Critique en duo – Matar a Dios


Dolores – Quel film surprenant, atypique et original que voilà ! Matar a Dios nous a beaucoup surprises dans ses exigences tant scénaristiques que graphiques. Tourné avec un budget dérisoire, le film est superbe, avec une introduction à la plastique lynchienne irréprochable. Pour des soucis d’économie, le film est un quasi huis clos (à l’exception de la scène d’introduction) où chaque détail est soigné, léché, pour offrir le meilleur résultat possible au niveau de l’ambiance avec les contraintes budgétaires imposées. Pari réussi ! Quand on sait que le tournage s’est déroulé en deux semaines, il y a de quoi être fortement impressionné !

Stella – J’ai été très étonnée d’apprendre qu’il s’agit du tout premier long métrage de Caye Casas comme d’Albert Pintó. Leur rigueur technique est bluffante, tant au niveau des mouvements de caméra que des décors ou de la direction d’acteurs. Chose rare pour un premier long, le film parvient à être original tout en restant cohérent : on a affaire à un mélange de film noir et de drame qui, pour moi, a très bien fonctionné à l’écran.

Dolores – Caye Casas nous a dit que le film faisait actuellement la tournée des festivals, et qu’il n’avait pas de distributeur en France. Ce qui signifie probablement aucune sortie en salle de prévue pour 2018… C’est bien dommage, et je sais pas ce que tu en penses, mais j’espère qu’une société de distribution le repérera quelque part autour du globe même pour une sortie DVD car c’est un film que j’aimerais posséder dans ma collection ! 

Stella – Tout à fait, il ne faut pas que les gens passent à côté de ce film ! Je pense que le côté satirique pourrait vraiment plaire, ainsi qu’une dimension assez inattendue qui se dévoile au cours du film et qu’on ne soupçonne pas dans la bande-annonce… Une de mes meilleures soirées de ce festival !

Dolores – La rencontre avec Caye Casas était d’ailleurs très agréable. Drôle et naturel, il donnait vraiment envie d’en savoir plus sur le film, et avait l’air d’attiser notre curiosité avec énormément d’anecdotes, de détails… C’est agréable de rencontrer l’auteur derrière une œuvre qui nous a plu, et de voir combien il a pensé lui-même tous les détails qui nous ont charmées. On dirait que rien n’a été laissé au hasard dans Matar a Dios, et cette sensation de maîtrise totale est vraiment agréable. Il était tellement à l’aise lors de la rencontre qu’on aurait presque dit que c’était lui qui était en demande de nous rencontrer, et qu’on lui rendait presque une faveur ! 

Stella – À un moment, il a même fait un petit sondage dans la salle pour connaître notre personnage préféré ! C’est rare, un tel échange à double sens entre le public et le réalisateur. S’il était assez évasif quand on lui posait des questions sur les dernières minutes du film, qui donnent à réfléchir, je pense qu’effectivement il avait sa propre réponse en tête. Simplement, il était très curieux de notre ressenti à nous, le public, et ne voulait pas nous “fermer des portes” en nous expliquant trop de choses…

Dolores – Au-delà de son esthétique irréprochable, Matar a Dios est aussi un film avec un déroulement très surprenant. Les espagnols sont excellents en général dans le mélange des genres, surtout dans le tragi-comique. Ce film ne fait pas exception, dans son humour absurde qui n’est pas sans rappeler les Frères Coen ou Terry Gilliam dont Caye Casas reconnaît d’ailleurs volontiers l’influence… On rit très franchement des blagues lourdingues de Carlos, ou de l’absurdité de la situation dans laquelle sont enfermés les quatre personnages. Et cinq minutes après, on a une scène d’une violence inouïe, ou d’une tristesse incroyable, qui reste elle aussi extrêmement bien réalisée ! Une jolie prouesse dans le ton d’écriture qui arrive très progressivement dans le film, il me semble que tu as d’ailleurs beaucoup aimé cet aspect du film… 

Stella – C’est vrai ! Je t’avoue qu’au début j’étais un peu sceptique quant à l’aspect burlesque du film. Les acteurs ont un jeu très théâtral auquel je suis peu habituée au cinéma. La mise en scène en elle-même fait très “parodie”, et peut paraître un peu lourde. Il y a d’abord cette maison, plus sinistre tu meurs… C’est une vieille demeure de campagne mal éclairée, avec des animaux empaillés dans tous les coins et des peluches dignes de Chucky. Le personnage de Dieu, qui est censé être un être impitoyable, est aussi un alcoolique en jogging assez ridicule (qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler Benoît Poelvoorde dans Le Tout Nouveau Testament…). Mais cette lourdeur se transforme vite en hilarité, au fur et à mesure que la parodie s’assume, et je me suis vraiment prise au jeu. Et puis, comme tu l’as dit, le film développe en parallèle des questionnements plus sérieux, et on sort petit à petit du burlesque pour aller vers une dimension beaucoup plus émotionnelle, à laquelle je ne m’attendais pas, et qui tient grandement à la finesse d’écriture des personnages, qui ont plus en eux que ce que l’on s’imagine. Le film évoque avec justesse des sujets tels que la religion, les relations conjugales, le suicide…

Dolores – Pour finir sur une note un peu plus joyeuse, j’aimerais souligner un dernier aspect réussi dans le film : le jeu d’acteur. Chaque personnage du film est en effet très touchant car profondément humain dans ses bassesses, ses faiblesses et aussi ses moments de grâce. Cette réussite ne serait pas possible sans l’interprétation excellente de chaque acteur. Eduardo Antuña incarne Carlos, un gros beauf macho profondément gentil, amoureux et tendre dans le fond. David Pareja incarne le rôle d’un jeune homme profondément dépressif mais aussi lucide, intelligent et calme. Boris Ruiz, dans le rôle du grand-père malade est touchant et sympathique mais se révèle profondément égoïste dans ses choix. Même Ana, incarnée par Itziar Castro, que l’on pourrait croire parfaite, est en fait infidèle et lâche… Caye Casas nous a révélé être un grand fan de ces acteurs, qui sont souvent relégués dans des seconds rôles en Espagne. Il voulait ici leur donner l’occasion de prouver ce dont ils étaient capables, et ils ont été à la hauteur de l’exercice !

Dans un autre registre aussi, quel plaisir de voir enfin une femme ronde à l’écran qui n’est jamais réduite à son physique ou moquée à cause de son surpoids. Vu que le film est une comédie, on aurait pourtant pu s’y attendre. L’actrice elle-même a été surprise car en 20 ans de carrière jamais elle ne s’est vue proposer un rôle où son physique n’était pas évoqué. Un aspect que Caye Casas  a expliqué très simplement à Toulouse : “ les gens gros existent dans la vie, il en faut sur les écrans, et Itziar Castro est une actrice excellente qui mérite une meilleure visibilité.” Le simple fait que l’on pose une question sur ce personnage prouve qu’il y a, selon lui, un gros problème de diversité et de représentation au cinéma… Si les créateurs eux-mêmes s’en rendent compte, on ne peut que dire Amen ! 

Stella – Une raison de plus pour souhaiter à ce film toute la reconnaissance qu’il mérite. 

Une discussion entre Dolores et Stella 

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