BANZAÏ !!! Voici bien l’effet d’Assassination Nation.
Fin de la critique, remballez l’Écran, remballez Fifigrot, remballez l’Amérique.
Non, je plaisante. Par où commencer ? Récemment, j’ai écrit quelques mots sur Euphoria, que j’ai humblement qualifiée de meilleure série de l’année, en concluant ma critique d’un “je vais donner sa chance à Assassination Nation”, du même réalisateur : Sam Levinson. Comme à Toulouse, le hasard fait toujours bien les choses, je découvre peu de temps après que le festival du cinéma grolandais a programmé le film !
De quoi ça parle ? Simple (non) : un hacker dévoile la vie privée et souvent compromettante des habitants de la ville de Salem (oh !). Ensuite ? Ça tourne mal.
Le film de Sam Levinson évoque rapidement une sorte d’épisode de Black Mirror, dans le principe, en ce qu’il propose un véritable miroir noir, déformé et déformant, de la réalité. Plus acide et chargé que de la simple satire, Assassination Nation réussit toutefois là où Black Mirror ne brille décidément plus : il prend de la hauteur et soulève des enjeux politiques et moraux résolument actuels et, attention gros mot, il assume de prendre position ! (Un peu comme Fifigrot, non… ?)
Soyez averti : Assassination Nation commence donc en satire de la société américaine, piquante, mais somme toute déjà vue, si ce n’est qu’elle intègre davantage les usages des réseaux sociaux. Mais le film bascule, et bascule, et re-bascule, jusqu’à devenir ce film de genre improbable, démesuré et jubilatoire, un home invasion, un film de guerre, un film de super-héroïnes, un revenge movie… Une véritable montagne russe générique et hyper référencée dont chacun des moments de bascule est un choc visuel. Le genre qui provoque des rires surpris ou des “oh putain” dans la salle. Et, cerise sur le gâteau, Sam Levinson expérimente dans tous ces glissements, jusqu’à vous mettre KO grâce à ce (faux?) plan-séquence de home invasion dont l’intensité nerveuse est à couper le souffle.
Tout cela, semble-t-il, illustre encore à la perfection ce que Jennifer Reeder disait à propos de son propre film, Knives and Skin : la nécessité de “l’amitié féminine en stratégie de survie”. Parce que oui, attention, nouveau gros mot, mais Assassination Nation propose un discours… féministe. Et pas gentillet-féministe, non… plutôt, “f*ck you” all féministe, enfilons nos capes et costumes, sortons les armes et reprenons les rues, “levons nous et brisons nos entraves, debout, debout” ! Mais je m’emporte. En vérité, c’est bien de cela qu’il s’agit : d’une stratégie de résistance, associée à un discours réellement “empowering”, diffusé… sur les réseaux sociaux ! S’il ne fait clairement pas dans la dentelle, le film est plutôt malin dans sa charge, parce qu’en compilant les maux d’une certaine Amérique actuelle (CSP+, essentiellement), il en fait remonter à la surface la culpabilité profonde et consentie. Tandis qu’on croit avoir droit à une réflexion superficielle sur l’aspect néfaste des réseaux sociaux et les condamnations rapides sur base de quelques tweets remontés à la surface, on réalise peu à peu qu’Assassination Nation décale son propos pour éclairer les victimes éternelles : les minorités.
Assassination Nation n’a ainsi pas pour vocation, tout comme Euphoria, de verser dans une technophobie déconnectée (ah) de la réalité politique et sociale. Cette réappropriation se fait dans la violence (de réaction) et s’élabore ainsi avec et pour toutes les femmes, présentes chez Levinson : femmes noires, blanches, trans et cis, notamment. Pour autant, il se joue ici également un conflit strictement générationnel, qui rappelle que le film est aussi un teen movie et annonce, surtout dans sa première partie, l’excellente Euphoria. Radical, Assassination Nation prend la mesure de l’exploitation, du voyeurisme et des abus, en général, des figures d’adultes et surtout paternelles vis-à-vis des jeunes adolescentes.
Radical, le film de Sam Levinson l’est aussi dans ses audaces formelles et narratives. Jouant d’une voix-off en flashback, voix-off de Lily Collins, figure classique de bimbo revisitée et nuancée à l’occasion, Assassination Nation ne prend pas autant de libertés qu’Euphoria, mais dispose toutefois d’une sorte de chapitrage marqué et alterne ici et là avec des séquences davantage “clipesques”, un procédé simple, pas le plus original, mais définitivement efficace. L’intérêt du film tient aussi dans sa dimension méta, qui fait de l’ensemble de ces appels au clipesque, au ralenti, au format instagram, entre autres choses, l’expression d’un certain rapport à la culture populaire actuelle, bien plus qu’un exercice de style facile. Lequel est, au fond, aussi conflictuel, contradictoire, que symbiotique et intime. Le méta n’est pas qu’allusif : le film fait clairement dans l’adresse au spectateur, adresse-invective, adresse-complice, pour enfoncer le clou de sa charge et donner la parole à celles à qui on l’a volée, jusqu’au regard caméra.
Alors, bien sûr, on peut interroger la portée… jubilatoire d’un dernier acte violent de revenge porn : cela ne risque-t-il pas de tenter, au fond, ce même voyeurisme des spectateurs ? De donner raison à cette petite voix : “ils l’ont bien mérité” ? Il y a quelque chose qui se joue, dans l’expérience pure du film, et qui fait que la réception de celui-ci dépendra aussi, très certainement, de… là où on se situe / s’imagine se situer. Quoi qu’il en soit, c’est bien une proposition radicale, actuelle, et réjouissante dans sa férocité.
Stella
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