“Acteur, scénariste, réalisateur, graphiste, parolier, animateur de télévision et auteur de bandes dessinées français.” C’est ainsi que Wikipédia définit Davy Mourier. Touche à tout artistique issu d’une génération débrouillarde qui faisait tout de A à Z, Davy est devenu avec sa BD “La Petite Mort” le visage du renouveau de la BD française. Petit portrait exhaustif de cet artiste accompli qui a bien voulu, lors du TGS 2017, répondre à nos questions, malgré son manque de sommeil, sa petite barbe de trois jours qu’il “n’assume pas trop” et son emploi du temps aussi foisonnant et chargé que sa carrière.
Dolores : Bonjour Davy ! La dernière fois que tu es venu sur Toulouse, c’était pour l’édition Springbreak du TGS qui a eu lieu en avril dernier. Tu y présentais pour la première fois la série animée de La Petite Mort adaptée de ta BD. Tu étais un peu stressé par cette première projection publique. Quels ont été les retours après la projection ?
Davy Mourier : Déjà, “La Petite Mort” en bande dessinée ça a été une très grosse surprise. C’était ma première BD chez un gros éditeur (Delcourt). Et Delcourt y croyait, mais pas plus que ça à vrai dire ! *rires*. Et en une semaine on a vendu les 8500 BD qu’on avait imprimées, et surtout on a pas arrêté de rééditer encore et encore par la suite ! Donc La Petite Mort, en BD, ça a déjà été un succès qu’on attendait franchement pas. Je pensais pas que le dessin animé aurait à nouveau un tel succès, eh ben si !
Je suis super fier du dessin animé, les gens qui ont travaillé avec moi sont bourrés de talent et ont fait un super boulot. Et pourtant, qu’est ce que j’ai été relou, parce que j’ai fait le scénario et j’étais présent à toutes les étapes de la création ! Mais malgré tout ça, je m’attendais pas à un tel succès sur Internet. Le premier épisode est à 450 000 vues (NDLR : un peu plus maintenant !) alors que ça fait un mois qu’il est diffusé. La conférence qu’on a fait ce matin au TGS sur La Petite Mort était symptomatique : la salle était remplie de gens qui n’avaient pas lu la BD, mais qui étaient là juste pour voir la série animée. Le personnage de La Petite Mort me dépasse et c’est juste trop bien ! Je suis pressé de voir ce que ça va devenir, car finalement c’est tout nouveau, et je suis curieux de voir ce que ça va amener de plus dans cet univers.
Dolores : Surtout que dans cet univers, il y a aussi La Petite Morte, Les Petites Morts, qui sont d’autres tomes de la série…
Davy Mourier : Oui, j’ai sorti il y a un mois Les Petites Morts, qui est le 5e tome de la série. Ça continue, mais rien n’égale le succès du premier tome, le La Petite Mort originel. C’est marrant, parce que c’est une trilogie La Petite Mort, et chaque fois que je vais quelque part je ne vends que le tome 1 ! Peut-être que c’est devenu culte d’une certaine manière, mais aussi l’histoire se conclut à la fin du tome 1 donc je pense que les gens ne ressentent pas forcément le besoin d’aller plus loin, narrativement parlant.
Dolores : Dans ta série animée de La Petite Mort, tu as de sacrés doubleurs vedettes ! Et surtout l’inénarrable Brigitte Lecordier, que tu avais d’ailleurs rencontrée pour la première fois au TGS… Y a toujours cette entente aussi cordiale entre vous après le lancement de la série ?
Davy Mourier : Avec Brigitte, c’est fou parce que on se connaissait pas, je l’ai croisée au TGS et je lui ai dit en coup de vent “j’aimerais faire un dessin animé avec toi” et elle a tout de suite dit “Oui, oui, oui !“. Ça se passe tellement bien avec elle que je l’ai aussi intégrée à la saison 2 de Reboot dans laquelle elle va faire des voix, et elle est venue m’engueuler ce matin car elle m’a dit “mais tu m’as payée ?“. Je lui ai dit “ ben oui, bien sûr, tu as eu un cachet, tu as travaillé pour la série”. Et en fait elle voulait le faire gratuitement, comme ça, juste pour me faire plaisir ! Quand j’étais en dédicace pour La Petite Mort, elle est venue avec moi, alors qu’elle était pas obligée de le faire. Elle fait tout pour que le projet de la série animée grandisse. Elle y met toute son énergie, du temps, de la passion… Y a énormément de gens qui sont fans de Brigitte et qui se mettent au dessin animé juste pour elle, elle a une aura énorme dans la communauté geek et elle s’en sert pour soutenir à fond le projet parce qu’elle l’adore. Je crois qu’elle s’éclate en fait ! C’est tellement génial, et Brigitte est une personne adorable et admirable.
Dolores : Tu as aussi un nouveau projet en tant que comédien, qui est la série The Cell dans laquelle tu joues un gardien de prison. Je me demandais ce que ce projet ajoutait comme corde à ton arc déjà énormément fourni au niveau de l’acting ?
