Interview d’Hector Noas

Réalisée le 20 mars 2018 à la Cave Poésie par Stella et Gonzobob, en présence de la traductrice Muriel Pérez

L’Écran : Bonjour, pour commencer est-ce la première fois que tu viens à Toulouse et au festival Cinélatino ? Comment trouves tu la ville ?

Hector Noas : C’est la première fois que je viens au Festival Cinélatino, mais l’an dernier j’y avais déjà un film qui s’appelle Conducta ( (NDLR: “Chala, une enfance cubaine” en français) qui était présenté, lui aussi réalisé par Ernesto Daranas. Je suis très content, je trouve que c’est un festival très important, il y a une ambiance très chaleureuse et familiale qui me plaît.

Le film Conducta, précédente collaboration d’Hector Noas et Ernesto Daranas

E: Le ton du film est très léger et comique, en opposition avec Conducta, où la violence était plus montrée. Ce ton plus léger permet-il de présenter un aspect plus optimiste du Cuba d’aujourd’hui ?

H. N. : Alors, je ne suis pas le réalisateur (NDLR : Ernesto Daranas), mais je pense que le film se passe dans le contexte d’une période spéciale à Cuba. C’était un moment où l’on n’avait pas d’options, pas de choix, il n’y avait pas de combustible, pas de nourriture… C’était un moment très difficile, je me souviens que l’on avait 4 heures d’électricité par jour, les gens avaient faim, ils avaient des besoins basiques très forts. Mais ce film ne parle pas de cela, il s’inscrit dans ce contexte, ce moment, mais c’est simplement un film sur l’amitié, l’amitié entre des hommes qui, même si il y a des barrières culturelles, linguistiques ou politiques entre eux, arrivent mine de rien à communiquer, à devenir amis. C’est un peu ça l’espoir de l’humanité, c’est comment des hommes peuvent arriver à se réunir, à se rassembler. Je pense que ce qui donne ce ton léger à ce film aussi, c’est le fait que ce soit la petite fille (NDLR: Mariana, la fille de Sergio) qui le raconte, parce qu’elle, et les enfants à l’époque, n’ont pas vécu ce moment de la même manière que les adultes. Ce qu’ils en savent c’est ce que leurs parents racontent. Elle dit à un moment dans le film qu’elle se souvient d’une période très heureuse, où sa famille était très heureuse, et je pense que cela vient de là. C’est une période où par exemple il n’y avait plus de transports publics, les seuls moyens de transport étaient les vélos. Du coup sur les vélos il y avait tout le monde : la mère, le père, la nourriture, les enfants,… Tout cela a forcé les gens à s’unir. Il n’y avait pas de voitures, pas de transports dans les rues, donc les enfants y jouaient de manière très libre. C’est pour cela qu’ils gardent de la période un souvenir de joie et d’enfance heureuse, et c’est cela qui donne son ton à Sergio y Serguéi. Cela fait maintenant un peu moins de 30 ans que cette période est passée, mais on n’en est pas complètement sortis non plus, Cuba vit encore aujourd’hui dans une situation économique très difficile. Mais les enfants ne se souviennent pas de cette « période spéciale », et c’est pour cela que le ton du film est assez léger.

Une histoire racontée à travers des yeux d’enfant

E: Sergio y Sergéï est un film très humain, qui parle notamment des radioamateurs, qui sont présentés comme un moyen de communication entre des gens qui sont dans une isolation politique et géographique. Est-ce que selon vous la technologie, et aujourd’hui Internet, sont des moyens de rassembler les êtres humains ?

H. N. : Je pense que la communication est très importante. Même si évidemment il y a un côté négatif à la technologie qui parfois sépare les personnes. Cela nous est arrivé à tous, par exemple dans un restaurant, avec tout le monde qui a son téléphone à la main… Je ne m’oppose pas à la technologie, mais je pense que son but devrait être d’unir les personnes au lieu de les séparer. Ces radioamateurs existent depuis très longtemps, depuis le début du code morse en fait (NDLR : 1832). Il y a encore des radios qui fonctionnent comme çà à Cuba, c’est encore quelque chose qui s’utilise, et il y a même une association mondiale, qui existe encore, et qui continue d’exister parce qu’elles ont permis même récemment de sauver des vies. Comme cela ne dépend pas des communications satellitaires, lorsqu’il y a des catastrophes naturelles, des tremblements de terre, des choses comme cela, les seules fréquences qui arrivent à passer sont ces fréquences là, qui peuvent donc encore sauver des vies.

E: Ou en est Cuba aujourd’hui vis à vis de la censure, notamment au cinéma ? Trouvez vous qu’il est plus facile de faire et de jouer dans des films engagés de nos jours ?

