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Normal People (saison 1) : l’histoire d’un amour

Construite en douze épisodes de trente minutes en moyenne, la saison 1 de cette série irlandaise raconte l’histoire d’amour et d’amitié de deux jeunes et son évolution au fil des années.

Marianne (Daisy Edgar-Jones) et Connell (Paul Mescal) sont dans le même lycée. Elle est solitaire et distante, il est entouré d’amis et sportif. Elle est issue d’un milieu aisé, il est d’un milieu modeste. A priori, le scénario semble déjà vu, bien réchauffé et peut-être même digne de toutes les teenage-romances que nous servent la plupart des plateformes.

Cela fait un moment que les séries pour les adolescents ou jeunes adultes carburent en mode binaire : soit on bascule dans le sirupeux, l’image lisse et édulcorée, soit on enchaîne les uppercuts visuels dans la violence et les relations toxiques à n’en plus finir. Dans les deux cas, on n’a rarement affaire à une représentation juste des réalités, celles que vivent les jeunes, car c’est le trash et les rebondissements incessants qui priment pour nous rendre toujours plus addicts et consuméristes. Et je ne parle même pas de la moyenne d’âge des acteurs qui jouent les rôles de ces ados, ni des choix vestimentaires qui se rapprochent plus d’un clip américain que des tenues lambda de lycéens et surtout des lycéennes. On a beau connaître la recette, on y revient toujours. Si certaines commençaient à faire un pas de côté comme Sex Education, prenez des séries comme 13 reasons why ou encore Euphoria et vous ressortez de là lessivé.e. Ce n’est plus cathartique, c’est carrément une séance d’exorcisme. Et je n’ai rien contre ces séries qui abordent des sujets lourds et complexes mais elles en oublient la nuance de par leur urgence d’empiler tous les problèmes sociaux et les tabous qu’elles veulent aborder, ce qui en devient presque indigeste. Il finit par ne rester que fascination ou épuisement au visionnage.

Un autre regard sur les relations et sur l’individualité des protagonistes

Avec Normal People, on retrouve de la profondeur, de la subtilité et une grande sensibilité. Si les deux héros de la série semblent opposés, ils sont en réalité très proches d’un point de vue émotionnel et cérébral, en témoignent leurs échanges de regards et d’interrogations sur la perception qu’ils ont d’eux-mêmes et de l’autre. Tous les deux sont victimes de l’absence d’un père mais ne le vivent pas forcément de la même manière. Malgré le fait que Marianne n’ait quasiment aucun ami (du moins durant sa période lycéenne) et subisse des relations pour le moins toxiques au sein de sa famille, elle reste quelqu’un de très affirmé, qui dit ce qu’elle pense sans aucun filtre ou presque et sait où elle va. Contrairement à Connell, pourtant aimé pour ce qu’il est (physiquement et amicalement) qui est beaucoup plus introverti, peu sûr de lui quand il s’agit de s’exprimer ou de s’écouter profondément à travers ses désirs.

Au-delà de l’histoire d’amour, s’immisce la plus complexe des histoires, celle qu’on a avec soi-même. Normal People c’est le récit d’un amour qui se joue sur trois plans : aimer l’autre, être aimé par l’autre, et enfin, le plus difficile, s’aimer soi. L’ultime point qui peut parfois mettre à terre une relation si on le néglige, sans pour autant tomber dans le classique « Avant d’être aimé.e par les autres, il faut d’abord s’aimer soi-même ». Marianne et Connell s’aiment mais quelque chose cloche : le manque d’estime de soi et les insécurités de chacun. Si cela paraît évident du côté de Marianne, cela se dessine au fur et à mesure des épisodes chez Connell.

Une série profondément romantique sans être fleur bleue

On ne peut faire l’impasse sur les scènes de sexe entre Connell et Marianne qui sont nombreuses mais sublimement filmées avec douceur et réalisme. Là aussi, on ne présente pas deux jeunes à la sexualité complètement débridée, on ne sort pas non plus les bougies ou les pétales de rose et ça fait du bien de s’extraire un peu de ce manichéisme. On n’est plus seulement dans l’esthétique mais dans le sensitif. Au travers des épisodes se profilent les sujets du consentement, ou plus clairement le respect de soi et le respect de l’autre sans pour autant que ça soit montré de façon grossière. La série met d’ailleurs en exergue que l’autodestruction ne passe pas toujours par des scarifications ou une consommation excessive de drogues mais peut s’immiscer de façon beaucoup plus insidieuse au cœur de l’intimité qu’on partage avec un autre, particulièrement avec le personnage de Marianne.

Il n’y a pas d’incroyables rebondissements dans Normal People mais c’est justement ce que j’ai aimé. On pourrait croire que l’on va s’ennuyer. On pourrait penser que ça va flirter avec un côté trop mielleux mais ça ne franchit jamais vraiment cette barrière. On reste dans du romantisme dans tout ce qu’il a de plus beau et qui va de soi pour les personnages. Les protagonistes sont nuancés, c’est ce qui les rend charismatiques et intéressants. On n’est plus dans la course à l’originalité ou à l’excentricité. 

Normal People est une série tout en nuance qui sait appuyer là où ça fait mal sans jamais blesser, qui fait ressortir les sentiments les plus purs, qui touche du doigt une forme de résilience. Sublimée par une caméra intimiste, elle réveille les émotions du spectateur à travers celles des protagonistes et nous transporte dans les paysages irlandais, de la petite ville de Siglo à Dublin mais aussi dans d’autres contrées européennes, nous faisant ressentir les états d’âme des quatre saisons au fil des ans. Je ne sais ce que donnera la suite si suite il y a, mais cette première partie est une réussite qu’on n’a surtout pas envie de voir égratignée par une prolongation scénaristique rocambolesque. 

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