Rencontre 4

Rencontre avec Michel Hazanavicius et Bérénice Bejo

Le Prince Oublié | 2020 – 1h41 | sortie en France : 12 février 2020

En ce début février, on découvre le dernier film de Michel Hazanavicius, réalisateur qu’on ne présente plus et qui a participé à notre envie de mettre le cinéma au centre de nos vies.  C’est un film surprenant, abordant un sujet nouveau pour le réalisateur : l’enfance. Un père enthousiaste et inventif (Omar Sy) raconte chaque soir des histoires à sa fille pour l’endormir, créant un véritable monde magique aux allures de studio de cinéma où ses acteurs/personnages rempilent chaque soir pour jouer de nouvelles aventures.  Le film alterne entre monde réel et monde des histoires, le premier servant de source d’inspiration au second. Ainsi le père est aussi le prince et sauve chaque soir la princesse, sa fille Sofia (Keyla Fala et Sarah Gaye). Sauf qu’un jour, celle ci grandit, et le vieux prince est mis au rebut pour un prince plus jeune… Le Prince Oublié raconte, du point de vue du père, ce délicat passage de l’enfance à l’adolescence. 

Michel Hazanavicius discute avec nous de ce tournant surprenant dans sa filmographie en compagnie de Bérénice Béjo, qui tient un des rôles principaux du film. En les rencontrant, on comprend combien les cinéastes authentiques sont ceux qui amènent à l’écran des histoires qui leur tiennent à cœur.  

Lorsque Michel Hazanavicius et Bérénice Bejo nous rejoignent au salon du Grand Hotel de l’Opéra à Toulouse, l’ambiance est un peu formelle. On est sûrement tous un peu stressés et excités de rencontrer ces deux grands du cinéma. Heureusement, le réalisateur et l’actrice mettent rapidement tout le monde à l’aise. Ils répondent aimablement à chaque question, des plus théoriques aux plus pratiques. On parle un peu de tout, du casting des enfants (plus de deux mille ont passé des essais) à leur rencontre avec Omar Sy aux césars pour Intouchables, en passant par la bande originale d’Howard Shore, qui donne au film “une couleur à l’américaine”.

Plusieurs niveaux de lecture

Avec 7 long métrages et plusieurs essais en court métrage et en documentaire, le réalisateur a démontré qu’il n’a pas peur de l’aventure. Dans son oeuvre, les genres se confondent et donnent place à un mélange souvent dirigé vers plusieurs publics. De Mes amis (1999) à The Search (2014), en passant par OSS 117 (2006, 2009), Le Redoutable (2017) et The Artist (2011), Michel Hazanavicius a déjà expérimenté avec la comédie, l’action, le drame, l’art et essai, le grand public, le biographique et même avec la guerre. 

“Moi j’ai toujours aimé la mécanique de regarder d’un endroit différent. Les gamins de 8 ans adorent les OSS. Et je ne crois pas qu’il voient la même chose qu’un homme ou une femme de 30 ans ou 50 ou 60. J’aime bien quand il y a plusieurs niveaux de lecture, ou plusieurs ambitions dans un film. En ce qui concerne les films pour enfants, je crois que depuis Pixar on ne peut plus faire de films pour enfants desquels les parents seraient totalement exclus”, dit Hazanavicius en expliquant ses intentions.

Quand le cinéaste est questionné sur le type de public à qui il s’adresse, il nous raconte que le matin même ils ont fait une projection uniquement avec des enfants, et que pour lui “c’était définitivement un film pour enfants à ce moment-là”. Également, quand les projections faites ont eu moins d’enfants et plus d’adultes, pour lui “c’était à ce moment-là un film pour adultes”. Et la même chose pour les grand-parents.

“C’est à peu près le meilleur compliment qu’on puisse nous faire, parce qu’en fait ça veut dire que chacun comprend ce qu’il a envie de comprendre, chacun est touché par une partie”, dit il au moment où nous comprenons que dans cette nouvelle opportunité il essaie ainsi de garder le même esprit d’adaptation qu’auparavant, mais dans un nouveau genre et une nouvelle approche, celle du conte.

Une âme de conteur 

Comme le personnage d’Omar Sy, Hazanavicius est aussi quelqu’un qui planifie et construit ses histoires avec soin et finesse pour faire passer message concret. Il choisit donc de supprimer tout ce qui est secondaire et de booster le plus important: “J’ai enlevé tout ce qui était anecdotique pour, encore une fois à la manière des contes traditionnelles, réduire les personnages et leur environnement à tout ce qui concerne à l’histoire qui doit être racontée.”

“Le film est construit et raconté comme un conte. Dans les contes les personnages ont une fonction qui est très précise. C’est à dire: vous êtes le roi, le prince, l’idiot, la fée, l’ogre… d’ailleurs les personnages de contes n’ont pas de prénom. Ils sont définis justement par leur fonction. Et quand on réduit les personnages à leur place dans une histoire donnée c’est vrai qu’on enlève le reste”, constate passionnément un Hazanavicius de bonne humeur. Il commence même à balancer des petites blagues au passage et l’ambiance se décontracte encore plus.

“Je viens calmer la situation moi. J’suis une petite fée”, interrompt l’actrice quand son mari commence à décrire pourquoi son interprétation devait volontairement manquer de réalisme. Un autre recours de ce conteur expérimenté qui influence directement sur le jeu d’acteurs d’Omar et de Bérénice. “Le fait de faire tout un peu 10% au dessus, en restant très juste, mais en étant un peu dans le code de la comédie romantique, ou de la comédie à l’américaine. C’est cette espèce de réalité augmentée, ou décalée, qui fait que le conte est possible”, explique le réalisateur oscarisé.

