Mauvais Genre

Si le cinéma peut se vivre comme un plaisir solitaire, il est aussi extrêmement agréable à consommer en bonne compagnie. C’est le propre des buddy movies de réunir devant l’écran.

PARTIE 1 : Leader of the Pack

Le Buddy movie est un genre de films qui affiche à l’écran ce que son spectateur pratique en le regardant : une bonne grosse marrade avec une bande de potes (qui comme le dit la chanson peut être composée d’un seul et unique membre).

En effet, le terme buddy signifie « ami » en argot américain. Le buddy movie est généralement basé sur une histoire réunissant deux personnages qui devront travailler en équipe pour se sortir de leurs problèmes. À savoir très souvent une armée de méchants armés qui souhaite les éliminer. Les caractères de nos deux compagnons se doivent également d’être opposés afin de montrer à quel point la différence peut être un bienfait (le buddy movie reste un genre essentiellement américain de la période guerre froide).

On trouve dans sa forme première des films comme Rio Bravo (1959), El Dorado (1966)  réalisés par Howard Hawks ou L’homme qui tua Liberty Valance (1962) de John Ford : trois westerns avec John Wayne associé à Ricky Nelson et Dean Martin pour Rio Bravo, James Caan et Robert Mitchum pour El Dorado et James Stewart pour Liberty. Dans les deux premiers, Hawks réutilise un canevas de stéréotypes et de situations qui annonce l’interchangeabilité des scénarios futurs du genre balbutiant ( John Carpenter fera d’ailleurs un remake/variation de Rio Bravo avec son deuxième long métrage en 1976 Assault on precinct 13, lui-même remaké en 2005 par Jean-François Richet, le réalisateur du diptyque Mesrine avec Vincent Cassel).

Des hommes, des flingues, une pin-up : what else ?

John Wayne incarne un shérif intègre qui doit lutter contre la corruption et l’impunité du plus gros propriétaire terrien de la région. Il est assisté de son meilleur ami alcoolique (Martin/Mitchum), d’un jeune pistolero habile mais arrogant (Nelson/Caan) et d’un old timer qui apporte un côté bouffon à l’ambiance qui peut parfois être pesante. Ayant arrêté le frère du propriétaire et tenant une chance de le faire tomber auprès de la justice pour escroquerie, meurtre et divers crimes, il se barricade dans la prison avec son équipe afin de survivre à l’assaut des hommes de main du rancher. Mais ces derniers réussissent à enlever un des adjoints. Il est alors obligé de procéder à un échange dans un endroit isolé qui deviendra le théâtre d’une fusillade monumentale (avec explosion de dynamite, prémices des futurs climax du cinéma d’action).

La réunion de deux stars sous la direction d’un réalisateur respecté : un argument devenu aujourd’hui courant

Dans Liberty Valance, James Stewart est un avocat idéaliste qui se retrouve confronté à la rude vie de l’ouest américain où la seule loi est celle de la force et des revolvers. Confronté à un Lee Marvin psychopathe, il se lie d’amitié avec John Wayne qui y incarne un cow-boy solide et intègre mais capable de tuer de sang froid quand il le faut. Leur amitié se construit aussi via une rivalité amoureuse envers la jeune fille qui héberge Stewart et à qui il apprend à lire (un vrai buddy partage tout, même les femmes). Outre la formidable déconstruction du mythe de l’ouest orchestré par Ford, le film est un excellent standard de l’amitié virile cinématographique. On trouve là le point de départ de bon nombre d’histoire qui, une fois passé à la moulinette des années 80 deviendront les classiques des films d’actions. 

PARTIE 2 : Macho Men

Les mâles alphas éditions 80’s

C’est véritablement avec les années 80 et l’arrivé des action heros Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger et Bruce Willis que le buddy movie explose. Après avoir incarné l’idéal masculin du « one man army » dans Rambo/First Blood (1983) de Ted Kotcheff, Commando (1985) de Mark L. Lester et Die Hard/Piège de Cristal (1988) de John McTiernan, ils vont former des équipes détonantes avec d’autres actionners (Kurt Russell avec Sly dans Tango et Cash en 1989 réalisé par Andrei Konchalovsky et Albert Magnoli), des acteurs de comédies ou de stand-up (James Belushi avec Schwarzy dans Double Détente en 1988 de Walter Hill, Damon Wayans avec Willis dans Le Dernier Samaritain en 1991 de Tony Scott).

Une des premières répliques de Stallone dans le film :  « Rambo, c’est un pédé ! »

Les deux premiers narrent une enquête menée par deux flics aussi différents qu’efficaces : Sly s’habille en Armani et porte des lunettes de premier de la classe, tire avec un revolver Smith & Wesson model 36 Chief’s Special tirant du calibre 38, soit un très petit pistolet au canon court alors que Tango est en santiags et jean usé et tire avec un Ruger GP 100  calibre 357 magnum (utilisé couramment pour la chasse à l’éléphant) équipé d’un pointeur laser LS45.

