L’auteur de La Merditude des choses, Dimitri Verhulst, s’essaye pour la première fois au cinéma avec Waarom Wettelen. Un pari réussi puisque ce premier film d’un grand écrivain a constitué une des curiosités les plus réjouissantes découvertes lors de ce Fifigrot 2025.
De La Merditude des choses, Dimitri Verhulst a conservé son goût pour l’absurde et le dérisoire, une certaine noirceur et une fascination pour la vacuité de l’existence. Waarom Wettelen conte les funérailles de Christine, femme, mère, amie, à qui ses proches rendent un ultime hommage au cimetière. Mais son notaire arrive avant que les pelleteuses ne fassent leur office. Il souhaite exécuter scrupuleusement les dernières volontés de la défunte inscrites sur son testament. Elle désirait être enterrée à Wettelen, une ville que personne ne connaît, sauf le taciturne croque-mort qui enjoint les volontaires à suivre son corbillard au pas jusqu’à cette ville à plusieurs jours de marche. Une question demeure cependant : “Waarom Wettelen?” (Pourquoi Wettelen ?)
Vous trouvez que c’est n’importe quoi ? C’est normal : ça l’est.
La Merditude des choses était un récit initiatique qui puisait ses racines dans l’enfance. Waarom Wettelen prend place à l’autre spectre de l’existence, mais transforme l’expérience de la mort en une leçon de vie. Christine, la défunte, devient une figure à l’aura mystérieuse, presque une sorte de grande sage qui aurait confié une dernière quête insensée à ses proches dans l’espoir qu’ils en tirent un enseignement. N’est fait d’elle qu’un portrait en creux : nous ne connaissons ni son visage, ni le son de sa voix, ni son métier, son âge… Et pourtant, sa présence sous-tend tout le film. Le fait que les personnages parlent d’elles en permanence lui donne consistance, chair, comme si nous apprenions finalement à la connaître plus intimement de cette manière. Le superflu a disparu. On ne garde d’elle que son essence. On sait qu’elle était bonne vivante, portée sur la boisson, pas la dernière à danser ni à partir dans des voyages délirants. Elle avait de l’humour et une vie indépendante, au point d’avoir trompé son mari, stérile, pour devenir mère. Beaucoup d’amour et d’affection pour sa sœur, ses enfants, son époux. Une existence riche, à 100 à l’heure. Et qu’elle souhaitait être réincarnée en chameau. Très important le chameau.

Crédit : Graniet Film
Tourné presque entièrement en plans fixes avec très peu de cuts, Waarom Wettelen est un film à l’humour à retardement. À la manière de ses personnages qui marchent au pas derrière le corbillard, Dimitri Verhulst prend son temps pour dérouler l’intrigue. Ses dialogues ciselés, souvent grinçants, constituent la grande force de l’écriture de ce road-movie pédestre. C’est aussi un récit inspiré de la fable ou du conte, surtout par le fait que les personnages passent de scène en scène comme l’on passerait d’un chapitre à un autre. Chaque tableau présente une situation inédite avec ses personnalités ubuesques, dont le cortège funéraire doit tirer un enseignement. Contrairement à un conte classique cependant, la morale peut être ici de penser à bien réaliser son contrôle technique. Ou de prendre son maillot de bain, de même pour des funérailles. Le rythme lent révèle l’intrigue petit à petit et garde une part d’obscurité volontaire dans les relations entre les personnages. Même s’il y a clairement un avant-enterrement et un après-enterrement, toutes les pistes ne sont pas résolues. C’est un procédé qui peut être frustrant dans d’autres œuvres et nous laisser un sentiment d’inachevé, mais Waarom Wettelen nous promet un voyage, pas une destination. Se dévoilent à mi-mot des histoires de famille dysfonctionnelle, des vies troublées par un silence pesant et une incapacité à communiquer. D’où les dialogues absurdes, remèdes humoristiques aux souffrances, qui désamorcent tout ce qui devient trop douloureux.

