Critique du film Adults in the Room

Adults in the room : tragédie politique

De Costa-Gavras avec Christos Loulis, Alexandros Bourdoumis, Ulrich Tukur 

L’histoire est basée sur une histoire vraie. En Grèce, après 7 années de crise, la gauche est élue pour relayer les espoirs du peuple. Yanis Varoufákis, ministre des finances, va mener un combat sans merci dans les coulisses occultes des banques européennes, qui souhaitent imposer au pays une austérité encore plus drastique.



Nous avons eu la chance de rencontrer le réalisateur quelques jours après l’avant-première du film. Affublé de ses fameuses chaussettes rouges, il s’est prêté à une séance de questions réponses en conférence de presse en compagnie de Michèle Ray Gavras, sa productrice. 

Un film de Costa Gavras à l’écran, c’est toujours un évènement ! A 80 ans passés, le réalisateur “ qui ne pense ni à l’âge, ni à la retraite”, garde son regard aiguisé et mordant sur notre société. Et quoi de mieux pour lui que de revenir sur ses terres natales, la Grèce, et parler de la crise économique catastrophique qui frappe le pays ?

Adults in the Room est basé sur un livre écrit par Yánis Varoufákis, le ministre des finances élu par la gauche lui même. Le risque, en se basant sur ce livre, était de sombrer dans un certain manichéisme.

Cette question du manichéisme est pour Costa Gavras une fausse problématique. Le réalisateur qui s’est toujours engagé “contre la dictature de l’argent” affirme “être du côté des victimes : dans un conflit, il y a toujours des décideurs et des victimes. Si être du côté du peuple me rends manichéen, alors j’assume de l’être !”

Mais qu’on se rassure, cet écueil est évité grâce à la grande force du film : sa justesse et son besoin de véracité. En plus du livre, Costa Gavras est en effet remonté à la source en se basant sur des enregistrements pris à l’intérieur même de la chambre de l’Eurogroupe. Ainsi, des dialogues aussi surréalistes que “ l’Eurogroupe n’a aucune légalité “ ou encore les conseils du ministre allemand qui dit que signer le pacte revient à condamner le peuple grec à une énorme crise humanitaire, sont des choses… Tout à fait réelles ! Costa Gavras prend aussi les précautions nécessaires pour nous faire comprendre les agissements de chacun. Au sein d’une économie complexe, régie par des principes qui n’ont plus rien d’humain, il parvient à nous faire comprendre les logiques internes de chacun des acteurs de ce système et à se détacher de tout jugement. Imaginez, j’ai même eu de la sympathie pour Christine Lagarde !

Cet aspect fataliste, désillusionné et inéluctable de la finalité des discussions avec l’Eurogroupe donne des accents tragiques au film. De l’aveu même de Costa Gavras, il a écrit Adult in the Room comme une “ tragédie” dans son essence la plus grecque, faisant même référence au choeur antique venant rythmer le parcours du personnage principal, Yanis: l’Eurogroupe semble en effet représenter le fatum, le destin tragique, qui s’exprime d’une seule et unique voix pour condamner son héros. En utilisant cette forme qui est souvent teintée d’ironie, Costa Gavras réussit à faire un film politique sans tomber dans la lourdeur didactique d’un documentaire.

L’acteur Christos Loulis qui interprète Yanis porte le film. Il est très juste dans son interprétation, en possède ce degré de flegme et d’impertinence nécessaire pour interpréter ce rôle d’un homme seul contre tous. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Christos Loulis n’était pas le choix premier au casting. Mais l’acteur ayant été choisi en premier ne parlant pas assez bien anglais, l’équipe s’est rabattue sur Christos Loulis… Et n’a pas perdu au change, si vous voulez mon avis, tant cet acteur semble être taillé pour ce rôle. 

