Sorti en mars 2018 dans une indifférence plutôt générale, j’ai décidé d’offrir en cette période de confinement une chance à Sea of Thieves. Projet audacieux de Rare (développeurs de Donkey Kong, Banjo-Kazooie…) exclusivement multijoueur dans lequel 20 marins naviguent simultanément sur une mer hostile et pleine de secrets, le jeu n’était pas convaincant à sa sortie. Assez bugué, avare de contenu et prix trop élevé : Sea of Thieves manquait clairement d’arguments pour qu’on se jette à l’eau. Mais à la manière de Hello Games et de leur No Man’s Sky, Rare ont persévéré et ont continué de nourrir leur bébé deux années durant.
En résulte un bac à sable marin imparfait mais au potentiel formidable. Malgré son système de combat au corps à corps poussif et ses serveurs capricieux, Sea of Thieves émerveille quiconque est en recherche d’aventure et surtout d’une nouvelle expérience sociale vidéoludique : les interactions entre joueurs sont au coeur du gameplay et le jeu vous laisse entièrement libre de vos choix. Du marin pacifiste au pirate orgueilleux, tous les styles de jeu sont possibles et vous vous mordrez parfois les doigts d’avoir attaqué ce petit sloop isolé lorsque vous remarquerez son drapeau d’alliance qui promet de lourdes représailles de la part de son grand frère aux trois mâts qui vogue à quelques miles.
Mais plus encore que les rencontres avec des inconnus, c’est véritablement au sein même de votre équipage que Sea of Thieves fournit les plus belles anecdotes, particulièrement si vous êtes un groupe de moussaillons. Les premiers pas dans le jeu se font via un tutorial solo d’une trentaine de minutes qui vous apprend les bases – que dis-je – le minimum vital des mécaniques de gameplay et ensuite c’est à vous de vous lancer sur les mers et de découvrir par vous-même, ou par le biais d’autres joueurs, les possibilités qu’offre le titre. On comprend progressivement que l’oeuvre de Rare fourmille de bonnes idées disséminées ici et là, des éléments clairement pas indispensables mais qui renforcent l’immersion minute après minute.
A noter que le modèle économique du jeu est satisfaisant : une grande majorité du contenu cosmétique se déverrouille à l’aide d’une monnaie obtenue in game et qu’aucune amélioration n’est prévue pour augmenter les caractéristiques de combat de votre avatar ou de votre vaisseau : tous les joueurs sont sur un pied d’égalité. On est très loin du modèle pay-to-win qui pullulait il y a peu ; certains éléments comme les familiers ne seront disponibles que via l’utilisation de votre carte bleue cependant. On peut parler ici de pay-to-bling. Je suis modérément content de cette blague.
Je vous propose de découvrir (de manière légèrement romancée, certes) une de mes premières virée en mer accompagné de trois amis dont les noms n’ont pas été changés car leurs exploits méritent d’apparaître sur la Toile.
Journal de bord du 10 avril.
Départ du port vers 8 heures du matin en compagnie de Thib, JB et Lola. Remplissage de la cale en règles, blagues graveleuses et décoration du navire effectuées. Notre galion arbore fièrement des voiles aux couleurs vives, ainsi qu’une figure de proue à l’effigie d’une sirène à l’air féroce. Quelques miles à l’Est se trouve l’île volcanique de Fetcher’s Rest où, dit-on, se cache un coffre de grande valeur. L’ancre est levée, la barre tournée et après quelques trous dans la coque imputables à une manœuvre hasardeuse, nous prenons finalement la mer.
Bien décidés à revenir à l’avant-poste les bras chargés d’or et de reliques arrachées à des squelettes belliqueux, la moitié de l’équipage se met à pêcher. Tandis que JB tente de rattraper le navire à la nage après être passé par-dessus bord, j’évite in extremis un immense rocher après avoir notifié que personne ne tenait la barre. Le cap plein ouest n’étant pas tout à fait la direction de notre objectif premier, je rectifie le tir et ajuste les voiles. Notre trois mâts bariolé file au gré des vagues sous un ciel chargé de nuages menaçants. Au loin, une tempête se déchaîne sur un pauvre sloop. Lola jure : son poisson vient de brûler dans la poêle.
Nous admirons un coucher de soleil depuis la plage de Wanderer’s Refuge. Je répare une fois encore la coque, victime d’un amarrage un peu brutal. Thib et moi entonnons La Chevauchée des Valkyries pendant que nos compères chassent cochons et poulets pour le dîner. Au détour d’un affrontement contre une bande de mort-vivants qui peuplaient l’île, nous récupérons un coffre incrusté de diamants ainsi qu’une mystérieuse clé cendrée. Nous repartons chargés de bois et de fruits qui seront finalement notre pitance, Lola ayant oublié le porc sur le feu.
Voguant doucement sous les étoiles en partageant une pinte de grog, le groupe glisse vers une douce léthargie. Une chute depuis la vigie m’a subitement ramené à la sobriété juste avant que j’aperçoive un navire rival au loin, toutes voiles dehors, se dirigeant droit sur nous. Branle-bas de combat ! Les canons sont chargés, les esprits échauffés. Thib tente d’amorcer une alliance avec le brigantin en prenant contact dans un anglais approximatif mais bienveillant. Pour toute réponse, le bâtiment nous décoche un boulet ensorcelé qui nous force à danser sur le pont ! Plus de coup de semonce, plus de solidarité, leur arrêt de mort est signé. Avec tous ces événements, j’ai laissé mon maigre butin de pêche cramer.
