TGS 2018 : Thierry Desroses, l’interview !

Thierry Desroses est la voix française de nombreux acteurs de talent tels que Samuel L. Jackson, Forest Whitaker, Wesley Snipes ou encore Giancarlo Esposito. L’Écran a eu l’opportunité de le rencontrer afin de le questionner sur son métier d’acteur.

L’Écran : Bonjour Thierry Desroses, commençons par quelques questions rapides : plutôt cinéma ou séries ?

Thierry Desroses : Plutôt séries de cinéma…

É : En ce qui concerne les personnages, plutôt Jules Winnfield ou Gus Fring ?

T. D. : Je ne vois pas de qui vous parlez, je ne connais pas ces personnes-là (rires).

É : Plutôt Blade ou Nick Fury ?

T. D. : Je dirais plutôt Blade, pour le côté badass et vampire.

É : Plutôt acteur ou comédien de doublage ?

T. D. : Acteur, comédien, mais pas comédien de doublage. Je n’aime pas l’appellation « comédien de doublage » car le doublage est un aspect du métier d’acteur. On fait plein de choses quand on est acteur, et on peut donc aussi faire du doublage. « Comédien de doublage » est un terme un peu réducteur.

É : Une dernière, plutôt drame ou comédie ?

T. D. : Plutôt comédie ! Même si le drame c’est formidable parce que cela permet d’explorer, et d’émouvoir énormément les gens, mais la comédie réunit vraiment tout le monde et ça porte beaucoup de valeurs.

É : Parlez-nous un peu de ce projet, InCarnatis, en quoi est-ce différent de ce que vous faites d’habitude ?

T. D. : C’est totalement différent en effet, parce que c’est novateur. InCarnatis c’est quoi ? C’est un livre que l’on peut lire normalement, mais il y a aussi des QR codes qu’il suffit de bipper avec son téléphone et une application pour avoir des fichiers audio, donc des scènes qui sont jouées par des acteurs, ou de la musique. Une musique a été composée exprès pour le bouquin par un musicien, puis enregistrée par un orchestre philarmonique. C’est un univers très spécial et c’est novateur car le principe du livre avec différents médias, ça n’existe pas. Dans quelques temps, d’ici une dizaine d’années ce sera tout à fait normal d’avoir ce genre de supports. C’est notamment ce qui m’a séduit dans cette aventure. Je n’en avais pas entendu parler, ce sont mes amis qui avaient participé au premier tome qui m’en ont parlé, Benoît Allemane (NDLR: la voix française de Morgan Freeman et James Earl Jones) et Odile Schmitt (NDLR: voix française d’Eva Longoria). Ce sont eux qui m’ont présenté les créateurs d’InCarnatis et ils m’ont tellement séduit avec leur engouement, leur folie et leur amour du projet que je suis rentré dedans.

Nous en sommes au tome 2, et je leur ai demandé, non je leur ai « imposé » de m’écrire un rôle parce que je n’avais pas de personnage a priori dans cette histoire. Mais lorsque j’ai entendu les musiques, qu’ils m’ont parlé du projet après la sortie du tome 1, je leur ai dit : « Écoutez je veux en être » et ils m’ont écrit un rôle. Ça a pris deux ans mais ils m’ont créé un personnage.

É : Comment en êtes-vous arrivé à faire du doublage dans votre carrière  ?

T. D. : Un joli concours de circonstances. En fait je jouais au théâtre et une spectatrice a vu mon travail, a demandé mes coordonnées. Elle m’a appelé une semaine ou deux plus tard pour venir passer des essais sur un film qui devait être doublé. Je n’avais jamais fait de doublage, il s’avère que ce film c’était Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994), qui a eu le succès que tout le monde connaît. À partir de ce moment-là j’ai commencé à faire du doublage, donc à moins travailler dans des restaurants entre deux pièces ou deux films, j’ai commencé à découvrir cet univers assez intéressant et merveilleux et puis surtout suivre cet acteur, Samuel L. Jackson, que je double depuis. J’ai fait 76 films avec lui, je lui souhaite une longue vie artistique. Je double plein d’autres acteurs aussi, mais Samuel L. Jackson c’est un peu mon acteur fétiche. C’est celui qui me surprend tout le temps, qui a une qualité d’acteur formidable. Même lorsqu’il est dans des films moyens il est toujours très bon.

É : Cela doit être un vrai challenge pour vous car Samuel L. Jackson est un véritable caméléon, il fait des rôles qui n’ont rien à voir les uns avec les autres.

T. D. : Absolument, c’est ça la richesse de ce travail avec Samuel L. Jackson. C’est de pouvoir à chaque fois être surpris quand je le découvre et que je découvre un nouveau film.

É : Du coup modifiez-vous votre voix en fonction du personnage interprété, ou gardez-vous votre identité vocale ?