 La figure individuelle luttant contre le système, et finissant par s’y briser les ailes, est un trope bien connu des films de Costa Gavras. Pour lui, Yanis n’est “pas un héros : c’est un résistant”. Une nuance nécessaire car, dans la vraie vie, le personnage a été traîné dans la boue par ses adversaires qui le présentaient comme violent et fermé au dialogue. Ils ont tenté de le décrédibiliser par tous les moyens. En redorant son image, Costa Gavras voulait aussi rétablir une sorte de vérité et d’équilibre dont le peuple grec semble avoir grandement besoin. Selon Costa Gavras, le film a été accueilli avec beaucoup de douleur dans son pays, qui a du mal à voir la vérité exposée ainsi. Ce qui les frappe en premier lieu est la trahison de leur premier ministre, qui a signé un traité qui les a blessé durablement. 

Costa Gavras se permet aussi de prendre de la distance avec son sujet en montrant combien il est compliqué de parler de crise financière. Lors d’une scène de confrontation des banques et de la Grèce, des chiffres et notions d’économie fusent de toute part. Tout spectateur novice sera perdu. Costa Gavras le sait bien, et crée à ce moment là une scène surréaliste, avec les chiffres qui forment une farandole rythmée par la musique joyeuse d’Alexandre Desplat. Pour Costa Gavras, malgré la difficulté du sujet, il fallait avant tout “faire du cinéma” et prendre ses distances avec tout ce qui aurait pu trop alourdir son propos. 

La musique, parlons-en : le récemment oscarisé musicien qui est “à moitié grec” a composé une bande son très intéressante, basée sur des instruments traditionnels grecs. Dynamique, décalée, souvent ironique, la musique est utilisée intelligemment pour booster le film et empêcher la lourdeur explicative. Costa Gavras utilise souvent de la musique illustrative, ici elle est ironique, servant à illustrer l’hypocrisie des gens “qui disent des choses mais ne les pensent pas”.

Une seconde scène surréaliste, à la fin du film, vient à nouveau décaler le propos pour offrir une respiration bienvenue. Alors que Yanis vient encore de vivre une confrontation tendue avec l’Eurogroupe, la totalité des représentants de ces pays sort de la salle et entame une danse autour de Yanis, exprimant avec leurs corps et leurs gestes la cage se resserrant autour de Yanis. Pour la petite anecdote d’ailleurs, au moment de tourner la scène, Michèle Ray Gavras s’est aperçue qu’il manquait des figurants afin de représenter la totalité des pays de l’union européenne. Costa Gavras s’est donc fondu dans la masse, rejoignant ainsi la longue tradition des réalisateurs faisant des caméos dans leurs films… Même si c’était au départ involontaire ! 

Hélas, ces effets de style n’empêchent pas certaines longueurs. Le film dure 2 h 04 et aurait peut être gagné à avoir des coupes plus radicales afin d’éviter une certaine torpeur qu’on ne peut s’empêcher de ressentir à certains moments. La scène de danse finale, ainsi que quelques passages au comité européen notamment, auraient pu être raccourcies pour raviver le dynamisme d’un film qui a tendance à se reposer sur ses lauriers. 

En dehors de ce souci de rythme, Costa Gavras signe un film fort et fin, qui ne tombe pas dans le manichéisme auquel on pourrait s’attendre, ni dans le pathos. Il vulgarise de manière didactique des notions complexes tout en n’oubliant pas de rester cinématographique, avec la touche d’humour nécessaire pour soutenir l’ensemble. C’est un film dans la droite lignée des autres réalisations de Costa Gavras : pertinent, actuel, sincère, et toujours d’utilité publique. Et pour laisser le mot de la fin à l’artiste : “ Avant, on prenait le pouvoir avec les tanks, maintenant on le prends avec les banques”.



Nous remercions chaleureusement le cinéma American Cosmograph pour l’organisation de cette rencontre, ainsi que nos confrères Joel Attarad des Fiches du CInéma, Sylvaine Collart de Versatile Mag, Christian Moretto de Radio Occitanie, Nicole Clodi et Chloé Henry de la Dépêche du Midi, ainsi Jacques Lavergne pour Esprit Occitanie de nous avoir permis de citer leurs questions pendant la conférence de presse. 

Et merci aussi pour ce joli moment “bonus” de partage de photos de tournage sur Toulouse ,) 

‍Dolores

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