Le cinéma de l’Hexagone a depuis longtemps puisé son inspiration dans son riche patrimoine littéraire. Le Comte de Monte-Cristo est l’une des dernières adaptations d’une longue ligne au grand écran. Écrit et produit par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, cette histoire bien connue du public a reçu un accueil quasiment inédit pour un film de son genre. Un an après sa première, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 9 millions d’entrées, 16 semaines en tête d’affiche, 2 Césars et une recette totale de 69 millions d’euros. Ce triomphe indéniable est un succès des plus bienvenus dans un paysage du septième art français souvent relégué dans l’ombre par son homologue américain.
Redéfinir le film d’aventures aux dimensions épiques
Dès l’introduction, on est plongé dans l’urgence et l’imminent danger dans lequel le personnage principal se jette volontairement, avec les meilleures intentions au monde. Un sens aigu de la justice, une honnêteté sans faille et la volonté de faire le bien en dépit de toutes circonstances : voilà ce qu’était Edmond Dantès. Son optimisme et son avenir supposé radieux se reflètent au travers des paysages magnifiques de la Provence, aux alentours de Marseille, ainsi que par l’utilisation de la lumière. Toute la première partie de l’histoire, de l’entrée initiale de Dantès dans le port de Marseille à son incarcération au Château d’If, est inondée de soleil et d’une vaste palette de couleurs chaudes ; la garde-robe des personnages est tout aussi chaleureuse en spectre de couleurs vives et unies pour les antagonistes, et pastels et dégradés pour les adjuvants. Ceci reflète l’insouciance d’Edmond dont le bonheur fait des envieux, et très bientôt des ennemis. Au cours de sa métamorphose en Comte, les tons colorés choisis perdent en chaleur, mais jamais en intensité.
Une adaptation particulièrement fiable…
Il n’est jamais aisé d’adapter de manière satisfaisante une histoire au cinéma. Sans suffisamment de fonds et de moyens techniques, il est fréquent qu’un projet se retrouve confronté à des obstacles qui l’empêchent d’être mené à terme.
L’équipe de production du Comte de Monte-Cristo toute entière s’est pleinement investie pour donner vie au Paris du XIXe siècle. L’opulence propre aux cercles sociaux des castes élevées est reflétée via des décors somptueux, mais aussi par les activités qu’ils pratiquent au quotidien : banquets, parties de cartes, promenades et chasse à courre. Ce décor habille l’intrigue en offrant aux protagonistes des possibilités d’interagir naturellement et de mettre en place de manière subtile leurs plans. L’équipe des coulisses a amplement mérité d’être récompensée pour leur travail, notamment concernant la qualité des costumes créés. Ces derniers sont des éléments essentiels, parfois sous-estimés, pour faire croire à l’authenticité d’une histoire, particulièrement lorsque celle-ci se déroule à une ère révolue. Qu’il s’agisse des habits d’un matelot, d’un procureur éminent ou d’une duchesse, chaque vêtement attitré correspond de la meilleure manière qui soit au rang et à la personnalité de la personne concernée.
Les scénaristes parviennent également à fidèlement retranscrire les points centraux de l’intrigue grâce à des dialogues finement ciselés, à la fois raffinés et intelligibles. Les usages et les coutumes propres à l’époque décrite rythment les relations forgées, et leurs variations permettent d’accentuer les différences d’origine sociale et de statuts de chacun. La notion de réputation respectable règne en maître sur toutes les décisions, et notamment en ce qui concerne l’honneur. Honneur lié à l’argent, honneur lié à l’orgueil et honneur lié à l’amour, sont tout à tour incarnés par chacun des trois antagonistes, et que le Comte ne manquera d’identifier comme leurs faiblesses fatales.
… Qui sublime l’original par son casting d’exception
Pierre Niney incarne de manière remarquable les facettes diamétralement opposées du personnage principal : Edmond Dantès, le Comte de Monte-Cristo, est à la fois honnête et empathique, mais aussi borné et vindicatif. Les louanges à l’égard de l’acteur sont plus que méritées au vu de sa performance incroyable. Il sait parfaitement osciller entre les deux extrêmes des pôles émotionnels demandés par la complexité de son rôle : impitoyable, mais impossible à haïr. Soutenu par le talent de la direction artistique et du maquillage, on n’a aucun mal à croire à l’évolution du tempérament du personnage, en conséquence des blessures physiques et morales qui lui ont été infligées sur près de deux décennies.
Néanmoins, Niney ne porte pas tout le film seul sur ses épaules. Son duo avec Anaïs Demoustier (Mercedes), fait surgir une puissante relation amoureuse authentique et complexe, tout en subtilité. Par son jeu habité, Julie De Bona (Victoria Danglars) rend son personnage, ses réactions et ses états d’âmes essentiels au bon fonctionnement de certaines séquences : il est juste de souligner que, malgré sa qualité de protagoniste secondaire, ce sont à chaque fois ses réactions à elle qui permettent de véhiculer toute l’urgence et la gravité des scènes vécues.
La performance d’Anamaria Vartolomei, en particulier, reste en mémoire. Incarnant Haydée, elle parvient à offrir un panel de motivations supplémentaires à une femme déjà remarquable par sa complexité initiale. En survivante de circonstances tragiques comparables à celles vécues par le Comte lui-même, elle ne se laisse jamais aller ni à l’apitoiement, ni ne se laisse complètement être consumée par un besoin de vengeance imperméable à toute rationalité. Souvent qualifiée comme inatteignable, l’actrice choisit de la montrer tour à tour brave et vulnérable selon les situations sociales auxquelles elle se retrouve confrontée.Que ce soit le Comte, André ou encore l’amant qu’elle se choisit, Mme Vartolomei communique de manière puissante les différents types de sentiments qu’elle leur réserve. Dans une certaine mesure, la relation fraternelle entre elle et André, l’autre protégé du Comte, existait déjà. Mais son importance accrue et son développement subtil et tout à fait vraisemblable sur pellicule était plus que bienvenue.
Laurent Lafitte, Patrick Mille, Julien de Saint Jean… Tous ces acteurs au talent certifiés soufflent vie à leurs personnages respectifs, vieux de plusieurs siècles, mais aux préoccupations toujours accessibles auprès du public d’aujourd’hui.
Appréciée tout autant par le grand public que des fans dévoués à l’œuvre littéraire, Le Comte de Monte Cristo mérite de devenir un incontournable du cinéma francophone. C’est un vrai plaisir de rentrer dans ce monde, à première vue si éloigné de notre monde contemporain, où les profondes émotions des personnages nous font vivre l’histoire sans retenue aucune. Odyssée humaine et quête de justice superbement adaptée à l’écran, cet hommage au classique d’Alexandre Dumas est irréfutablement en passe de devenir un incontournable du cinéma français.