L’importance de raconter des histoires

On demande au réalisateur et à l’actrice s’ils se sont inspirés de leurs propres expériences de parents (ils ont ensemble deux enfants de 8 et 11 ans) pour raconter cette histoire. Michel admet que le personnage du jeune prince dans le monde des histoires (et le petit copain dans le monde réel) pourrait bien être inspiré d’un jeune Félix blondinet que sa grande fille lui a un jour présenté, et qui ne lui a pas beaucoup plu. Mais si il a effectivement “volé quelques répliques” à ses enfants, ce n’est pas tant sa propre vie qui l’a amené à écrire et réaliser ce film, mais plutôt une volonté de rendre hommage à tous les conteurs d’histoires : “Un des thèmes qui m’a beaucoup touché dans ce film, c’est cette idée de raconter des histoires. C’est des gens qui mettent tout ce qu’ils ont pour raconter des histoires, et là effectivement il y a un écho au cinéma, ou il y a un truc peut-être personnel. Ces gens qui dédient leur vie à ce que d’autres croient à des histoires. C’est quelque chose qui est à la fois hyper futile et en même temps indispensable.”

A propos du personnage d’Omar Sy, conteur perfectionniste qui va jusqu’à s’entraîner toute la journée à imiter le grincement d’une porte pour son histoire du soir, il ajoute : “Plutôt qu’un truc surgelé, lui c’est un type qui soigne son truc, c’est quelque chose qui est important pour lui. C’est à dire, qu’il y a des gens pour qui l’histoire c’est rien, une petite histoire et puis voilà. Et puis il y a des gens, c’est son cas, pour qui justement il y a de l’enjeu.”

Bérénice Béjo se souvient d’une anecdote touchante à une projection du film : “Il y a un petit gamin, qui avait 11 ans, qui prend la parole et qui dit ‘oui, je voulais dire que vraiment c’était important de retourner à son enfance, c’est important de retourner à ses legos, a ses jouets, a ses dinosaures, et je lance un appel à tous les enfants de la salle, les ados, pour qu’ils retrouvent leur enfance’. Il était incroyable, et je trouve que c’est vraiment important de continuer à raconter des histoires, à inventer des histoires, à inventer des rêves. On vit dans une société où les petits vivent avec la fin du monde en tête. Nous, on a grandit et on croyait que tout était possible. Et à eux on leur dit ‘y’a pas de boulot, la planète elle meurt, y a pas d’eau, non tu peux plus prendre de bain, non tu auras plus de legos parce que c’est du plastique’. A un moment donné, tout est noir, et je pense que ce film a réveillé quelque chose chez ce petit enfant. Il faut, nous les adultes, continuer à les faire rêver et leur inventer des histoires pour qu’ils inventent des choses et qu’ils croient que quand tu crois à quelque chose tu peux créer quelque chose, et tu peut changer le monde.”

Le challenge des effets spéciaux

© Roger Arpajou

C’est la première fois que Hazanavicius tourne des séquences entièrement fantastiques sur fond vert, un des grands challenges du film pour lui ainsi que pour les acteurs. Il a dû faire appel à deux studios d’effet spéciaux: Digital District et Mikros. Bérénice Béjo explique la difficulté de tourner sur fond vert : “J’ai très peu tourné avec le fond vert, et ça allait pour moi, parce que j’avais pas grand chose. Mais j’ai regardé Omar travailler et le petit Néotis, qui joue Max, et j’ai vu Michel et j’ai vu les techniciens. J’ai vu l’ambiance du tournage parce que je venais régulièrement, même quand je tournais pas, et elle était dure. Elle était dure parce que les gens, tout d’un coup, ne peuvent plus se raccrocher à rien donc il y a une espèce de confiance aveugle sur le réalisateur. Il y a des gens qui sont là avec la post prod qui te montrent sur un ordinateur ce que ça va un peu donner, mais c’est rien. Omar et Néo on joué avec des petites balles de tennis. Donc du coup c’est compliqué de se projeter, d’imaginer. Omar et François Damiens […] je les ai vu avancer sur une machine qui monte et qui descend, mais il y avait rien quoi. Je comprends même pas ce qui se passait en fait. Donc on comprend même plus ce qu’on joue. Donc c’est vraiment compliqué je trouve.” 

Pour son prochain projet, Hazanavicius s’éloignera encore davantage des prises de vues réelles puisqu’il réalisera un film d’animation, avec une technique cette fois-ci “très traditionnelle. C’est de la 2D, ce qu’on appelait avant le dessin animé”. C’est une adaptation d’un livre de Jean-Claude Grumberg, La plus Précieuse des Marchandises, auteur qui “a énormément écrit sur la déportation, et [qui] à 80 ans a sorti un tout petit livre, qui est un conte, encore une fois, qui tourne encore une fois autour de ce sujet là. Et c’est une histoire vraiment magnifique.”

Notre avis

 On a eu du mal à cerner Le Prince Oublié : on a pas cessé de se demander durant la séance si on avait affaire à un film pour adultes ou un film pour enfants, sans trouver de réponse satisfaisante. Pour ce qui est de l’humour, on a pas su où situer le film. Il fait sourire sans faire éclater de rire, et les gags semblent s’adresser davantage aux enfants qu’aux adultes. Les dialogues et le jeu d’Omar Sy ont pourtant quelque chose d’OSS 117, mais en plus sage. Néanmoins, la double lecture conte/réalité fonctionne plutôt bien, et l’histoire du prince oublié en quête de sa princesse est aussi divertissante que celle du père acceptant de laisser grandir sa fille est touchante. On salue aussi le travail d’animation chez les personnages imaginaires du monde des histoires. Très professionnel, bigarré et réussi, digne d’une place concurrente aux côtés des films américains.

Stella et César Noguera Guijarro

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