Interview avec Hamé, Ekoué, membres du groupe de hip-hop La Rumeur, et Slimane Dazi, respectivement réalisateurs et acteur principal du film Les Derniers Parisiens, sorti le 22 février 2017.
Les Derniers Parisiens, 2017, 1h45, drame
Réalisé par: Hamé et Ekoué
Avec : Reda Kateb, Slimane Dazi, Mélanie Laurent, Yassine Azzouz, Willy L’Barge, …
Synopsis : Tout juste sorti de prison, Nas revient dans son quartier, Pigalle, où il retrouve ses amis et son grand frère Arezki, patron du bar Le Prestige. Nas est décidé à se refaire un nom et Le Prestige pourrait bien lui servir de tremplin…
L’Écran : Pourquoi avoir choisi de situer le film dans le quartier de Pigalle, et y raconter cette histoire-là, avec ces comédiens ?
-Hamé : Ce quartier fait partie de l’histoire du groupe La Rumeur, on l’a beaucoup fréquenté, c’est un des lieux les plus singuliers et typiques de Paris. On voulait quelque part le réhabiliter un peu, lui qui a souvent une image négative dans ses représentations au cinéma. On ne voulait pas tricher, on tenait aux décors naturels et à préserver l’effet du réel, avec un parti pris naturaliste. La caméra est toujours à hauteur d’homme, proche des personnages. Ce sont eux qui fabriquent l’espace, plutôt que le contraire, on ne jette pas des souris de laboratoire dans un labyrinthe.
En ce qui concerne l’histoire, on avait envie de parler de transmission coupée entre générations, d’une relation conflictuelle entre deux frères dans laquelle la communication se fait uniquement par l’invective. Nas cherche à se faire une place au soleil, mais il représente tout ce que son frère Arezki déteste. Le bar les lie mais les sépare aussi sur la question de la propriété. Ils se dévoilent au fur et à mesure, les fantômes sortent de cette relation, on va toucher l’os des frangins.
C’était naturel pour nous de continuer à bosser avec Reda et Slimane (NDLR : Reda Kateb et Slimane Dazi on déjà tourné avec les deux réalisateurs dans De l’encre (http://www.canalplus.fr/c-series/pid3743-c-de-l-encre.html) et Ce chemin devant moi). On voulait leur écrire de beaux rôles et essayer de faire émerger autre chose de la relation entre ces deux acteurs. On souhaitait traiter des relations familiales, des luttes fratricides parce que ce sont des histoires intemporelles. Le rappeur DMX a écrit une chanson intitulée « [They don’t know] Who we be », on ressent la même chose vis à vis du cinéma français, ils ne savent pas qui nous sommes, ils ne nous connaissent pas. On avait envie de se montrer…
Ekoué : On voulait montrer les effets de la gentrification caractérisée qui touche les villes, de manière concrète et pas théorique. On a tourné à Pigalle, mais si on l’avait fait Place du Capitole ç’aurait été la même histoire : on parle d’un gars qui bosse, qui a son affaire, qui paye employés et factures mais qui n’a pas les moyens de se payer lui ou de rénover son utilitaire. C’est la question des travailleurs pauvres, de la fragilité sociale, les gros groupes, les multinationales qui repoussent les derniers habitants du coin, les petits commerçants, ici les derniers authentiques Parisiens, à la périphérie. C’est une thématique proche des préoccupations du groupe, mais on l’a fait de cette manière pour ne pas tomber dans la démagogie militante. On a pris le détail pour mieux montrer l’entièreté d’une situation, et la fin ouverte ouvre sur un débat plus large.
L’Écran : Comment s’est passé le travail de réalisation entre vous, et avec les comédiens ?
Ekoué : On a un principe pour la création qu’on a appliqué à la direction d’acteurs, c’est d’aimer les gens avec qui on travaille, de s’intéresser à eux. Le manuel n’est pas la conception, on a passé du temps avec les comédiens, le film se fait ensemble donc chacun se met à nu, et on obtient un spectre plus large. On a été des travailleurs sociaux, on a fait des ateliers d’écriture dans les quartiers, dans les prisons. On se retrouve face à une responsabilité : que chacun donne le meilleur. Quant à la réalisation en elle-même, il n’y a pas eu de réelle division du travail, tout s’est fait en étroite collaboration entre nous deux.
Slimane Dazi: Sur le travail, peu m’importe, je les connais. Ils ont une approche très live et vivante du cinéma, proche de leur manière de faire de la musique. Il y a une grosse communication entre les deux, dans leur manière de travailler ils te transmettent un grand capital confiance. Ce qu’ils apportent c’est une authenticité, une sincérité. C’est un cinéma d’écorchés, ils se mettent eux aussi en danger, ils ont une place à part dans le cinéma français. Ils ont une manière de faire unique, aller à l’essentiel sans fioritures. C’est un échange qui se fait de manière naturelle et professionnelle mais avec quelque chose en plus qu’il n’y a nulle part.
L’Écran : Y avait-il beaucoup de répétitions avant de tourner, y avait-il des improvisations, ou le texte était-il très écrit et suivi à la lettre près ?
Slimane Dazi : Il y avait très peu, voire pas de répétitions, le texte était très bien écrit, mais on avait la possibilité de légèrement le modifier pour la prononciation, la mise en bouche.
Ekoué : Il faut qu’il soit bon comme un bonbon à la fraise !
Slimane Dazi : C’était naturel à jouer parce que ce sont des histoires que j’ai vues, que j’ai vécues et que je vis…
Ekoué : C’est intrinsèquement lié : on s’est construit sur scène, en live, notre rapport au cinéma est le même.
Slimane Dazi : C’est un vrai kiff d’acteur, chaque scène est un enjeu. C’est ce qu’on recherche en tant qu’acteur, c’est une vraie patte. Après, l’expérience personnelle entre aussi en compte.
L’Écran : C’est vrai que le film a un aspect quasi-documentaire, proche de Strip-tease (série documentaire caractérisée par l’absence totale de voix-off), les personnages sont vrais car ce sont de vraies « gueules »…
Ekoué : Je pense que si je suis à ce point attiré par les films noirs d’après-guerre (Mélodie en sous-sol, Razzia sur la chnouf, Le cave se rebiffe,…), c’est parce que ça sent le vécu, tu es porté par l’expérience. Les gars qui jouent dedans sortaient de la guerre, ils l’avaient faite !
Hamé : C’est un quartier qu’on a beaucoup regardé, quand tu t’y es ennuyé ça aiguise l’œil, et ça permet de faire de ces petits personnages de vrais moments de vie. On voulait filmer des gens qui ont peu dans une grande ville, dans toute leur complexité, leurs contradictions, comme des gens à part entière. Ce qui nous intéresse ce sont les traces de blessures sur les gens, qui les définissent et les suivent. On voulait montrer un groupe en partant d’individus, la bienveillance et l’amour qu’on a pour nos personnages ouvre sur une dimension universelle.
The Watcher et Gonzobob
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