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Dahmer : mise en image d’un univers sordide

Tranchons dans le vif : cette série est malsaine !

Tout être normalement constitué sortira du visionnage de Dahmer (Ryan Murphy, Ian Brennan, 2022) ébranlé-e par tant d’horreurs, des frissons de dégoût lui parcourant l’échine (pour les autres : pensez à consulter ou à vous présenter vous-même aux autorités compétentes pour le bien de la communauté ! Merci.). 

Il faut admettre que ce sont particulièrement les deux premiers épisodes qui sont extrêmement explicites en termes de gore. Mais le reste de la série reste violent.

Evan Peters, l’acteur principal  qui joue à la perfection sa partition, nous ferait presque perdre foi en l’humanité. Il avait pourtant déjà eu des rôles dans ce style, comme les personnages de Tate ou de Kait dans American Horror Story respectivement présents dans les saisons Murder House et Cult. Mais Dahmer est d’un tout autre acabit. Il s’agit d’un rôle dur à endosser qui risque de coller à la peau de l’acteur.
Petit passage en revue des caractéristiques du personnage : mauvais, immoral, artificieux, morbide, froid, hypocrite, dangereux, pervers, fourbe, apathique… Il fallait donc jouer une grande partie des défauts les plus malsains de l’être humain. Le personnage de Dahmer ne peut, à travers ses actions, qu’inspirer le malaise, le dégoût et l’incompréhension. La gestuelle du personnage est très travaillée, notamment dans une scène où il boit de l’alcool, dévore sa nourriture, puis, danse seul chez lui ressemblant à un pantin désarticulé. On ne peut qu’être repoussé par sa passion pour la manipulation de viscères d’animaux dans sa jeunesse puis ses actes de cannibalisme à l’âge adulte, même certaines scènes où il mange donnent des hauts le cœur. 

On savait Ryan Murphy capable de grandes choses en termes de création de série horrifique mais là, avec Ian Brennan, le duo atteint des sommets. Pourtant, le traitement des histoires de tueurs en série, c’est du vu et du revu, mais dans celle-ci, plus que dans d’autres, tout est fait pour amener à la répulsion. Le fait que cela soit tiré d’une histoire vraie aussi sordide rend le visionnage des scènes gores particulièrement dérangeant. Le traitement de l’image avec des décors sombres, souvent dans des teintes jaunâtres, marrons et grises inspire la saleté. Même s’il faut reconnaître l’esthétique de certains plans cinématographiques, avec notamment des jeux sur les contrastes ou les reflets, ces mises en scènes restent oppressantes.

Ça n’est pas seulement la violence crue qui est mise en avant mais aussi cette atmosphère de malaise. L’ambiance sonore participe beaucoup à l’illustration de cet univers malsain : les actes de violences ne sont pas toujours filmés mais les bruits (ceux entendus par la voisine par exemple) suggèrent assez pour qu’on n’ait pas besoin d’en voir plus.

Je ne conseille vraiment pas cette série aux personnes sensibles. Je ne suis même pas sûre de conseiller cette série à qui que ce soit.

Architecture de la série

La série en elle-même est faite d’ellipses temporelles. On se balade de manière non-linéaire dans la vie du Cannibale de Milwaukee : à l’âge adulte où il part en chasse et tue à la chaîne ses victimes, par son enfance où on le voit, avec son père Lionel, disséquer avec entrain et passion des animaux tués sur la route. On s’arrête aussi par son adolescence, ses premiers émois sexuels pernicieux, ses problèmes familiaux, ses premiers meurtres, ses regrets quant aux conséquences. N’étant inquiété de rien, il continue et banalise ses pratiques morbides. Puis, dans la seconde partie de la série, on est amené à se placer du côté des victimes de meurtres et de leurs familles mais aussi du point de vue des voisin-es, en particulier la voisine directe Glenda Cleveland (incarnée par Niecy Nash). On s’interroge sur les conséquences des crimes, sur la détresse et la profonde tristesse des familles mais aussi sur les mécanismes qui semblent avoir freiné l’arrestation du tueur en série.

Qu’en est-il de la réalité de faits ?

