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Teddy

Du cinéma d’horreur inventif et généreux

Avant que la vie culturelle ne se mette en hibernation, il y a eu le Fifigrot, festival international du film Grolandais de Toulouse, qui célèbre chaque automne des œuvres qui sortent des cadres. En séance d’ouverture, j’ai eu la chance de voir Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma, une réinterprétation rurale du film de loup-garou qui transpire l’amour du cinéma. Pour l’instant, peu de spectateurs ont pu voir le loup (et je m’arrête là pour les jeux de mots). Avec un passage remarqué dans plusieurs festivals (Deauville, l’Étrange festival), le film est prévu en salles pour mars 2021, et aucun doute qu’il va faire parler de lui. Teddy démontre, si c’était encore à prouver, que le cinéma de genre français a de très beaux jours devant lui. 

Un portrait d’adolescence

On n’associe pas souvent la France au film de genre, et pourtant des œuvres remarquables émergent depuis quelques années. Je pense au magnifique récit initiatique carnivore Grave (Julia Ducournau), au western halluciné franco-belge Laissez bronzer les cadavres (Hélène Cattet et Bruno Forzani) ou encore à la série Les Revenants (Fabrice Gobert), inégale mais tellement inventive… Non seulement Teddy est un film d’horreur français, mais il se déroule au fin fond des Pyrénées-Orientales. Et le petit patelin du film n’est pas simplement la transposition des petites villes de l’Amérique profonde qui font le théâtre de l’horreur US. Même si les deux réalisateurs de 28 ans, originaires du Lot-et-Garonne, s’amusent à fond sur les clichés géographiques, avec des personnages aussi surréalistes que la taille de la moustache du gendarme du village, il y a aussi une réelle authenticité qui se dégage dans l’expérience monotone que peut être une adolescence à la campagne. Teddy, le personnage principal qui va être mordu, est un ado grande gueule et déscolarisé qui a du mal à s’intégrer au microcosme de son village. Personnellement, j’ai retrouvé des souvenirs dans les jeux de mots pourris de l’animateur du loto, les petites cérémonies du 14 juillet, les commérages des voisins et l’accent des comédiens qu’on sent vraiment (pour une fois !) local. L’adolescence dans Teddy n’est pas qu’un prétexte pour aborder le thème de la transformation physique : elle est représentée avec beaucoup de justesse, de l’angoisse des premiers choix de vie aux fêtes de fin de lycée, en passant par les premiers chagrins d’amour.

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Économique et inventif

Teddy est imparfait, mais on n’a envie de retenir que ses qualités. Les frères Boukherma, avec une ambition modeste, réinventent tranquillement les codes du genre. On sent toute l’énergie et l’amusement des acteurs, tous géniaux (surtout Anthony Bajon, qui ne cesse de m’étonner de film en film, ici à la fois viscéral, tendre, et sacrément cherche merde). C’est un film qu’on ne peut que défendre parce qu’on y sent une véritable envie de faire du cinéma. À la fin de la projection, quelqu’un dans la salle s’est plaint qu’on “ne voyait pas assez le loup”. Mais sans le pouvoir de la suggestion, des films comme Alien ou The Thing auraient perdu toute leur dimension horrifique ! L’économie de Teddy est justement ce qui fait sa force. De ses moyens modestes de production résultent une mise en scène extrêmement inventive. Chaque plan est une idée : le film regorge de recherches plastiques, dans sa manière de filmer les corps, ses surcadrages, ses jeux de lumière… Teddy est généreux à tous les niveaux, dans ses dialogues aiguisés, ses personnages hauts en couleurs, et jusque dans son sublime générique de fin où il trouve encore quelque chose à offrir à nos yeux et nos oreilles. 

© tout droit réservé

Hilarant et sordide

L’économie de Teddy lui permet un ton décalé, et c’est vraiment très réussi. Les dialogues sont parfaits, chaque mot fait son effet, et le film regorge de punchlines telles que Rebecca, la petite amie de Teddy, qui affirme avec sérieux « je ne suis plus une gamine maintenant : j’écoute PNL ! ». Les films d’horreur adoptent souvent la comédie lors de l’exposition pour ensuite gagner en gravité, mais Teddy poursuit son engagement comique jusqu’au bout, et la salle était pliée en deux durant toute la séance. Mieux, le film réussit à contrebalancer le burlesque avec le trivial le plus sordide, une dualité parfaitement incarnée par l’oncle de Teddy (Ludovic Torrent), que je ne suis pas près d’oublier, ou par une Noémie Lvovsky déchainée et qui fait très, très peur. 

Courageux, inventif, généreux, Teddy est un film bienvenu dans le paysage audiovisuel français. L’année 2021 s’annonce décidément intéressante, avec la sortie d’une autre pépite horrifique made in France (également distribuée par The Jokers) dont les premiers retours sont très enthousiastes : La Nuée de Just Philippot, où il est question d’une invasion de sauterelles qui n’est pas sans rappeler l’angoisse des tornades de Take Shelter, le chef-d’œuvre de Jeff Nichols.

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