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En thérapie

En thérapie

Série intimiste au cœur de la psychanalyse

Construite en 35 épisodes d’une durée moyenne de 25 minutes chacun, la première série du binôme Toledano et Nakache propose une combinaison de portraits féminins et masculins au cœur de l’intimité d’un cabinet. En thérapie est adaptée de la série américaine In treatment, qui est elle-même un remake de la série israélienne BeTipul.

Je craignais au départ que la série soit trop autocentrée sur un parisianisme bobo où les patients déblatéreraient sur des questions existentielles les jambes croisées sur un divan. Peut-être parce que la capitale est trop souvent prise comme cœur de décor cinématographique et que ça finit par réduire la carte de France à Paris. Peut-être que c’était aussi dû au parti pris qu’ont choisi de prendre Nakache et Toledano : ancrer les séances d’analyses fraîchement après les attentats du 13 Novembre 2015. Finalement j’ai trouvé cela plutôt judicieux, d’une part, car cet évènement a pu servir un propos dans la série, sans en être la raison profonde des consultations, et d’autre part, parce que de près ou de loin, cette sinistre soirée a marqué plus ou moins profondément les cœurs et les esprits, me souvenant de l’ambiance particulière qui régnait les jours d’après. Alors je n’ose imaginer le dur réveil et les lendemains suivants au cœur de Paris, et comme l’atmosphère devait être si singulière. Pour ces raisons-là, et sans flirter avec du misérabilisme, inclure de manière introspective l’esprit des post-attentats était une chose importante. C’était aussi une façon de glisser une forme d’hommage à ceux qui sont morts ce soir-là, à ceux qui ont survécu et à ceux qui ont aidé, sans grand discours étalés, mais dans la sphère secrète d’un cabinet.

Le psychanalyste Philippe Dayan reçoit chez lui des personnes en proie à un mal-être, à une angoisse, ou à des blocages. Sur les cinq patients présentés dans la série, deux ont été confrontés de très près aux attaques. Ariane, chirurgienne qui a opéré le soir-même ces blessés de guerre, consulte déjà le docteur Dayan depuis un an. Elle a donc été en première ligne, mais ça n’est pas l’élément déclencheur de son mal-être. Adel Chibane quant à lui, rencontre le psychanalyste juste après les attentats. En tant que policier de la B.R.I (Brigade de Recherche et d’Intervention), il est intervenu au Bataclan. Il est venu voir le Docteur Dayan sur les conseils d’un ami, à contre-cœur. Il ne réalise pas tout de suite qu’il souffre de syndromes post-traumatiques. Mais là aussi, les séances ne tournent pas uniquement autour de ce drame. Comme cela arrive souvent, un événement traumatisant peut en réveiller un autre vécu par le passé. C’est ce qui se passe pour Chibane qui va recouvrer la mémoire sur un épisode de son enfance jusque-là avalé par son subconscient. Quant aux autres personnages, ils évoquent à des moments très brefs, le spectre des attentats et l’impact que cela peut avoir dans la manière de gérer des décisions personnelles dans leur vie respective.

Une distribution d’acteurs et d’actrices plutôt réussie

Quand un film ou une série se tourne principalement à huis-clos, et qu’il y a essentiellement du dialogue entre deux personnages, il vaut mieux miser sur le bon cheval en termes de casting. Une bouche qui sait se taire quand il le faut, et un regard réceptif, Frédéric Pierrot en psychanalyste m’a beaucoup touchée. Avec son visage qui dégage une tendresse infinie, teinté d’une mélancolie certaine, Pierrot est un acteur qui porte sur lui et dans sa voix, une profondeur dans sa simplicité. Il était déjà d’une spontanéité bluffante dans Polisse de Maïwenn, et j’ai retrouvé ses qualités d’acteur à travers ce personnage de psy en crise. Le seul bémol dans la direction de l’acteur, c’est cet air de condamné à mort qu’il prend lorsqu’il accueille ses patients. On sait bien que le Docteur Dayan est traversé par des questionnements, et on ne lui demande pas de faire des pirouettes de bienséances excessives, mais tout de même, un petit sourire accompagné d’un « Bonjour, je vous en prie » n’aurait pas été de trop.