Davy Mourier : Dans The Cell, ce qui est rigolo, c’est que Guillaume Lubrano qui est le créateur de la série m’a demandé de venir faire un gardien de prison, mais je devais juste être quelqu’un de cynique. Et en fait, je sais pas le jouer. Je sais jouer les imbéciles, je sais jouer les connards, mais les cyniques décomplexés c’est vraiment pas mon truc. À la base, il m’a pris pour ma taille, parce que je suis gardien de prison et je suis forcément entouré de molosses géants bodybuildés, et moi j’suis au milieu avec ma carrure toute petite, forcément le contraste est rigolo. Mais je voulais apporter un truc en plus à ce personnage, et du coup j’ai dit que mon personnage est en fait un gay refoulé. Parce que dans mon rôle, à la base, j’avais juste des répliques du genre “Aaaah, vous allez vous toucher sous la douche hein ?” et ça devait être dit méchamment. J’ai transformé ça pour qu’on sente qu’il avait envie d’être avec avec les prisonniers sous la douche en fait. J’ai presque “adouci” le personnage pour parler aussi de cette homophobie ambiante tellement oppressante qu’elle conduit des personnes à devenir méchantes juste parce qu’elles n’arrivent pas à exprimer leur sexualité. Finalement je lui ai apporté un côté tendre… Mais chelou quand même ! *rires*. Et j’ai l’impression que ça a bien marché, parce que je dois mourrir à un moment dans la série, mais Guillaume m’a dit “Ok, t’es pas mort”, et y a une histoire de voyage dans le temps où mon personnage continue à exister dans le passé. Et je pense que c’est parce que j’ai amené ce ‘petit truc en plus’ qui justifie que mon personnage ait le droit de continuer à être dans la saison 2 !
Dolores : Pendant qu’on est un peu sur le registre de ta boulimie de travail justement, t’es quelqu’un qui touche à tout, dans tous les univers ( dessin, acting, réalisation, scénario… ), quel est le domaine que tu n’as pas encore exploré et qui te stimulerait ?
Davy Mourier : Alors… J’ai fait une série sans faire exprès, j’ai fait un dessin animé sans faire exprès… Peut-être un film ? Mais c’est pas une envie “absolue”. Je me dis pas “avant de mourir il faut absolument que je fasse un long métrage !“. Mais c’est un truc que j’aimerais bien avoir sur mon CV et que je pense être capable de faire relativement bien. Parce que bon, j’te dirais bien chanter, mais ce serait vraiment pas possible ! Je l’ai fait de temps en temps avec M.Poulpe, mais je chante très très mal, je suis très mal à l’aise. Ça m’angoisse à mort ! Mon oreille, elle fonctionne pas, j’sais pas, doit y avoir un truc cassé à l’intérieur… *rires* Il faut savoir ce qu’on sait faire ou non, et chanter je sais pas faire. Pareil pour la danse, je suis nul. Mais ouais, un long métrage ça pourrait me tenter. J’avais écrit un scénario d’ailleurs, mais c’est tellement dur comme milieu, tellement long au niveau des procédures, que j’en ai eu marre et j’ai vendu le scénario à Delcourt pour en faire une BD. Et je me suis dit que si la BD marche, des gens viendront peut-être me démarcher pour faire le film, et pof, j’aurais déjà le scénario prêt ! *rires* Mais au moins, c’est pas moi qui me tape les V14 de films, les procédures, les démarches… Tout ça non merci.
Dolores : Toi qui as toujours été dans un esprit un peu “DIY” au niveau de la création, tu as connu toutes les évolutions du milieu en particulier avec l’explosion d’Internet et la possibilité pour tout le monde de créer du contenu. Comment tu as vécu ces évolutions, et le regard porté par les gens sur ces créations-là ?
Davy Mourier : Je t’avoue, je suis perdu maintenant. Quand on a commencé à travailler sur le web, y avait rien, pas de pognon, pas de pub, et on faisait des vidéos au milieu de nulle part. Et on était sur le Web pas parce qu’on se disait “oui, le web, c’est le futur !“. On était surtout là parce que la télé voulait pas de nous ! On avait des choses à dire, et là où les gens pouvaient nous écouter, c’était sur le web. Ma génération, celle de François Descraques aussi, s’est emparé du web, littéralement. Après François Descraques, y a eu Studio Bagel, Golden Moustache et compagnie, et là ça a commencé à se professionnaliser, avec aussi des gens tous seuls comme Norman, Cyprien…
Et la pub est arrivée, et c’est là que j’ai commencé à lâcher le truc. J’ai été habitué à faire mes bêtises seul, sans contraintes, et même si je gagnais pas beaucoup de pognon, ben j’étais libre. À partir du moment où le web s’est professionnalisé, il y a commencé à avoir des mecs qui venaient en réunion avec des costards cravates, qui nous parlaient de performance et de statistiques… Donc j’ai commencé à m’éloigner un petit peu et maintenant qu’on est à la génération 4 ou 5 de Youtube, j’avoue que je connais plus les gens qui sont connus. Je comprends plus le fonctionnement, parce que les gens disent “Moi je regarde pas la télé parce que la télé c’est formaté” mais ils vont sur Youtube pour regarder des chaînes hyper précises sur du contenu hyper précis ! En plus maintenant si t’as pas le fric de t’acheter du super matos dès le départ, que ton son et ton image sont un peu pourris, les gamins ils font “ton image elle est nulle, j’me désabonne !“. Mais le web c’est pas ça putain, le web c’est quelqu’un qui a envie de s’exprimer, qui a des compétences et qui les montre ! Et peut-être qu’il va être nul sur le son, mais il va écrire super bien ses dialogues, ou être un super monteur ! C’est pour ça que je pense que je comprends plus rien, et que je fais moins de choses sur Youtube. Quand tu vois Norman et Cyprien qui ont des milliers d’euros pour faire un sketch (et je les critique pas du tout, ils ont bossé pour en arriver là ! Et ils le méritent !), mais qu’un gamin à côté commence dans sa chambre et que les gens commentent pour dire “Norman il l’a mieux fait”, je me dis que le public ne comprend plus cette cassure entre le Youtube pro et le Youtube amateur. Peut-être qu’il faudrait créer deux plates-formes distinctes, je sais pas… En tous cas ça ne fonctionne pas actuellement.