JB prend la barre, Lola et moi sommes aux canons et Thib se tient prêt à réparer la coque en cas de dégâts. Nous faisons demi-tour afin de contre-attaquer et remarquons un membre de l’équipage renégat à la mer, qui tente de s’infiltrer sur notre pont. Il est abattu sommairement d’un coup de mousquet et sa dépouille disparaît dans les flots. C’est une petite victoire. Encouragés par l’issue de cet affrontement, nous tentons d’envoyer quelques boulets sur nos adversaires mais il semblerait que nous ayons surestimé nos capacités d’artilleurs et remplissons ainsi la mer de plomb. Une riposte similaire de leur part déclenche railleries et quolibets bien qu’ils ne peuvent pas les entendre. Soudain, un projectile particulièrement bien envoyé fauche Lola qui pêchait sur le bord du bateau. Nous sommes temporairement amputés d’un membre, mais notre vengeance n’en sera que plus terrible.
Après un quart d’heure de sommations et de manœuvres maladroites, nous parvenons enfin à approcher du brigantin. La voilure est relevée, le cap maintenu droit sur le vaisseau tant haï. Je harponne la coque et profite de la confusion générale pour faire brûler le navire à l’aide de bombes incendiaires. Nos canons se déchaînent et leur assaut paraît bien dérisoire. Après une troisième vague de tirs, Lola aborde les moussaillons et en dézingue un avant de se faire tailler en pièces par le sabre d’un autre. J’initie la même stratégie mais évalue mal la distance séparant les deux embarcations et termine dans la mer. Un requin tente de se repaître de ma carcasse, mais un tir de tromblon en plein museau l’en dissuade. Mon deuxième essai est une réussite mais je constate que mes camarades ont déjà exterminé les cloportes qui ont osé nous attaquer. En proie aux flammes, prenant l’eau de toutes parts, le brigantin coule sous nos exclamations. Nos pertes sont minimes, et notre joie est grande. Thib a récupéré du poulet grillé dans leurs vivres et nous nous octroyons un instant de ce repos du guerrier tant mérité.
Le pillage de nos ennemis s’étant révélé fructueux, nous décidons d’aller vendre notre trésor sur un avant-poste. A peine avons-nous le temps de démarrer qu’un air sombre et inquiétant retentit, immédiatement suivi d’un cri qui mêle colère et excitation : une bande de squelettes à bord d’un trois-mâts se rue sur nous. La rage guerrière a-t-elle eu le temps de prendre possession de nos corps que Lola remarque que nos réserves de boulets sont au plus bas, l’intégralité des munitions ayant été judicieusement utilisée pour couler un bâtiment de taille modérée. Hissant les voiles dans la panique, comblant grossièrement les nombreuses brèches de notre navire à mesure que nos implacables poursuivants nous assaillent, notre galion parvient à s’échapper in extremis.
Perdus au milieu de l’océan après notre dernière rixe, nous désignons l’avant-poste Plunder comme destination, où nous pourrons y vendre nos trouvailles. Riches de plusieurs coffres, de rares crânes dont émane une aura sombre et de pierres précieuses de la taille d’un poing, notre butin pourrait attiser les envies. Sur le chemin, nous déterrons deux coffres supplémentaires grâce à une carte trouvée dans une bouteille, dont un coffre déverrouillé par la clé dénichée plus tôt. Il contient des artefacts impies emprunts de magie noire qu’aucun marchand n’achètera jamais ; il s’avère que Lola connaît « quelqu’un » prêt à nous débarrasser de ces reliques. Il faudra reprendre la mer. JB et Lola ont initié une bataille de vomi en attendant que nous soyons arrivés à bon port, et c’est à mon tour de ruiner les trophées de pêche de Thib sur le réchaud, étant trop occupé à jouer du banjo pour accompagner une chanson improvisée sur le manque de vertu des génitrices de l’équipage que nous avons défait auparavant.
Sous les directives de JB, le galion réussit à s’arrêter à côté du ponton de l’avant-poste (presque) sans dégât. L’heure est venue pour nous d’échanger nos biens contre de la monnaie sonnante et trébuchante. D’innombrables aller-retours vident progressivement la cabine du capitaine qui abritait le butin composé de coffres divers, de calices en or massif, d’ossements maudits, de saphirs et d’émeraudes ainsi que d’épices et de barils de poudre. La caisse de soie est ruinée, le tissu raffiné ayant pris l’eau suite à un bain de mer imprévu : j’ai définitivement quelques difficultés à jauger les sauts. Mais qu’importe : nos bourses sont désormais pleines à craquer ! J’en profite pour m’acheter une superbe jambe de bois sculptée du plus bel effet, ainsi qu’une nouvelle peinture pour la coque de notre navire. Lola a changé la couleur de ses cheveux, préférant le lavande à son habituel pastel. JB économise pour se payer une voilure ornementée d’une chope de grog.
Un dernier détour à Reaper’s Hideout nous enrichit encore plus après la vente des étranges objets contenus dans le fameux coffre maudit. D’un commun accord, nous dissolvons le groupe. Pour nos prochaines virées, Thib a entendu parler d’un trésor légendaire caché au fond d’une grotte à aller chercher, en décryptant un journal parsemé de dessins d’enfant. JB s’est renseigné sur la valeur des poissons rares et nous assure qu’en pêchant en pleine tempête près du volcan, nous pourrions sortir de l’eau une bête d’une valeur qui dépasse l’entendement. Lola quant à elle se sent d’attaque pour un pillage de fort défendu par une horde de pirates squelettes : gros risque signifie grosse récompense. Nous nous quittons sur des promesses d’heures de jeu riches en rebondissements, et surtout avec des souvenirs de jeu impérissables.
Sea of Thieves est disponible sur PC et Xbox One pour une quarantaine d’euros à l’achat, et est également disponible via le Xbox Game Pass. Ce service d’abonnement vous permet de tester le jeu pour 4 euros par mois avec le premier mois à 1 euro, il serait dommage de vous en priver !