La série paraît très réaliste. Cela étant dit, certains passages sont exagérés ou déformés. Par exemple Tony, le jeune homme atteint de surdité, était connu de Dahmer depuis plus longtemps que ce que la série nous laisse penser (il s’agirait d’une relation de plusieurs années). Le personnage de Glenda Cleveland est en fait un mélange entre la voisine directe du Cannibale de Milwaukee et la vraie Glenda Cleveland qui habitait en face de chez lui. Quant à la fille de celle-ci, elle n’a jamais été arrêtée pour avoir empêché les fans morbides du tueur de prendre des photos de l’immeuble où se sont déroulés une partie des meurtres. D’autres différences existent et font que la série ne s’inscrit pas totalement dans la réalité pure des faits. Pourtant, l’une des scènes a fait beaucoup parler d’elle sur les réseaux sociaux à cause de son réalisme, il s’agit  du discours prononcé au tribunal par la sœur d’une des victimes. Elle reprend au mot près, et même dans la gestuelle, ce qui s’est passé en réalité lors du procès. Cela a d’ailleurs fait polémique car cette personne n’aurait pas été mise au courant ni de la sortie de la série et encore moins des détails de la scène en question.  Après la diffusion de la série, mais aussi après la sortie du documentaire sur le même sujet (apparu quelques semaines plus tard sur la plateforme de VOD), les scandales se sont multipliés, venant des familles de victimes mais aussi du père du meurtrier en série. Les protestations se rapportant souvent au fait de ne pas avoir été mis-e au courant de la sortie du programme mais aussi au fait de mettre encore en avant une personne dont les victimes ou les familles des victimes n’ont plus envie d’entendre parler. D’autres part certains témoignages affirment que l’œuvre est loin de refléter la réalité des faits.

Restons donc lucides et prenons du recul, une série est faite pour divertir et pas forcément pour informer. Donc il ne faut évidemment pas la prendre pour une source fiable d’information. 

le personnage romancé de Glenda Cleveland incarné par Niecy Nash.
le personnage romancé de Glenda Cleveland incarné par Niecy Nash. Source

La discrimination en fil rouge

Le point fort de l’œuvre, c’est que, contrairement à beaucoup de feuilletons sur les tueurs en série et à la tendance de Ryan Murphy dans AHS, l’auteur des crimes ne me semble vraiment pas romantisé. Je pense notamment à la série You (Greg Berlanti, Sera Gamble 2018)  qui est assez ambiguë sur le traitement de son personnage principal. Dans cette série, il n’y a aucun moment où je me suis surprise à avoir de l’empathie pour le personnage. Bien sûr, certaines personnes trouveront que le fait même de faire une série sur le sujet du tueur en série suffit à le romantiser. Mais, à mon sens, on se retrouve plutôt du côté des victimes et de leur point de vue. Le scénario nous amène à nous questionner sur le fait que les discriminations ont beaucoup joué pour retarder l’arrestation de Dahmer. Tout d’abord, l’homophobie qui « empêche » les policiers de faire leur travail car ils n’ont pas envie de rentrer dans l’appartement d’un homosexuel. Le tabou est pesant à cette époque et c’est assez bien retranscrit à l’écran. Bien que cette thématique n’est pas ouvertement dite dans la série, la réaction des policiers, lorsque Jeffrey Dahmer leur parle de « ses affaires de gay » pour les éloigner, laisse très peu de place au doute. Mais l’ignorance a encore frappé à notre époque quand la série a été étiquetée LGBTQ+ sur Netflix pour la seule raison que Dahmer était homosexuel. Heureusement, la plateforme a supprimé cette étiquette lorsque certaines personnes de la communauté se sont plaintes des raccourcis négatifs que pourraient engendrer ces liens.

Il est aussi question de racisme, du fait qu’il ait été un homme blanc qui s’attaquait principalement à des personnes noire et gays dans un quartier pauvre de la ville a très certainement retardé l’avancée de l’enquête. Par ailleurs, plusieurs personnes s’étaient plaintes de lui et n’ont pas été écoutées, la série laisse supposer que c’était certainement parce que les hommes et les femmes qui s’étaient exprimé-es n’étaient pas blancs / blanches. Pour le coup, ces parties-là semblent coller avec la réalité des faits, bien que certaines personnes admettent un manquement de la police mais ne préfèrent pas l’associer à des questions de racisme ou d’homophobie.

Une ode à la paranoïa

Le jeu d’acteur est déroutant de réalisme scènes après scènes. Imaginer que beaucoup de gens ont été bernés par la personne réelle derrière ce personnage, jusqu’à sa propre famille, est glaçant. Se dire que lorsqu’il sourit, c’est seulement pour attirer des victimes, lorsqu’il semble désolé ou lorsqu’il feint l’innocence, c’est seulement pour paraître au-dessus de tout soupçon… Il est certain qu’après ce visionnage il vous faudra un peu de temps avant d’accepter à nouveau que l’on vous offre un verre, même de la part d’un-e ami-e. Désolé, mais si Jeffrey a pu être ami et avoir une relation avec Tony pendant des années puis finir par essayer de le transformer en zombie et le tuer, c’est officiel : on ne peut se fier à personne…

 Scène de restaurant avec Tony l’une des victimes de Jeffrey Dahmer. Source

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