Crédit : Graniet Film
Mais qu’on ne réduise pas Waarom Wettelen à une simple comédie de bas étage. Sous son humour décapant se cachent de véritables moments de poésie. Sur l’aspect visuel, le film offre de vraies pauses contemplatives magnifiques. La comparaison avec les peintres flamands paraît évidente au vu de l’origine du réalisateur. Ce n’est pourtant pas une facilité d’analyse : il y a vraiment quelque chose de pictural dans les grands paysages campagnards que traverse le convoi. On pense évidemment aux scènes de la vie paysanne de Brueghel l’ancien et ses couleurs chatoyantes, mais aussi à la lumière parfois inquiétante des fins de journées des tableaux de Van Dyck. Les références au paysage-monde sont nombreuses. Il s’agit d’une typologie de peinture le plus souvent réalisée d’une position surélevée qui permet de voir l’horizon et d’apercevoir des tours, des villages, des vallées et montagnes… Comme si le point de vue du spectateur permettait d’embrasser un monde entier en un seul coup d’œil. Les paysages-monde ont souvent servi dans le courant flamand de paraboles pour traduire des fables en images. On en revient encore une fois au registre du conte. Et le dernier quart d’heure, sublime petit bijou d’émotion, termine Waarom Wettelen sur une touche de beauté poétique inattendue d’une intense gravité.

Crédit : Graniet Films
On a souvent parlé du surréalisme magique dans le cinéma belge. Il y a quelque chose de cet ordre dans Waarom Wettelen, qui trouve un équilibre miraculeux entre humour absurde et drame familial à l’histoire parfois très sombre. Tout est surprenant dans ce film, chaque situation est plus loufoque que la précédente. Les personnages affrontent pourtant cela avec un stoïcisme quasi martial. Il aurait été facile de réaliser le même film avec une surabondance d’effets sonores cartoonesques et de cuts bien placés pour accentuer les moments comiques. Mais Waarom Wettelen brille par la sobriété de ses atours. Une sobriété qui laisse toute la place à son casting de prendre les devants. Et de dérouler tout leur potentiel. Aucune fausse note dans ces personnages dépareillés obligés, bon gré mal gré, de continuer à arpenter les routes de campagne ensemble, que leur chemin les mène dans un monastère rigide, un mariage lesbien sur le thème de la fricadelle ou un bien triste cirque avec son clown dépressif. On regrette peut-être que certains rôles passent un peu à la trappe. Dans cette ennéade, difficile de donner sa juste place à tout le monde. Le plus brillant revient à Peter Van den Begin en père de famille ravagé par la tristesse qui, avec sa tête de trois pieds de long rappelant la figure austère du critique culinaire de Ratatouille, campe un mari éploré qui tente de respecter les dernières volontés fantasques de son épouse.

Crédit : Graniet Films
Waarom Wettellen est un film brillant. Le genre de pépites que l’on souhaite plus souvent découvrir à l’écran. C’est une proposition personnelle et décalée, tout à fait unique et réjouissante. Le ton de ce film n’a pas été sans nous rappeler le jubilatoire Miracle du Saint Inconnu d’Alaa Eddine Aljem, qui avait aussi conquis nos cœurs lors d’une précédente édition du Fifigrot. La finesse d’écriture de Waarom Wettelen couplée à sa réalisation sans failles en font un des récits les plus pertinents sur les enterrements que l’on ait pu voir. Ce sont des moments un peu hors du temps, où se mêle un millier de choses contradictoires. La vie fait une pause étrange. Le drame personnel se vit en parallèle du reste du monde, qui continue à son rythme. La banalité du quotidien devient absurde de non-sens et de vide. La souffrance se marie aux rires. Les enterrements réconcilient parfois les personnes perdues de vue depuis des années. Les rituels cadrent la tristesse. Et permettent enfin à la vie de reprendre le dessus, et se remettre en marche… Même au pas derrière un corbillard.