Chantal Birman est une sage-femme de 70 ans qui a consacré 50 ans de sa vie aux mères et à leurs nouveau-nés. Si dans l’imaginaire collectif une sage-femme est là pour donner la vie lors de l’instant crucial de l’accouchement, le métier ne s’arrête pas là : il est aussi un accompagnement physique et psychologique qui se poursuit après la naissance. C’est sur ce point-là que gravite le documentaire d’Aude Pépin. Mais ici on ne tourne pas autour du pot, on entre directement dans un sujet encore tabou et très rarement abordé au cinéma : le post-partum. Pourquoi me diriez-vous ? Parce qu’il y a une idéalisation de la maternité, qu’on parle d’un « heureux évènement », et ce n’est pas sans rappeler le film du même nom réalisé par Rémi Bezanson qui effleure ce sujet-là, avec une Louise Bourgoin en jeune maman déboussolée s’interrogeant : « Je n’ai pas le droit d’être malheureuse. Un bébé c’est censé être la plus belle chose au monde non ? ». Et il est peut-être là le tabou, creusé par un fossé entre ce qu’on nous vend et raconte de la maternité, et ce qu’il en est réellement. On a d’ailleurs inventé un doux euphémisme pour enrober la dépression post-partum ; le baby-blues. Et je ne peux m’empêcher de penser à Florence Foresti qui aborde avec humour ce point : « Non… Johnny il a le blues. Pendant que toi tu fais une dépression post-partum […] C’est joli baby-blues, on a presque envie de l’avoir »…
La vie après la naissance
Dans ce documentaire, pas de séquence d’accouchement en gros plan où une femme crie en suant sang et eau pour mettre au monde sa progéniture – donnant au spectateur et surtout à la spectatrice l’envie de monter un dossier d’adoption – mais beaucoup de dialogues. Le film ne s’ouvre pas directement sur de l’image, mais sur un échange verbal entre Chantal Birman et une patiente. Dès le départ, nous sommes placé.e.s en position d’écoute. L’écoute, c’est le point de départ et le fil rouge que tisse la sage-femme en plus d’être une observatrice discrète. Avec sa caméra, Aude Pépin parvient à montrer les corps mais en restant dans une démarche intimiste. Si elle s’évertue à ne pas exposer certaines parties comme les organes génitaux, la réalisatrice filme tels quels, les seins douloureux, les ventres rabibochés par des agrafes post-césarienne, mais aussi les visages fatigués, les cernes café au lait et surtout les pleurs, qui ne sont jamais bien loin.
On observe alors Chantal au cœur de son travail de soignante : elle laisse couler les larmes, recueille la parole et les non-dits, écoute les silences. Par son expérience et son attention, elle panse les maux physiques et psychiques de ces femmes à fleur de peau. Avec le peu de temps qu’elle détient pour les soutenir, elle aborde sans fioriture mais toujours avec délicatesse, ce qui se joue parfois à l’intérieur : phobies d’impulsion de mort sur son nourrisson, fatigue nerveuse, peur, culpabilité, isolement, histoire familiale qui interfère etc. Les sourires crispés et les yeux embués des interlocutrices prouvent bien que Chantal tape dans le mille et désamorce certains tabous pour amorcer un début de compréhension et de délivrance. La sage-femme troque le désarroi contre la confiance, en soi et en son bébé : « Plus on fait confiance à quelqu’un, plus il a de force ». Elle redonne aux femmes ce que l’accouchement et les actes médicaux ont parfois atrophié : de l’assurance et de l’estime de soi essentiellement et souligne cette double rencontre, celle avec le bébé, et les femmes avec leur nouveau statut de mère. Si avoir un enfant peut être un bonheur incommensurable, c’est surtout un sacré chamboulement où les jeunes mamans ont besoin d’apprentissage et de vivre au mieux cette grande étape. L’allongement du congé paternité à 28 jours depuis le 21 juillet 2021 arrive comme un début d’amélioration et de prise en compte de l’importance du père dans les premiers jours de l’enfant. C’est une évolution positive même si on reste loin derrière la Finlande qui propose 7 mois de congé parental indemnisé.
Chantal Birman, la militante
Qui de mieux qu’une sage-femme, chargée de donner la vie, pour parler d’IVG ? Chantal Birman a accompagné les femmes dans tous leurs choix, que cela soit pour donner naissance avec ou sans péridurale, ou pour pratiquer des avortements, pour la plupart clandestins à l’époque. On apprend qu’elle a elle-même été confrontée à cette intervention, et que dans les heures qui suivaient elle aidait une femme à enfanter. Elle raconte son histoire de manière décomplexée comme pour affirmer une fois de plus qu’une femme dispose de son corps et qu’elle ne doit pas en avoir honte ni forcément éprouver des regrets, quelle que soit sa décision. Chantal est toujours du côté des femmes et de la liberté. C’est une passeuse de flambeau et elle profite de l’énergie qu’il lui reste pour diffuser des messages importants à la génération qui suit. Une génération qui a beaucoup à apprendre d’elle, mais qui peut aussi lui apporter, elle le reconnaît, car on ne finit jamais d’apprendre et de déconstruire, pour bâtir une meilleure société, une meilleure compréhension de l’humain.
A l’heure où les sage-femmes sont sorties dans la rue pour manifester le manque de reconnaissance de leur profession et la carence d’effectifs, et qu’elles n’ont eu pour réponse que l’indifférence des politiques, je me dis que le cinéma est parfois là pour colmater les dégâts du je-m’en-foutisme qui règne à L’Elysée. Ce n’est pas un documentaire qui revalorisera les salaires et embauchera plus de sage-femmes, mais on peut dire au moins qu’il a le mérite de rendre hommage à ces soignantes et de manière générale, aux femmes, qu’elles soient mères ou non. Aude Pépin signe ici une première réalisation d’utilité publique, éducative, politique et ô combien humaniste.