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Robin Bank, portrait d’un activiste utopiste

Portrait d'Enric Duran dans le film Robin Bank
Enric Duran, figure centrale du fim Robin Bank. Source

En voilà un film au sujet compliqué et polémique ! J’ai eu la chance de découvrir Robin Bank lors du festival Cinespaña 2022 en présence de la réalisatrice, Anna Giralt Gris, dont je retranscris certaines interventions au fur et à mesure de l’article.

Robin Bank est un film documentaire centré sur Enric Duran, un activiste catalan connu du grand public pour son “grand coup” de 2008: en pleine crise financière suite au dépôt de bilan de la banque Lehmans Brothers, il annonce publiquement avoir extorqué près d’un demi million d’euros à différentes banques d’Espagne en contractant des crédits, et avoir distribué cet argent à différents mouvements et actions anticapitalistes. Forcément, un sujet aussi politique et encore brûlant ne peut pas plaire à tout le monde, et nombre de spectateurices sont partis de la salle à la fin de la projection en murmurant “propagande” dans leur barbe.

Bande annonce du film Robin Bank

Ce serait pourtant très mal interpréter les intentions de la réalisatrice. Son film est construit comme un voyage où elle retranscrit son parcours de création. Ses doutes, ses tâtonnements, ses échecs, elle les exprime directement devant la caméra. Elle assume ainsi une part de subjectivité, en dévoilant le processus de réalisation à l’œuvre : oui, elle peut admirer Enric Duran par moment, être fascinée par sa figure mais elle questionne aussi ses actions et n’hésite pas à entrer en débat avec elle-même. Jamais elle ne tombe dans un quelconque jugement moral. Au contraire, elle s’exprime lors de la rencontre : “ Je crois qu’on ne peut pas juger ce personnage sur un plan moral, en tous cas c’est ce que le film essaie de ne pas faire: le juger. Si les gens veulent émettre des jugements, ça leur appartient, mais moi j’ai laissé cet espace libre. “

Ce documentaire est bien plus un portrait qu’un reportage explicatif des idées d’Enric Duran. Ce n’est pas un film porte-parole de ses opinions ou de ses actions. Ses faces sombres et les zones d’ombre de sa quête (pas de réponse concrète apportée à “où est allé l’argent” par exemple) sont exposées. Comme le dit la réalisatrice : “C’est un film qui a été pensé pour le public mais dans le bon sens du terme, ça n’est pas un film qui a pour but d’informer, de diffuser des informations ou de donner des solutions, mais juste d’essayer de comprendre les idées d’Enric Duran et qui il est. C’est un homme qui a choisi de prendre un détour, c’est une rareté d’avoir une personne qui soit autant cohérente de A à Z dans son récit de vie.”

Anna Giralt Gris lors de la rencontre-projection pendant le festival Cinespaña 2022
Anna Giralt Gris lors de la rencontre-projection pendant le festival Cinespaña 2022

Le personnage d’Enric Duran, romanesque, presque picaresque, mérite à lui seul qu’on se penche dessus pour en faire un film. C’est un personnage polémique, controversé par ses actions radicales, mais absolument fascinant. Il a décidé de consacrer sa vie à défendre ses idées par de l’activisme, il est d’ailleurs recherché par la justice, en fuite perpétuelle pour se battre pour ses convictions. Certains l’ont d’ailleurs surnommé “le Robin des Banques” tant son action au principe simple, prendre l’argent où il y en a et le redistribuer où il en manque, rappelle le fondement de la figure du voleur au grand cœur.  Robin Bank aurait d’ailleurs très bien pu être une fiction, version film d’arnaque – mais de gauche ! – à la Ocean’s pour raconter le casse en lui-même, ou bien version thriller noir politique pour narrer sa vie en exil. Le traitement documentaire permet cependant de ne pas mettre à distance la réalité, de la réancrer dans notre époque. La réalisatrice a d’ailleurs eu des soucis pour faire financer le film : vouloir rencontrer Enric Duran, fugitif recherché, c’est flirter avec les limites de la légalité… De nombreux producteurs ont donc été frileux à l’idée d’investir dans une réalisation aussi controversée.

Si le film a donc cette volonté d’ancrer ce personnage improbable dans notre réalité, un procédé de mise à distance a cependant été utilisé : de nombreuses scènes en animation ponctuent le tout. Elles ont été réalisées par Laura Ginès et Pepón Meneses, quelques exemples sont visibles dans la bande annonce. Ces scènes sont comme des pauses narratives, qui permettent d’expliquer des concepts complexes ou bien de s’attarder sur un moment clef dans le parcours de vie d’Enric Duran. Pour Ana Giralt Gris, “utiliser l’animation, c’était une chose qui me permettait beaucoup de choses, d’avoir plus de liberté créatrice. L’animation sert à exprimer des choses importantes dans le film, c’était une manière de jouer avec la temporalité et d’arrêter le temps en quelque sorte, pour faire un focus sur des choses importantes. C’était aussi quelque chose que je n’avais jamais essayé et c’était intéressant de découvrir ça. L’animation est un medium avec une grosse partie esthétique, mais qui est aussi très libre : tu peux en faire ce que tu veux. ça te permet, d’une certaine manière, de rêver, de penser les choses autrement aussi. Avec un personnage comme Enric Duran, qui touche à des questions essentielles et très profondes comme la survivance, la remise en question du monde, ce qui est légal et légitime, la remise en cause étatique, c’était important d’avoir un medium adapté à ces questions qui sont très conceptuelles. L’animation était aussi une manière d’inventer, d’imaginer cet autre monde qui existe dans les pensées d’Enric. C’est un terreau très fertile.”

Un extrait des scènes en cinéma d'animation du film Robin Bank : un homme face à un écran
Un extrait des scènes en cinéma d’animation. Source

Robin Bank est un documentaire enrichissant et très fort. Je suis ressortie en ayant appris plein de choses, en pleine introspection à propos de mon propre militantisme, de mes rêves, du monde dans lequel on vit. C’était d’ailleurs un des buts d’Anna Giralt Gris :  “c’est un film qui questionne, en tous cas moi en le tournant j’en suis ressortie avec beaucoup de questions, si le public aussi, tant mieux.“. Le sujet est certes complexe mais abordé avec beaucoup de fraîcheur et de simplicité. Lorsqu’il apparaît enfin à la caméra, Enric Duran n’est rien de plus, rien de moins que ce que l’on a appris jusque-là : un être humain rempli de rêves et d’espoir, qui a sacrifié sa liberté pour mener à bien ce qu’il pense être juste. 

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