Dolores : Et sur ton rapport à la télé justement, parlons-en ! Tu es encore à la télé sur Nolife notamment. Qu’est ce que t’apporte encore la télé qu’il n’y a pas sur Internet ?
Davy Mourier : J’adore animer, j’adore les débats, les interviews… Sur Nolife, la liberté c’est d’interviewer quelqu’un durant le temps qu’on veut, de faire les émissions qu’on veut avec la durée qu’on veut. Sur les autres chaînes il n’y a pas ça, et sur Youtube le public a peur des vidéos trop longues. Sur Nolife (NDLR : dans l’émission en Mode Normal) j’ai un invité qui a envie de parler, je le laisse parler. Et j’aime ça ! Je regardais “Nulle part ailleurs” quand j’étais gamin, j’adore les talk shows, le live j’adore, et animer une émission en live c’est usant mais tellement riche ! C’est une émission par semaine en direct sur Nolife, c’est fatigant, en plus y a pas beaucoup de gens à Nolife donc faut faire beaucoup de choses parallèles, comme s’occuper des invités, lire leurs créations, faire les questions, préparer les sketchs… ça fait beaucoup mais c’est tellement cool qu’ils donnent les moyens de faire ça ! La télé, faut aussi savoir que c’est un rêve de gosse. Moi j’ai pas grandi avec Youtube, et mine de rien je pense que ça joue aussi beaucoup sur l’image que j’ai de la télévision. Là par exemple on m’a proposé de faire une mini pastille dans l’émission d’Antoine de Caunes sur Canal+ , ben ça me fait super plaisir d’être reconnu par des grands noms de la télé ! En plus Antoine de Caunes j’adore ce qu’il fait, et on me propose de faire une pastille où je dessine et j’écris des sketchs donc ils ont vraiment pris le temps de s’intéresser à mon univers et à ce que je fais… Ils vont me donner les moyens de faire ce que je sais faire, ce que hélas Internet ne fait pas, sauf si j’accepte de marquer Fanta ou Coca Cola au début de mes vidéos. La pub, ça me gène, et à la télé il y a de la pub entre les émissions, mais au milieu j’ai l’impression d’être libre. Ce qui est faux bien sûr ! *rires* Mais j’ai plus cette sensation de liberté sur la télé que sur Internet… C’est paradoxal hein?
Dolores : Petite question bonus pour finir, parce que Toulouse oblige ! Tu collabores sur la BD des As de la Jungle de TAT Prod : comment se passe la collaboration ?
Davy Mourier : C’est trop bien ! Ils sont partants pour tout, on s’est envoyé un mail, on s’est rencontrés et c’était lancé ! Au milieu d’un repas qu’on a fait ensemble, ils m’ont balancé “Au fait, ça te dirait d’écrire des épisodes pour la saison 3 ?“, ce que je me suis empressé de faire. Bref, c’est franchement génial, je crois qu’on partage la même vision de la création, et on est en train de travailler sur le T2 de la BD Les As de la Jungle !
Propos recueillis par Dolores – Merci beaucoup à Davy Mourier et sa casquette Adventure Time !
[…] Mais pas l’temps d’niaiser, comme diraient nos amis d’outre-Atlantique : direction la seconde interview de la journée avec l’immense (en notoriété, bien sûr) Davy Mourier, qui a eu la gentillesse d’accepter de répondre à nos questions ! Davy nous a parlé avec passion de sa nouvelle série animée, La Petite Mort, mais a aussi fait un retour sur son amitié avec Brigitte Lecordier, sa carrière d’acteur et ses envies pour le futur… Parler avec Davy c’est presque comme parler à un ami de longue date tant il est naturel, à l’aise et sympathique. Pas surprenant que ce roi de la culture-démerde artistique ait conquis tout Internet avec sa sympathie et son talent légendaires… Interview à retrouver dans son intégralité ici […]