Mélanie Thierry (Le Dernier pour la route, Comme des frères, La Douleur) est une spécialiste du genre dramatique, et elle ne faillit pas à son interprétation du rôle d’Ariane, une trentenaire pleine de fougue et de contradictions. Reda Kateb (Un prophète, Hippocrate, Django, Hors Normes), avec son visage et son charisme atypiques, dégage une authenticité qui transpire à travers chaque personnage qu’il incarne : c’est particulièrement lui qui m’a donné envie de regarder la série.

Céleste Brunnquell, qui a fait ses premiers pas au cinéma dans le film Les éblouis de Sarah Suco, joue ici le rôle de Camille, une adolescente devant obtenir une contre-expertise du psy, à la suite d’un accident de vélo. Si j’ai eu du mal à rentrer dans son jeu d’actrice au départ, j’ai peu à peu accroché à l’émotion qu’elle a su offrir à l’image. Puis il y a Pio Marmaï (Le premier jour du reste de ta vie, Un heureux évènement, Ce qui nous lie, En liberté !) une des coqueluches du cinéma français qu’on ne présente plus, et Clémence Poésy qui sait prendre place autant dans des films français que dans un cinéma américano-britannique (Harry Potter, 127h, Tenet), forment un couple en crise à travers les personnages de Léonora et Damien.

Enfin, Carole Bouquet joue le rôle d’Esther, psychanalyste et « contrôleuse » du Docteur Dayan. Les épisodes de leurs rendez-vous sont toujours placés après les consultations successives du Docteur Dayan avec ses autres patients, construisant une phase de réflexion et d’assimilation sur les fonctionnements du psychanalyste. La relation entre les deux est aussi affectueuse que tendue. Des vieilles rancœurs du passé les lient et pourtant c’est vers elle qu’il se tourne des années après pour essayer de démêler les nouveaux tourments qui le déstabilisent.

Le traitement de la santé mentale et de la psychanalyse

Il est clair que le cinéma, quel que soit son genre, prend des libertés en matière de représentation d’une profession ou d’un milieu spécifique. Pourquoi ? Parce qu’il y a une histoire à raconter avant tout, avec des protagonistes aux personnalités fortes, des dialogues choisis, un parti-pris et un scénario à proposer. Mais le 7ème Art a une influence considérable dans l’esprit des gens, c’est pour cela qu’un certain manque de justesse peut être dommageable notamment quand le sujet concerne la santé mentale. Il gravite déjà beaucoup d’idées reçues, de peurs, de jugements autour de cette dernière lorsqu’elle est mise à mal alors il est normal que les personnes qui se sentent réellement concernés par le sujet exigent beaucoup à travers sa représentation, même si c’est de manière fictive. Slate est allé se pencher sur le miroir déformant des psys et de la relation aux patients à travers le cinéma. Il s’agit toutefois d’un article à prendre avec des pincettes, puisqu’il traite différents genres cinématographiques et différentes époques, mais aussi à travers différents milieux : hôpital psychiatrique, cabinet d’un psychanalyste, prison etc.

La relation patient-psy qui m’a le plus marquée à l’écran, c’est celle de Will (Matt Damon) et Sean (Robin Williams) du magnifique Good Will Hunting de Gus Van Sant. Pourtant, je dois reconnaître qu’elle est assez éloignée de la réalité sur certains points tout simplement parce qu’on a affaire à un personnage de psy peu conventionnel. Il utilise un langage familier pour s’adresser à son nouveau patient et perd même son sang-froid, jusqu’à l’atteindre physiquement dès la première séance lorsqu’il subit une attaque personnelle. En laissant apparaître sa blessure, Sean va réussir à installer une relation de confiance avec Will. Cette séquence est une situation peu probable dans la vraie vie, et il faut en avoir conscience, mais dans ce film elle devient crédible car elle met à jour les failles et les stratégies de défenses et d’évitements qui se jouent entre le personnage de Sean et celui de Will.

