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Le cinéma d’Ana Lily Amirpour

Lors du dernier Grindhouse Paradise, j’ai eu la chance d’assister à l’avant première de Mona Lisa & The Bloodmoon, le dernier film d’Ana Lily Amirpour. Le long métrage qui confirme les obsessions de la réalisatrice déjà développées dans A Girl Walks Home Alone At Night et The Bad Batch, ses deux précédents films à la personnalité forte. Petite analyse du cinéma d’Ana Lily Amirpour, autrice à la carrière jeune mais au style déjà reconnaissable.

portrait d’Ana Lily Amirpour pour la sortie de Mona Lisa & the BloodMoon. Source : http://www.lepolyester.com/des-infos-sur-le-nouveau-ana-lily-amirpour-blood-moon/

Un cinéma aride

Si un terme devait définir le cinéma d’Ana Lily Amirpour, ce serait l’aridité. Peu de dialogues, de grandes étendues vides, sans âmes, dans lesquelles évoluent des personnages secs et froids.

The Bad Batch, son film coproduit par Netflix, prend l’aridité au sens littéral  -il se déroule dans un désert. Bannie au milieu d’un désert peuplé d’indésirables, une jeune femme tente de trouver sa place parmi les drogués et les cannibales (et Jason Momoa, oui oui, fabuleux dans son rôle de gros dur au coeur d’or.) 

The Bad Batch d’Ana Lily Amirpour, disponible sur Netflix. Source : IMDB

Le film qui l’a révélé, A Girl Walks Home Alone at Night, lui, est dans une aridité plus métaphorique. Dans cet Iran dystopique (oui c’est possible) en noir et blanc, les êtres humains sont solitaires, inhospitaliers. Les hommes violent et volent impunément. Une justicière décide de faire valoir les droits des femmes : Ana, une femme vampire décidée à tuer tous les hommes qui ont fauté sur son passage… Jusqu’à ce qu’elle en rencontre un juste qui stoppera sa soif de vengeance.

Ana de A Girl Walks Home Alone At Night. Source : IMDB

Mona Lisa & the Blood Moon, quant à lui, conte l’histoire de Mona Lisa, jeune fille échappée d’un asile psychiatrique qui fuit ses gardiens. L’aridité est double : l’histoire se déroule dans une ville au milieu du bayou, une ville mitée, miteuse, où malgré l’humidité l’environnement paraît constamment sec et hostile. C’est aussi l’aridité des relations humaines qui est passée au crible de ce film dur, les marginaux tentent de survivre dans un environnement où tout – et tous – les rejettent.

Mona Lisa dans Mona & the BloodMoon. Source : IMDB

L’humanisme comme remède

Mais l’aridité chez Ana Lily Amirpour n’est pas une fatalité. Dans ces environnements hostiles, ses personnages blessés par la vie finissent toujours par faire germer une graine d’espoir. Par certains degrés, la relation à l’amour dans le cinéma de Lily Amirpour rappelle ce que développent les soeurs Wachowsky. Dans leur cinéma l’amour est une force de vie, au même titre que la force de gravité par exemple. Ana Lily Amirpour suit la même voix en présentant l’amour comme un remède universel aux maux et comme une donnée inhérente des relations humaines, avant même la méfiance, la violence ou la défiance.

Une grande chaleur humaine, timide, parfois juste esquissée, mais toujours présente, se cache sous la couche de froideur et de dureté première de ses films : Dans The Bad Batch, les personnages finissent par former une famille de bric et de broc, mais soudée et heureuse. La vampire solitaire de A Girl Walks Home Alone at Night finit par trouver l’amour et la foi en l’humanité. Mona Lisa, enfermée en HP depuis son enfance, s’ouvre à la vie grâce à l’amour des personnes improbables qu’elle croise sur sa route.

L’aridité chez Ana Lily Amirpour est politique, sociale, et métaphorique. Elle nous rappelle constamment un principe très simple : le monstre n’est pas celui que l’on décrit dans les fables, mais celui qui cache le mal derrière le masque de la banalité. Mais derrière cette aridité peut aussi se cacher la lumière d’un amour universel pour son prochain.

Un amour pour des personnages improbables

Si les personnages d’Ana Lily Amirpour débordent d’amour les uns pour les autres et se découvrent à travers ce sentiment, c’est avant tout parce qu’Ana Lily Amirpour elle-même leur porte un immense amour. C’est une réalisatrice qui aime profondément ses personnages cassés, marginaux, délaissés. Loin de toute complaisance, son regard les magnifie, leur donne une aura iconique. Ana, la vampire vengeresse de A Girl Walks Home Alone At Night, crève l’écran avec son charisme sombre, son mutisme glacial et sa soif de sang des violeurs. Pourtant, elle se déplace en skateboard et aime danser sur des chansons soap une fois la porte de sa chambre refermée. L’héroïne de The Bad Batch doit évoluer au milieu de cannibales sans foi ni loi, cannibales qui sont pourtant tous très attachants et s’émerveillent comme des enfants devant leurs nouvelles prothèses.

