Jazmines en Lídice de Rubén Sierra Salles, 2019, Mexique / Venezuela

avec Gladys Prince (Meche), Rossana Hernández (Anabel), Patrizia Fusco (Dayana), Tatiana Mabo (Sandra), Indira Jiménez (Yoli), Elizabeth Quintanales (Aída)

Le film s’ouvre sur une cérémonie religieuse, quelques plans de fleurs, de ville. Le temps s’étiole, semble long, se distend. Puis petit à petit, l’intrigue se dévoile, pudiquement, comme ces personnages que l’on découvre pour la première fois derrière les carreaux voilés d’une porte de cuisine. Nous découvrons Meche, l’héroïne de l’histoire, affairée à la cuisine avec sa fille Dayana. Une moto posée dans la rue déclenche une tension entre les deux femmes, et le film démarre lentement son histoire. 

Crédit photo : Miami Diario

Jazmines en Lídice s’ouvre sur un premier quart d’heure mystérieux qui n’est composé que de plans longs, contemplatifs, brouillés par un bruit sourd et envoûtant. On entrevoit une tragédie familiale, on devine les tensions, les non-dits, les regards lourds que s’échangent mère et fille. Mais tout reste brouillé, opaque, à la manière du son du film très étouffé au début : les dialogues sont difficilement compréhensibles, le son tient plus du murmure que de la parole audible. C’est uniquement lorsque la moto pétarade que le film sort de sa torpeur, comme si ce bruit soudain dispersait les molécules cotonneuses qui emprisonnaient jusque-là les personnages. 

Crédit photo : Cinélatino

C’est un film du non-dit, du secret, de la pudeur, du temps long. Les regards en disent plus que les mots, vides de sens, que les personnages échangent en alignant les banalités. La plupart du film se déroule dans la cuisine de Meche, le cœur de la vie de famille, et seules deux rares exceptions filmées en extérieur (le travail de Daya et les fleurs dans la rue) empêchent le film d’être un huis clos. Il en possède pourtant l’atmosphère étouffante et angoissante. Les scènes de la vie quotidienne qui rythment le film portent le poids du drame : un repas devient une épreuve, arroser des plantes un hommage. Et les évènements qui pourraient briser cette routine (l’anniversaire de Daya par exemple) sont autant d’impasses qui mettent en relief les blocages des personnages, leur impossibilité à revenir à une vie normale. 

crédit : Cinélatino

Lorsque l’on apprend finalement la raison du poids qui pèse sur la famille de Meche, le film prend tout son sens. Toute cette lourdeur, cette noirceur, ce manque d’espoir sont autant de signes de deuil que portent la famille. Meche ne cesse d’ailleurs de le rappeler: “nous ne pouvons pas fêter d’anniversaires. Cette maison est en deuil.” Alors que ses deux filles souhaitent aller de l’avant, Meche s’accroche au passé et refuse de laisser le moindre rayon de lumière percer le voile noir qu’elle a tissé autour d’elle. 

Jazmines en Lídice bénéficie d’un soin précieux et rare en termes de mise en scène. Rarement réalisateur n’aura mis autant d’amour dans ses personnages, autant d’ardeur à maintenir une égalité constante dans son ambiance, autant d’énergie dans la parcimonie des sentiments distillés par ce film. Rubén Sierra Salles signe un premier film précieux, immense dans son dessein de donner de l’ampleur aux brisures les plus intimes des vies modestes. 

Dolores

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