Cette année encore L’écran a eu l’immense plaisir de participer à la 22ème édition du Festival Cinespaña de Toulouse. Et cette année encore nous avons eu la confirmation de l’excellente santé du cinéma de genre de notre voisin ibérique. Pour les quelques uns qui n’auraient aucune idée de ce que j’entends par cinéma de genre, je vous renvoie vers la définition de l’illustre Wikipédia. Si vous avez la flemme, en gros l’appellation englobe tout film qui se réclame d’un genre cinématographique particulier. Un thriller sera donc considéré comme un film de genre, au même titre qu’un film de science-fiction par exemple.
Mis en confiance par les éditions précédentes qui m’avaient fait découvrir entre autres Sicarius (Javier Muñoz, 2015), Callback (Carles Torras, 2016) et dans un tout autre registre Anacleto : Agente Secreto (Javier Ruiz Caldera, 2015) ou Mi Gran Noche (Álex de la Iglesia, 2015), c’est avec de grandes attentes que j’abordais Cinespaña 2017. Et force est de le constater, je n’ai une nouvelle fois pas été déçu, loin s’en faut. Nous allons donc revenir sur deux films qui m’ont particulièrement marqué et qui ont eu la joie d’être distribués en salles en France en amont du festival, ce qui est assez rare pour un film espagnol qui n’est pas réalisé par Pedro Almodóvar…
Le premier de ces deux films est Tarde Para la Ira (Raùl Arévalo, 2016), ou La Colère d’un Homme Patient en français, un thriller sombre sur fond d’histoire de vengeance. José, incarné par un Antonio de la Torre glaçant de sobriété, un veuf mutique et déprimé, se met en quête des auteurs du braquage manqué qui a coûté la vie à sa femme huit ans auparavant. Seul l’un des braqueurs, Curro, incarné par Luis Callejo, qui conduisait le véhicule de fuite chargé d’exfiltrer les malfaiteurs, a été condamné et emprisonné. José attend donc sa sortie de prison pour le faire chanter en échange de son aide pour localiser ses ex-complices. Les deux hommes se lancent donc dans un sanglant périple à travers la campagne espagnole.
Tarde Para la Ira est le premier film réalisé par Raúl Arévalo, que l’on connaissait plutôt comme acteur. Il tenait par exemple l’un des deux rôles principaux dans l’excellent La Isla Mínima (Alberto Rodríguez, 2014) et apparaîssait dans Cien años de Perdón (Daniel Calparsoro, 2016), lui aussi découvert à Cinespaña. Il s’agit là d’un véritable tour de force tant Tarde Para la Ira est esthétiquement superbe et maîtrisé de bout en bout. J’étais très étonné d’apprendre que le film était sa première incursion derrière la caméra. Il s’ouvre notamment sur un exceptionnel plan-séquence d’une course poursuite filmée depuis l’intérieur du véhicule de Curro, qui installe dès les premières secondes une tension quasi insoutenable qui n’ira qu’en s’accentuant au fil du long métrage. Les cadrages serrés et l’ambiance crépusculaire du tout emmènent le spectateur au plus près du périple vengeur de José, dont les motivations sont habilement distillées au compte-gouttes. Les repères moraux sont volontairement flous et les explosions de violence rares mais d’une intensité folle poussent à s’interroger sur le statut du héros.
Il est assez étonnant de voir à quel point Arévalo parvient à sublimer son maigre budget de 1,2 Millions d’euros pour nous offrir un spectacle haletant dont on ne ressort pas tout à fait indemne. Il me tarde déjà de voir son prochain film tant celui-ci m’a fait forte impression et respirait la maturité dans sa réalisation. Il ne fait aucun doute que le néo-cinéaste parviendra à transformer l’essai, et on ne peut qu’espérer une distribution en France, ou au moins une diffusion lors des prochaines éditions de Cinespaña. Affaire à suivre donc.
Le second film découvert lors de cette édition 2017 de Cinespaña et sur lequel j’aimerais attirer ton attention, ô lecteur, est Que Dios nos Perdone (Rodrigo Sorogoyen, 2016). Ce film policier de prime abord assez classique sur la traque d’un tueur en série particulièrement dérangé qui s’attaque à des femmes âgées dans un Madrid en pleine effervescence lors des Journées Mondiales de la Jeunesse et la visite du Pape, brille par bien des aspects. Le premier qui vient à l’esprit est son casting irréprochable, au sommet duquel on retrouve Antonio de la Torre, cette fois-ci dans le rôle d’un enquêteur bègue et aux méthodes pour le moins étonnantes, ainsi que Roberto Álamo qui campe un flic sanguin et aux rapports humains ambigus, notamment avec sa femme et sa fille. Devant le manque de coopération de la part de leur hiérarchie, qui tente par tous les moyens d’étouffer l’affaire, les deux policiers vont devoir redoubler d’abnégation et flirter avec l’illégalité afin de mettre un terme aux agissements du tueur psychopathe, interprété de manière hypnotique par un acteur plus que convaincant dont je ne vous ferais pas l’affront de révéler l’identité. Cette course implacable contre la montre emmène nos deux héros dans une spirale négative culminant dans la déchéance et l’obsession morbide jusqu’au dénouement final, un brin convenu malheureusement. Je n’en dévoilerais pas plus tant le film gagne à être découvert, si possible par un spectateur à l’avis neutre. Ces deux visionnages ont constitué pour moi le point culminant du festival, et il est toujours aussi rageant en tant que spectateur français, forcé à se taper drames de moeurs aussi pitoyables qu’identiques et autres comédies navrantes à la À Bras Ouverts (Philippe de Chauveron, 2017), de constater à quel point le cinéma espagnol nous a devancé au niveau de l’audace et de l’ambition, celle de faire du cinéma de genre populaire mais exigeant sans pour autant en avoir honte. Si seulement les producteurs et distributeurs de notre cher pays si centré sur son nombril pouvaient en prendre conscience, ils tenteraient peut-être de sortir le cinéma français de son marasme et lui redonner les lettres de noblesse qu’il a depuis bien longtemps déjà perdues. Mais je rêve éveillé…. Comptons plutôt sur Cinespaña 2018 qui, n’en doutons pas, saura nous divertir avec un cinéma espagnol de qualité et tristement trop sous-estimé.
Gonzo Bob
Add a Comment