Les coups de cœur du Watcher : Rene Russo, une femme d’exception

Voir Rene Russo dans un film, c’est comme voir un label bio sur des légumes : même si c’est mal cuisiné, ce sera bon.

Comment gagner sa vie en Amérique dans les années 70 quand on a quitté l’école à 16 ans (crédit bellazon.comvia pintinterest)

Issue d’une famille très pauvre, ayant fait des dizaines de petits boulots mal payés après avoir abandonné le lycée, en partie à cause du harcèlement que son physique atypique provoque chez ses camarades (dont un certain Ron Howard), elle est repérée à un concert des Rolling Stones à 18 ans pour devenir mannequin et faire la couverture de Vogue dans les années 1970.

C’est seulement à 33 ans qu’elle se reconvertit dans l’actorat, après avoir suivi des cours professionnels à New York. Après 5 films passables, elle est finalement castée dans le rôle qui va la révéler : Lorna Cole, la flic qui joue d’égale à égal avec Martin Riggs, alias Mel Gibson, dans L’Arme Fatale 3 en 1992 (de Richard Donner). Ultra-crédible en ce qu’elle définit comme “someone who could say… you with a gun and mean it” (une dure à cuire convaincante en résumé), elle se spécialise pour la décennie dans le film d’action en partenaire d’une grande star hollywoodienne et leur tient à tous la dragée haute :

  • Clint Eastwood et John Malkovich dans Dans la ligne de mire 1993 de Wolfgang Petersen (une agent du service secret responsable de la sécurité du président des États-Unis d’Amérique). 
  • Dustin Hoffman, Morgan Freeman et Kevin Spacey dans Alerte ! toujours de Petersen en 1995 (une scientifique du Centre de Contrôle et de Prévention des Maladies). 
  • Mel Gibson et Gary Sinise dans La Rançon de Ron Howard en 1996 (l’épouse d’un homme d’affaire dont l’enfant est enlevé). 
  • Encore Gibson et Danny Glover dans le dernier épisode de L’Arme Fatale 4 en 1998, toujours par Donner. 
  • Thomas Crown par John McTiernan en 1999 face à Pierce Brosnan (le James Bond de l’époque) où elle reprend sublimement le rôle précédemment tenu par Faye Dunaway).  
“Rétrospectivement, faut avouer que t’as commencé avec les plus grands, ma petite.”

Bien que très datés, ces films fournissent encore aujourd’hui un très bon divertissement grâce, en grande partie, à ce petit quelque chose qui fait la différence face à la caméra entre une starlette et une grande actrice, une sensation de sérieux, d’implication dans son travail sans non plus tomber dans le too much (comme un vulgaire Nicolas Cage), un art consommé de donner envie sans trop en révéler. Seul Thomas Crown est toujours un excellent film dont on rêve de voir la suite et offre à ses deux interprètes l’une de leurs meilleures prestations, le charme vénéneux de femme fatale et la classe froide du gentleman se liant aussi parfaitement que le Henry McKenna 10 year Single Barrel et la glace.

La dream team d’un remake presque meilleur que l’original mais au moins aussi bien : John McTiernan, Pierce et Rene sur le tournage de Thomas Crown
Le meilleur film sur Hollywood qu’Hollywood ait produit

Malgré ça, son meilleur rôle jusqu’à présent reste celui de Karen Flores, actrice de série B, dans le brillant Get Shorty de Barry Sonnenfeld, avec John Travolta, Danny de Vito et Gene Hackman pour partenaires. Cette satire d’Hollywood d’après un roman d’Elmore Leonard (l’auteur de Jackie Brown qui sera aussi adapté par Tarantino qui avait refusé Get Shorty) est un pur caviar cinématographique parfaitement préparé : des seconds rôles de qualité (James Gandolfini, Dennis Farina, Delroy Lindo), des têtes d’affiche on fire, un réal. inspiré, un scénario juste ce qu’il faut de meta et de rebondissements pour ne jamais être perdu sans pour autant laisser le cerveau aux vestiaires. Rene est parfaite dans ce contre-emploi d’ex-bimbo de nanars qui vit sur les vestiges de sa gloire, ce qu’elle aurait pu devenir si elle avait eu moins de jugeote dans le déroulement de sa carrière.