Bande annonce de The Bad Batch

Par moments les films frôlent avec l’humour absurde mais le regard porté sur ces personnages improbables est toujours profondément bienveillant.Dans Mona Lisa & the Blood Moon, son film le plus ouvertement comique jusque là, si les personnages peuvent prêter à rire c’est plus à cause des situations dans lesquelles ils se fourrent que par leur attitude. Avoir un personnage principal qui sort d’hôpital psychiatrique, c’est délicat, et le risque de tomber dans une représentation psychophobe – qui se moque ouvertement des personnes handicapées mentales – est fort. A la manière d’un Alice au Pays des Merveilles cependant, Ana Lily Amirpour nous rappelle que la plus grande folie est celle de vivre dans notre monde, et que les marginaux ne sont que les symptômes visibles de dysfonctionnements sociaux profonds.

Bande annonce de Mona Lisa & The BloodMoon

Un style visuel affirmé

Les trois films d’Ana Lily Amirpour sortis jusqu’à présent sont très différents sur le plan visuel, mais présentent chacun une obsession particulière pour la beauté plastique et le rendu de l’image. Elle s’attache à faire en sorte que l’ambiance visuelle embrasse pleinement le propos de ses films. 

A Girl Walks Home Alone At Night, avec son noir et blanc constrasté, référence au cinéma expressioniste allemand des années 30,  est le plus personnel des trois films sur le plan visueL  L’exploitation de la thématique du vampire semble toute appropriée pour employer cette esthétique connotée.Rappelons que The Lighthouse n’était pas passé par là pour remettre le noir et blanc au gout du jour des productions horrifiques !

Bande annonce de A Girl walks home alone at night

The Bad Batch se déroule dans une ambiance aride et froide, détachée. La lumière est crue, les couleurs fades, rappelant visuellement des films comme Mad Max 2 ou La Colline a des Yeux. Pas déconnant pour un film post apocalyptique dans le désert où vivent des bandes de cannibales. Pourtant, une esthétique néon flashy – caractérisée par le short si particulier de l’héroïne – ponctue certaines scènes du film, offrant un contraste visuel fort entre le désert, fade et monochrome, et les passages en ville, à l’esthétique néon rappelant les univers cyberpunks.

Affiche de The Bad Batch, source : IMDB

Mona Lisa & the Blood Moon adopte le point de vue de l’héroïne, éblouie par un monde qu’elle ne connaît pas. C’est une redécouverte et une sublimation de toutes les choses quotidiennes, qui paraissent banales à nos yeux : les néons d’un diner, les flaques de pluie, les lumières de la ville la nuit…. Ana Lily Amirpour sublime la ville, les quartiers pauvres, les esthétiques de mauvais goût. Tout prend une dimension magique dans ce film. Les couleurs sont accentuées, la symétrie travaillée, les textures exagérées pour que chaque plan  devienne pictural, digne de devenir une nouvelle toile à la Hopper. 

L’errance comme but

Les personnages chez Ana Lily Amirpour sont des fantômes, errants dans ces environnements désolés. Ses films sont de longs voyages initiatiques, à une différence près : c’est un voyage sans fin, où l’errance elle-même est le centre de leur construction.

Le voyage initiatique a souvent un but, but qui permettra au personnage d’apprendre. A l’inverse dans le cinéma d’Ana Lily Amirpour, cette errance, cette quête infinie d’eux-mêmes, est ce qui guide les personnages et leur permet de se transcender. A l’instar de The Bad Batch et de A Girl Walks Home Alone At Night, qui se terminent tous deux sur la promesse d’une errance – à la différence qu’elle ne sera cette fois plus solitaire. Une errance qui devient un pacte social, un chemin de vie à part entière, et qui trouve tout son sens une fois partagée.

Cette construction est encore plus frappante dans Mona Lisa & the Blood Moon : le personnage erre de relations en relations et se construit en récoltant de petites parts de chacune de ses rencontres pour reconstruire  sa personnalité détruite par l’hôpital psychiatrique. On assiste à la renaissance d’un personnage qui se construit par l’errance, là où d’autres réalisateurs auraient au contraire profité de cet espace de flottement pour accentuer la détresse de leur personnage. Point de pathos chez Ana Lily Amirpour : ses personnages sont défectueux, mais se transcendent dans cette mise au ban sociale dans laquelle ils trouvent leur raison d’être. 

Montage d’A Girl Walks Home Alone At Night, The Bad Batch, Mona Lisa & the BloodMoon Source : L’Écran et IMDB

Un cinéma aride, humaniste, centré sur des personnages marginaux et originaux, servi par une mise en scène picturale: voici en quelques mots résumé le cinéma naissant d’Ana Lily Amirpour, autrice jeune au style pourtant déjà confirmé. Un cinéma que j’ai hâte de continuer à découvrir, si les conditions sont réunies pour permettre sa diffusion : jusqu’à présent, en dehors des périodes de festivals, aucun de ses films n’a eu de sorties en salle… 

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