H. N. : Alors ce sont deux choses différentes, la question de la censure et celle de faire du cinéma. La censure existe à Cuba, on ne peut pas le nier. Par exemple il y a deux ans est sorti un film indépendant qui parle de la thématique de l’homosexualité avant les années 1970 (NDLR: “Santa y Andres” (http://www.cinelatino.fr/film/santa-y-andres ), Carlos Lechuga, 2016). C’est un film super intéressant, mais qui n’a pas pu être montré et qui a été censuré au festival de La Havane. Je pense qu’aujourd’hui ils reconnaissent que c’était une erreur, parce que c’est un film qui parle de quelque chose qui a existé, et d’une certaine manière le censurer c’est essayer de nier ce qu’il s’est passé, et on ne peut pas censurer le passé. Ce qu’il faut faire pour grandir en tant que société c’est que l’on regarde le passé afin de le confronter, au lieu de le nier en le censurant. Je pense que la question de l’homosexualité n’est plus un tabou aujourd’hui à Cuba. Il y a encore beaucoup de freins, notamment dans la mentalité des gens, mais ce n’est plus un tabou aussi fort que cela a pu l’être. Notre film met aussi le doigt sur des thématiques un peu sensibles, et notamment la question du contrôle social et politique, qui est très liée à la question des peurs. Quand on regarde par exemple les Etats-Unis et Cuba qui sont des pays qui sont extrêmement proches physiquement mais très éloignés politiquement et qui se confrontent beaucoup, on a en fait plus de choses en commun que de différences. D’ailleurs on le voit avec l’administration Obama qui a ouvert les relations USA-Cuba, il y a beaucoup d’Américains qui sont venus à Cuba, et inversement, et tout se passe bien. Ils s’entendent très bien avec les Cubains, qui les adorent, et ils adorent les Cubains. Je pense que ces peurs viennent plutôt des gouvernements, qui s’espionnent beaucoup. Il y a beaucoup d’intérêts politiques qui se cachent derrière tout cela. Donc voilà, la censure elle existe, mais il faut d’une certaine manière la confronter intelligemment, et ce que fait le réalisateur dans ce film c’est qu’il s’y oppose à travers la comédie, à travers la farce et ce ton absurde. Quand on voit le film on se rend bien compte à quel point tout cela est absurde, en fait.

E: Assez peu de films cubains s’exportent jusqu’en Europe, principalement lors de festivals comme Cinélatino. Comment se passe leur distribution sur le continent américain ? Ces films ont-ils du mal à sortir de Cuba pour aller dans d’autres pays américains, ou leur diffusion est elle libre ?

H. N. : En fait jusqu’à présent c’est l’I.C.A.I.C. (NDLR : Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos), qui est le C.N.C. cubain, qui s’occupe de tout ce qui est distribution. Il y a une très mauvaise gestion, et il s’en occupe très mal… Il n’arrive pas à imposer le cinéma cubain en dehors de Cuba. Ce sont plutôt des cas particuliers, comme par exemple le réalisateur de ce film, qui a réussi à avoir un distributeur international qui a acheté le film et qui, du coup, s’occupe de sa distribution à l’étranger. Ce ne sont généralement pas des films qui sont vus dans d’autres pays d’Amérique Latine non plus. Énormément de films qui sont vus au Festival de La Havane en décembre n’ont ensuite pas de distributeurs et ne sont plus vus… Sergio y Serguéi a un distributeur anglais qui a réussi à faire entrer le film au Festival de Toronto, qui est un super marché pour le cinéma. Le film est aussi allé au Festival de Busan en Corée du Sud, qui est aussi un très gros marché. Ces deux festivals ont permis que beaucoup de distributeurs s’intéressent au film et qu’il soit acheté dans de nombreux pays. D’ailleurs le film va être vu ailleurs avant d’être vu à Cuba, car s’il est passé au Festival de la Havane en décembre dernier, il ne sortira en salles qu’en mai.

E: Le film est une coproduction Cuba-Etats-Unis, ce qui est assez surprenant. Tout d’abord est-ce une première, et l’ouverture à la coproduction et à l’étranger, est-ce une solution pour faire grandir le cinéma cubain, le faire connaître à l’étranger et s’exporter ?

H. N. : Le film est une coproduction Cuba-Espagne-Etats-Unis, et les Etats-Unis n’ont pas investi beaucoup dans le budget. Je pense que leur apport c’est plutôt l’acteur Ron Perlman qui est aussi producteur du film. Il adore le cinéma indépendant, et il est complètement tombé amoureux du projet, il est d’ailleurs venu à Cuba pour tourner. Evidemment la question de l’ouverture de Cuba va entraîner le développement du cinéma, mais au delà de la question des capitaux étrangers sur notre territoire, nous on lutte depuis des années pour avoir une loi sur le cinéma qui permettrait aux réalisateurs eux-mêmes d’investir dans leur films, pour que tout ne passe pas par l’Etat afin d’avoir un cinéma indépendant qui soit reconnu et que les réalisateurs puissent faire leurs films de manière plus indépendante que cela n’est le cas actuellement.

Ron Perlman, qui a incarné le Hellboy de Guillermo Del Toro ou encore l’ancien chef des bikers de la série Sons of Anarchy  

E : As-tu rencontré Ron Perlman directement sur le tournage à La Havane, ou as tu dû attendre la présentation officielle du film à Cuba, où il était présent ? Tu as eu l’occasion d’échanger avec lui sur le film ou le cinéma en général ?