Dans le film de Hill, Schwarzy est un agent de police soviétique qui travaille avec un agent américain lors d’un échange culturel. Le Dernier Samaritain allie un ancien agent des services secrets (les gardes du corps du président des États-Unis) devenu détective privé, alcoolique et en instance de divorce, avec un champion de NFL cocaïnomane dont la fiancée (sublime Halle Berry) vient d’être assassinée alors qu’elle demandait la protection de Willis.

La naissance du buddy movie en tant que style reconnu

On oublie injustement 48h (1982) et sa suite 48h de plus (1990) réalisés par Walter Hill (encore lui !), un excellent artisan du film d’action et techniquement inventeur du buddy movie comme genre à part entière, avec Nick Nolte en flic chargé de protéger Eddie Murphy dans son premier rôle cinéma en truand devant témoigner lors d’un procès en échange d’une réduction de peine. L’alpha et l’oméga du buddy movie reste malgré tout la saga l’Arme Fatale (4 épisodes réalisés par Richard Donner en 1987, 1989, 1992 et 1998 et scénarisés pour les deux premiers volets par Shane Black également scénariste du Dernier Samaritain et réalisateur de l’excellent Kiss Kiss Bang Bang qui annonçait le retour de Robert Downey Jr en 2005) et l’excellent duo Mel Gibson et Danny Glover. Leur duo, devenu un trio avec l’arrivée de Joe Pesci à partir du 2, fonctionne extrêmement bien et la réalisation est spectaculaire. À nouveau une histoire de flics coéquipiers mais différents : Mel Gibson / Martin Riggs étant suicidaire depuis la mort de sa femme et Danny Glover/  Roger Murtaugh étant au bord de la retraite et « too old for this shit ». Le cocktail est jubilatoire et l’alchimie entre les acteurs parfaite.

L’étalon des buddy movie. Tous réalisé par Richard Donner qui réalisera le premier Superman et servira de référence à Nolan pour sa trilogie Dark Knight.

Après son âge d’or des années 80/90, le buddy movie perd peu à peu en popularité, la faute à une overdose de productions et des héros vieillissants peinant à convaincre dans les scènes d’action repoussant les limites du too much. Il faut attendre la résurrection de ces idoles avec le jouissif Expandables (réunion des Anciens Acteurs de films d’Action) de et avec Sylvester Stallone pour retrouver le charme de ces années où la virilité n’était pas synonyme de “féminophobie” mais simplement de divertissement.

Partie 3 : Les Copains d’abord

Bien que le genre semble être exclusivement américain, la France a su intégrer le buddy movie dans son paysage audiovisuel par le biais de comédies avec des films comme Ne nous fâchons pas en 1966 avec Lino Ventura et Jean Lefebvre et L’Emmerdeur avec toujours Lino Ventura et Jacques Brel cette fois, La chèvre en 1981 et Les compères en 1983 ainsi que Les fugitifs en 1986 avec Gérard Depardieu et Pierre Richard . Dans ces cinq films on retrouve dans le scénario la dualité entre les deux protagonistes : Ventura est un truand respecté ou un tueur efficace qui se retrouve avec un bookmaker minable ou un représentant de commerce maladroit et suicidaire dans les pattes, Depardieu un gars costaud et courageux, amateur de bourre-pifs, qui se coltine un Richard burlesque à souhait en timide maladroit et malchanceux. Si Ne nous fâchons pas est scénarisé par Michel Audiard, formidable dialoguiste, les quatre autres les sont par Francis Veber, auteur de comédies et inventeur du personnage de François Pignon, personnification de l’élément perturbateur dans tous ses scénarios. À savoir que des équivalents d’Expandables (casting de stars, grosse production, équipe ou bande au lieu du duo) furent réalisés très tôt : Les Tontons Flingueurs de Georges Lautner (également réalisateur de Ne nous fâchons pas) et écrit par Audiard en 1963, Les Barbouze en 1964 par et avec la même équipe et le cultissime L’aventure c’est l’aventure de Claude Lelouch en 1972 avec toujours Lino Ventura et Jacques Brel (le buddy movie étant décidément un genre à cercle restreint) mais également Aldo Maccione, Charles Denner et Charles Gérard (des grands habitués des seconds rôles dans le cinéma français et des vraies tronches reconnaissables).

On retrouve tous les codes promotionnels des films d’aventure/action/buddy movie dans cette affiche, les armes en moins (les substituts phalliques passent mal en France)

On notera dans la production française le film de Patrice Leconte Les Spécialistes en 1985 avec les belles gueules aventuriers Gérard Lanvin et Bernard Giraudeau. Ici ce sont deux truands qui s’enfuient ensemble mais l’un d’eux se trouve être un flic infiltré. Avec des scènes d’action assez efficaces (bien que le film ait vieilli), on retiendra surtout les prestations des deux comédiens qui représentaient alors un renouveau bienvenu des acteurs stars en France alors complètement trustée par Alain Delon et Jean Paul Belmondo depuis plus de 10 ans qui eux même se sont retrouvés dans un proto buddy movie français Borsalino en 1970 par Jacques Deray.

Le Buddy movie possède son pendant féminin qui est le chick flick (le « truc de gonzesse » en argot américain). Mais ce sera pour une prochaine fois.

The Watcher
   

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