Des tentatives de provocations, une volonté de percer à jour le psychanalyste, il y en a aussi beaucoup dans En thérapie. Certain.e.s essayent à travers la séduction, d’autres par la moquerie, ou avec des mots durs imprégnés de colère. Souvent la mise à nue de leurs tourments donne un sentiment de frustration et de gêne aux protagonistes, alors ils cherchent les failles du Docteur Dayan, qu’il se foute à poil devant eux lui aussi. Mais la psychanalyse n’est pas un combat qui se fait contre son thérapeute, c’est un chemin qui se fait avec lui et il n’est pas là pour parler de lui. J’ai apprécié l’idée que le Docteur Dayan vive une période compliquée, car il est important de montrer qu’un.e psychiatre, un.e psychanalyste ou un.e psychologue n’est pas un surhomme au-dessus des difficultés, des douleurs et des remises en question perpétuelles. L’aidant a lui aussi besoin d’aide parfois, pour justement continuer à aider au mieux dans sa profession. La série effrite un peu le mythe du thérapeute-sauveur tout puissant et montre qu’il se tient là pour écouter et poser les bonnes questions plutôt que de livrer des réponses immédiates.

En thérapie : des mots pour les maux des français.e.s ?

Dire que cette série est un portrait de la France post-attentats serait un peu simpliste et rapide. Mais les créateurs ont toutefois voulu se rapprocher au plus près des tourments de notre époque en évoquant des problèmes sociétaux à travers la singularité et la parole d’un ou d’une patiente : le terrorisme, le sentiment de mépris ressenti par la police, les abus et les limites franchies dans le milieu du sport par certains entraineurs envers leurs élèves, les rapports homme-femme, l’infidélité ou encore le suicide. Cette série sort également à point nommé, à l’heure où l’épuisement psychique ne cesse de croître chez beaucoup de gens, dans une société rythmée par les confinements, les couvre-feux, les distanciations sociales, et les restrictions qui resserrent l’étau sur des morals en berne. La parole sur les troubles de la santé mentale est alors un peu plus libérée sur les réseaux et dans certains médias, et de plus en plus de gens prennent conscience de l’importance de soigner les maux psychiques. Si la série choisit le prisme de la psychanalyse, elle n’est pas la seule clé de soutien. Il existe diverses méthodes, telles que les TCC (Thérapies Comportementales et Cognitives), l’EMDR, l’hypnose Ericksonienne, ou encore la méditation, la microkinésithérapie, la kinésiologie etc, car les déblocages ne se font pas toujours uniquement par la réflexion ou la parole. Il existe autant de patients et de situations vécues de façon différentes en fonction de la sensibilité, de la résiliation et de l’histoire de chacun.e. Le chemin est souvent long pour défaire les pelotes de nœuds et toutes les thérapies ne conviennent pas à tout le monde. Il en va de même pour les questions de feeling et de confiance envers un thérapeute. A chacun.e de chercher et d’essayer ce qui lui correspond le mieux.

En thérapie va-t-elle poursuivre ses séances de psychanalyse ?

Il semblerait qu’une saison 2 ne voit pas le jour. En effet, des litiges entre la production et les scénaristes de la série – Vincent Poymiro, David Elkaïm, Pauline Guéna, Alexandre Manneville et Nacim Mehta – ont enrayé la suite du projet. Une promesse non tenue des producteurs envers les scénaristes et la lassitude de certains sur un manque de considération concernant la part de création importante qu’ils fournissent sur une œuvre, en seraient à l’origine. Le collectif Paroles de scénaristes dénonce la précarité et le manque cruel de reconnaissance de leur métier. Alors vu comme tel, il n’est peut-être pas plus mal que l’aventure s’arrête à la saison 1, d’une part pour ne pas générer une frustration chez les artisans de la série et d’autre part, pour éviter un essoufflement et des rebondissements abracadabrants comme connaissent beaucoup de séries qui s’enfoncent dans des saisons interminables. 

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