Mid90’s : sur la rampe des émotions brutes

Au commencement est la violence. Un petit bonhomme d’1m50 environ, poids plume, les cheveux ébouriffés et le regard bleu tendre se cogne brutalement au mur d’un couloir. Stevie vit coincé entre une mère désabusée et un grand frère oppressant et violent. Pour sortir de cette atmosphère étouffante, quoi de mieux que de se raccrocher à un autre univers : le skate et les nouveaux potes. Les seuls sans doute.

Un monde qu’on essaie d’intégrer, une famille qu’on se choisit, apprendre à être fier de soi, d’en ressentir de la joie, et surtout d’être reconnu auprès des autres : voilà ce que capte la caméra de Jonah Hill pour son tout premier film, et je savais dès le départ que j’allais adhérer. Pourtant, bien que l’acteur américain ait un long panel de films à son actif, j’avais seulement en tête le souvenir de son second rôle dans Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese, incarnant un beauf au bord de l’implosion sexuelle face à une grande et belle blonde.

(Le Loup de Wall Street – Jonah Hill – 2013)

N’ayant pas de matière pour développer un point de vue sur son jeu d’acteur (désolée de décevoir les fans dans la salle), je vais plutôt me concentrer sur ses qualités de cinéaste. Certains comparent déjà son style à Gus Van Sant, et on pense évidemment à Paranoid Park (2007) : même utilisation du format 4/3, gros plans cadrés sur les visages et un adolescent aux cheveux mi-longs pour tête d’affiche, traînant sa nonchalance en skateboard. Mais une fois passé ce constat, l’essence du film n’est certainement pas la même. Si Alex, le héros de Paranoid Park, reste dans une passivité émotionnelle, coincé dans une culpabilité étouffée, nôtre Stevie de Mid90’s explose d’émotions et de vie.

Paranoid Park – Gus Van Sant – 2007
Mid90’s – Jonah Hill – 2019

Le gamin passe d’un regard angélique et sourire enjôleur aux crises de colère et de larmes. C’est une tête brûlée qui va dès le début se faire surnommer « Sunburn » : coup de soleil en français. Une partie de la bande a d’ailleurs réinventé sa propre identité : Fuckshit, Fourth Grade notamment, et puis il y a Ruben, le petit mexicain jaloux du nouvel arrivant et à qui on n’a pas attribué un nouveau blaze ; mais c’est pas grave, il assure que c’est mieux de ne pas avoir de surnom, comme Ray d’ailleurs, considéré comme le plus cool. La parole sage, le regard bienveillant et l’écoute plus profonde, ce dernier devient le mentor de Stevie. Et ça n’est pas du luxe quand on veut tout vivre et très vite. Le cinéaste choisit le cocktail classique mais efficace du pré-ado avide d’expériences illicites :  premières cigarettes maladroites, binge-drinking, drogues, découverte du sexe et chutes fracassantes. Le petit gars de treize ans à peine se brûle les ailes pour faire comme les autres ou vivre un peu plus fort. Il pulvérise sa vie vers des sommets de sensations qu’il n’a pas le temps de savourer pleinement et frôle la mort. Et puis il y a la mère, un peu larguée, un peu déprimée, mais là quand même, tandis que le père est absent, pas même évoqué. À la place, il y a son frère Ian, interprété par Lucas Hedges (Manchester by the Sea (2016), Three Billboards : Les panneaux de la vengeance, (2017)), imprégné d’une souffrance écrasante qu’il retourne contre son cadet à coups de poing. Et au milieu de la violence, des cris, et surtout des silences, on perçoit l’inquiétude, le besoin de protéger et de l’amour qui peine douloureusement à s’exprimer.

Jonah Hill ne tient pas son film dans une intrigue, il filme une tranche de vie, fugace, et une époque aussi, avec tout le style, l’esprit et l’énergie qu’elle contient. Enfant des années 90, j’ai le lointain souvenir d’avoir voulu m’initier au skate, mais ça n’a pas été très concluant… Il est vrai que je ne connais rien à cet univers mais une méconnaissance n’empêche pas l’attraction. Les séquences de glisse dans les squares ou sur la route au milieu des voitures donnent un souffle sain et apaisant aux protagonistes comme au spectateur : c’est à la fois la trêve dans un monde de brutes et l’élévation loin d’un nid d’emmerdes et de souffrances.

« Tu comprends pourquoi on roule sur une planche ? Ce que ça apporte à l’esprit ? » exprime Fuckshit dans le film, tout comme certains petits frenchies dans les années 90 qui en faisaient un véritable mode de vie – n’en déplaise au commentateur de l’ancienne génération – comme vous pouvez le voir dans cette petite section d’un reportage de l’époque.

Si comme moi vous n’êtes pas très calés sur le sujet – et que cela vous intéresse – ce site résume bien l’Histoire du skate des années 50 à aujourd’hui.

La BO vient elle aussi insuffler des bonnes vibes dans nos oreilles, en passant des musiques hip-hop américaines, à des classiques du rock tels que Nirvana ou les Pixies, donnant un aspect vintage mais toujours actuel au film. Pour les curieux et les amoureux de la bande originale, voici la playlist de Mid90’s (qui omet cependant les deux superbes titres du trailer : After laughter de Wendy Rene et Gyöngyhaju lany d’Omega).

L’histoire se clôture de manière plutôt brusque et ça peut être frustrant sur le moment : je me suis dit « Vraiment ? Il nous laisse comme ça ? », j’aurais peut-être aimé en recevoir davantage… avant de reconsidérer le film dans sa globalité. En fait, il n’y a ni début, ni fin à Mid90’s, Jonah Hill frappe dans le milieu, dans le vif du sujet, de l’ouverture à la séquence finale. On vit et vibre avec ces jeunes skateurs, un peu perdus ou blessés mais toujours rêveurs et solides à l’intérieur du noyau fraternel qu’ils se sont créé. Je dois reconnaître que l’acteur est passé avec brio derrière la caméra pour ses premiers pas en tant que réalisateur, et si l’envie lui reprend de réitérer l’expérience, on ne peut que l’encourager dans cette direction.

Chloé

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