fonctionnent mal et sont parfois aberrants (comme cette lampe qui s’allume toute seule en plein milieu d’une conversation entre deux personnages).

L’attente, ce n’est pas du vide, ce ne sont pas deux tasses posées sur le rebord d’une table, cadrées pendant de longues secondes, ce n’est pas regarder par une fenêtre pendant des heures à attendre que les saisons passent, on préfère lire Madame Bovary dans ce cas-là, œuvre prodigieuse du grand Flaubert sur une femme qui s’ennuie.

L’attente, ce n’est pas du flou, tout le temps, partout, qui étouffe les personnages, ce n’est pas des dialogues incompréhensibles (les acteurs pourraient au moins faire l’effort d’articuler) autour de quelques verres de vins et de cigarettes entassées dans un cendrier crasseux, ce n’est pas faire du vélo seule dans les rues désertées de Paris sous la menace de la bombe pour se sentir soi-disant “vivante dans la mort”. Le texte durassien perd tout son charme et sa force tellement il est mal mis en avant (en étant récité par l’actrice principale), envoyé par interstices à la figure du spectateur qui n’en saisit plus le sens et en fait une overdose.

L’attente n’est pas synonyme d’ennui. L’absence ne doit pas être uniquement un trou béant dans l’existence, elle n’est pas nécessairement solliciteuse de larmes à n’en plus pouvoir pisser, ce n’est pas s’affamer comme le fait Marguerite pour ressentir le vide à l’intérieur au même niveau qu’à l’extérieur. 

L’absence, c’est aussi parvenir à la combler, c’est aussi un combat mené pour trouver la vérité. C’est la détermination plutôt que l’apitoiement sur soi. La victimisation permanente du personnage est insoutenable pour le spectateur qui n’a qu’une envie : traverser l’écran pour aller la secouer un bon coup. L’image d’une femme forte passe automatiquement au rang de petite fille capricieuse. Elle se contemple dans sa solitude, l’action arrive ou n’arrive pas, on dirait qu’elle s’en moque après tout. Son double apparaît devant elle, mais lui est égal en tous points. Même ce parti pris du réalisateur d’établir une légère schizophrénie chez le personnage est maladroite et n’a dès lors aucun intérêt, si ce n’est de rajouter encore et toujours des plans longs, larges, d’une fadeur excessive.   

La musique du film est à la limite du supportable. Ce qu’on en retiendra ce sont des violons qui grincent dans tous les sens tandis que notre héroïne descend péniblement un escalier. On se mord le poing devant un tel manque de subtilité pour créer une quelconque tension . On entend Mélanie Thierry en voix off, beaucoup trop présente d’ailleurs qui récite le texte de Marguerite Duras. Elle dit que “la guerre n’en finissait pas de finir”. Oui, et bien, le film non plus n’en finit pas de finir. Le titre est bien choisi. Un tel visionnage sur une durée de 2h06 est en effet une expérience douloureuse. 

Sur ce, comme “la parole ne sait plus dire ce que les yeux ont vu” (tellement ils se sont ennuyés durant cette séance), je conclurai sur ceci. Réduire Marguerite Duras à ce “navet” cinématographique serait une erreur. Il y a de nombreuses autres façons d’en apprendre sur cette écrivain de génie et même si ce film a plutôt tendance à décourager tout individu d’aller feuilleter un livre de Duras, je vous invite quand même à le faire. Qui sait ? Vous pourriez être agréablement surpris.

Marilou Perreau

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