H. N. : Je l’ai rencontré à La Havane pendant le tournage car il y a une scène, qui n’apparaît pas dans le montage final, qui est une séquence de rêve de Sergio où les trois personnages (NDLR: Sergio, Serguéi et Peter) sont attablés ensemble. C’était une scène très drôle que j’adorais, que le réalisateur adorait aussi, complètement surréelle. J’étais habillé en cosmonaute, le personnage de Peter était habillé en biker façon Harley-Davidson, Sergio en Cubain très classique et on parlait de la philosophie de la vie, on parlait de la fin du capitalisme. C’était une scène très drôle, mais la post-production était trop compliquée, et ils n’ont pas réussi à la garder. Ron Perlman est un être véritablement enchanteur, qui ne se prend pas du tout au sérieux, ne fait pas sa star. Il mangeait avec nous tout le temps, il allait dans les rues de La Havane, c’est quelqu’un de très simple. Il est venu à la première du film, il a adoré et était très ému, il m’a embrassé, pris dans ses bras… A la base je ne parle pas Russe, je l’ai appris juste pour le film. Lui il a découvert çà à l’écran, il n’avait rien vu de mon travail avant, et ça lui a beaucoup plu.

E: Question plus technique sur le tournage: Sergéi pendant tout le film est seul sur la Station MIR mais est en contact radio avec Sergio. Sur le tournage, donnais tu la réplique à Sergio ou interprétait-tu tes répliques seul ?

H. N. : Alors en fait j’ai donné la réplique à l’autre personnage (NDLR: Sergio, interprété par Tomas Cao), je suis allé à La Havane, et du coup il avait quelqu’un à qui donner directement la réplique. Mais pour moi les scènes dans la station ont été tournées à Barcelone, et j’étais donc tout seul pour jouer. On avait enregistré sa voix, mais il n’était pas physiquement là. L’un des défis que j’ai dû relever en tant qu’acteur sur ce film, c’était de réussir à rendre la solitude de ce personnage tout en étant entouré de personnes sur le set, le plateau de tournage. Il fallait que je rende cette impression de solitude. Ce qui était aussi difficile techniquement et assez compliqué, c’est que je ne pouvais rien toucher, rien faire, et il y a tout un travail de post-production qui a du être fait, mais je ne pouvais pas interagir avec ce qu’il y avait autour de moi.

E: Qu’est ce qui a été le plus dur pour vous en tant qu’acteur: le fait de devoir apprendre à parler Russe, l’entraînement physique afin de pouvoir supporter un tournage en suspension, ou le travail sur le personnage et sa solitude ?

H. N. : (Il coupe un temps la traductrice) Le Russe ! Le plus difficile était le Russe. C’est une langue que je ne parlais pas du tout, j’avais pris un cours mais c’était il y a 30 ans et j’avais tout oublié… Je savais dire « oui », « non », « bonjour » et c’est tout. Ce qui était compliqué c’est que mon personnage Serguéi est un Russe, donc il fallait vraiment que je m’imprègne, même physiquement, de cette culture pour que les spectateurs n’aient pas l’impression de voir un Cubain mais bien un Russe. C’était peut-être ça le plus difficile. Dans la langue russe il y a des sons, des prononciations que l’on n’a pas dans le langage espagnol, c’était aussi très dur de réussir à apprendre. J’avais une coach sur le tournage pour m’aider avec la langue, et elle était très exigeante avec moi. A la fin elle non plus n’en croyait pas ses oreilles !

E: Tu as beaucoup travaillé avec ce réalisateur, Ernesto Daranas. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

H. N. : Je suis parti en Espagne une première fois en 1998 pour tourner avec une troupe de théâtre et j’ai rencontré une chaîne de télévision locale. J’ai commencé à avoir des contrats donc je faisais des allers-retours entre Madrid et Cuba. En 2002 je suis retourné à La Havane pour tourner un téléfilm, dont Ernesto Daranas était en fait le scénariste et co-réalisateur. C’est là que l’on s’est rencontrés et on s’est tout de suite bien entendus. J’ai de très bons souvenirs de ce tournage en particulier. Par la suite lorsqu’il a pu réaliser son premier téléfilm, il m’a appelé pour me proposer un rôle. Le téléfilm a beaucoup tourné et a eu pas mal de succès. Et en 2008 il allait faire son premier long-métrage au cinéma, Los Dioses Rotos. Il m’a donc appelé pour jouer l’un des personnages. C’est un film très fort dans la mémoire collective à Cuba parce qu’il parle de La Havane, de la prostitution, il est très ancré dans la réalité de la ville. Depuis ce moment là on a tissé des liens qui sont presque familiaux en fait. A chaque fois qu’il a un nouveau projet il m’en parle, même quand il est en train de monter ses films il me montre, on en discute et il prend en compte mes remarques. Je trouve que c’est quelqu’un de très intelligent et ce que j’aime en particulier chez lui c’est qu’il essaie toujours de se dépasser, aussi bien en tant que réalisateur qu’en tant qu’être humain. Je trouve que c’est une très belle qualité.

La bande annonce de Sergio y Serguei (sous-titrée en anglais)

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