Les 2000’s ne sont marquées que par son retrait volontaire d’Hollywood pour s’occuper de sa famille, de sa santé (elle est diagnostiquée bipolaire) et surtout changer d’air. Elle passe 6 ans à travailler pour le département de l’eau et de l’énergie de Los Angeles pour “revitaliser les zones forestières touchées par la sécheresse” puis, forte de cette expérience, se lancera dans l’élevage de vaches laitières et créera sa propre entreprise de yaourts produits localement. 

Que ce soit sur les plateaux ou dans les champs, Rene fait tout sérieusement avec application. C’est sûrement la raison pour laquelle elle a tant de succès dans le métier d’actrice qui ne lui plaît pas tant que ça (elle déclara qu’elle préférait se lever à 4h30 pour traire les vaches que d’aller se faire maquiller pour passer la journée sur un plateau). À force de croiser des gens dans la rue qui lui répètent leur déception de ne plus la voir au cinéma, elle accepte de revenir par la grande porte en incarnant Frigga, la mère de Thor dans le blockbuster de Marvel en 2011 et sa suite Thor, le monde des ténèbres en 2013. Un retour réussi qui lui permet d’aider son mari, le scénariste Dan Gilroy, à réaliser l’œuvre de sa vie, 

À la définition de  “power couple” vous pourriez trouver cette image

Nightcall en 2014, où elle interprète une directrice de l’information en pleine course aux audiences qui se retrouve à la merci de Jake Gyllenhaal (qui participe à la production du film) . Le film noir est un succès critique et public, multi-récompensé, tant grâce à l’écriture et la réalisation nerveuse de Gilroy qu’au jeu sous tension de Gyllenhaal et Russo. 

Si tu me croyais finie parce que j’ai dépassé la quarantaine, tu n’as encore rien vu !

L’équipe se réunit à nouveau cette année pour Velvet Buzzsaw, film pour Netflix dans un genre différent : l’horreur fantastique (le film se passe dans le milieu de l’art contemporain). Russo y très convaincante en directrice de galerie d’art qui crée de la spéculation financière sur les œuvres des artistes qu’elle expose. Pour ces deux rôles, l’actrice a atteint une maturité de jeu exceptionnelle qui s’accorde parfaitement avec sa soixantaine séduisante. 

Rene Russo, bien que n’étant pas une actrice “cérébrale”, qui ne se perd pas dans les tréfonds des âmes de ses personnages, a toujours livré des prestations impeccables qui ont toujours su titiller mon amour cinématographique. Bien que dotée d’un physique exceptionnel, elle a aussi toujours su utiliser ce je ne sais quoi qui donne un supplément d’âme à un personnage. Elle a beau dire qu’elle n’a aucune passion pour le métier, qu’elle a fait ça pour survivre (selon elle, c’était la seule voie possible pour une mannequin sans diplôme en fin de carrière), elle a réussi au-delà de toute espérance : bien qu’elle ait obtenu peu de récompenses et peu de nominations, elle est rentrée dans l’imaginaire collectif de trois générations de cinéphiles aujourd’hui. Ce sens du travail bien fait, que j’attribue généralement aux artisans (des types comme John Carpenter ou John McTiernan, des femmes comme Felicity Huffman ou Nancy Meyers), ne saurait suffire à expliquer son succès. Il y a très probablement en elle l’essence d’une star qui aurait pu s’épanouir à une autre époque, mais aussi la consumer sur le boulevard du crépuscule. Sa modestie et son exigence l’ont peut-être empêché de devenir une star, mais l’ont définitivement fait être une femme d’exception à Hollywood. Espérons que l’on pourra tout de même encore profiter un peu de son savoir-faire avant qu’elle ne tire sa révérence dans un ranch ou ailleurs et qu’elle profite du repos des justes qui suit le travail accompli.

Merci pour ces bons moments (crédit Genaro Molina / Los Angeles Times)

THE WATCHER

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