T. D. : Eh bien mon identité vocale c’est ma voix. Après en fonction des personnages qu’il va interpréter, ou que d’autres acteurs interprètent, ma voix va évoluer. Mais je n’y pense pas en fait. Quand on double, il faut essayer de ne pas penser à la voix, il faut juste essayer d’être dans une vérité, une énergie de jeu. Par exemple lorsque Samuel L. Jackson interprète Nick Fury, il est certain que ma voix est un peu différente que lorsque c’est Elijah dans Glass (M. Night Shyamalan, sortie en 2019) ou Incassable (M. Night Shyamalan, 2000). Mais je ne pense pas à la voix, ma voix est ma voix, après j’essaie de me rapprocher de ce que l’image et l’acteur me donnent.

É : J’en conclus donc que Glass (NDLR: la suite d’Incassable) a été doublé ?

T. D. : Glass a été doublé, je l’ai terminé cette semaine, et ça va être une bombe atomique, hein ! C’est très très bon !

É : Est-ce difficile ou naturel pour vous de switcher entre des acteurs très différents comme par exemple Samuel L. Jackson, Forest Whitaker, Wesley Snipes ou Giancarlo Esposito, qui sont assez éloignés en matière de jeu ?

T. D. : Non ce n’est pas difficile parce que lorsque l’on a la chance de doubler de bons acteurs, qui interprètent divinement leurs personnages, on essaie d’aborder ça avec un peu d’humilité, et on essaie de se rapprocher de ce qu’ils ont fait. Et du coup je ne me pose pas de questions. Après bien sûr c’est différent. J’aime bien, par exemple, si je fais un Marvel ou un Samuel L. Jackson, être concentré sur la semaine où je le fais, puis passer carrément à autre chose. Mais il peut s’avérer pour des questions de planning que je sois obligé dans la même semaine de faire Forest Whitaker, Lawrence Fishburne ou bien Wesley Snipes et Samuel L. Jackson. Donc c’est à moi de « faire ma cuisine » et m’adapter, quoi. On ne se perd pas parce qu’on a le support image et le support voix, c’est-à-dire que ce que propose l’acteur dans l’original c’est la grosse matière de base, à partir de laquelle je propose moi quelque chose en français.

É : Concevez-vous de la même manière votre travail qu’il s’agisse d’un jeu vidéo, d’un film ou d’une série ?

T. D. : Pour moi ça ne change rien, c’est-à-dire que je considère que tout est aussi important. D’abord parce que c’est du travail, et quand on est intermittent et que l’on fait un métier que l’on a choisi, ce qui est mon cas, c’est une chance lorsqu’on nous appelle. Donc à chaque fois je considère que j’ai énormément de chance d’être appelé, et de travailler. Et après, quel que soit le support, ce qui m’importe c’est ce que je vais en tirer et comment je vais m’en nourrir. Le support, que ce soit un jeu vidéo, une série télévisée, un soap ou un long-métrage de prestige, pour moi c’est du travail et ça va nourrir mon être et l’acteur que je suis, donc c’est ça qui est intéressant. Je ne fais pas de différences en fait, pas de hiérarchie. Le plaisir est grand, et il est grand partout ! Juste pour l’anecdote, je viens de terminer le dernier Mortal Kombat, avec deux personnages importants. Malheureusement j’ai une mémoire de poisson rouge donc je n’ai pas le nom de mes persos, mais vous me reconnaîtrez !

É : Y a-t-il un dialogue, une citation qui vous est restée, et que l’on pourrait définir comme votre citation préférée, dans tous les films que vous avez doublé ?

T. D. : Il y en a un paquet, mais je suis incapable de retenir une phrase en particulier, parce que j’ai une tendance à vite éliminer les choses. C’est-à-dire que lorsque je le fais je suis à 100 pour cent dedans, et ensuite j’élimine, je vide le disque dur parce que j’en fais beaucoup en fait. Bien sûr qu’il y a des choses qui reviennent souvent, comme les fans qui me demandent de dire telle phrase de Pulp Fiction, mais je ne m’en souviens pas en fait. Donc si on ne m’aide pas, qu’on ne me met pas le texte sous les yeux je ne m’en souviens pas vraiment.

É : Donc vous ne pourriez pas nous faire Ezekiel 25:17 en live ?

T. D. : Non, je ne pourrais pas vous la faire en direct, parce que comme je l’ai dit, je ne la connais pas la réplique. Et puis je vais vous dire en plus, c’est un peu décalé. C’est-à-dire que pour moi, cela fonctionne avec l’image, mais quand on me demande à moi seul, Thierry Desroses, de faire la voix de Machin dans tel film, pour moi il y a un côté un peu décalé qui est bizarre, vous voyez ?

É : Est-ce que les techniques ou technologies ont beaucoup évolué depuis vos débuts dans le doublage, est-ce toujours le même travail ?

T. D. : Alors le travail est le même pour moi en tant qu’acteur. Il faut regarder l’image, écouter l’original, s’appuyer sur la bande rythmo qui passe sous le film et puis parler. Donc la technique est la même. Ce qui a évolué c’est le temps de travail, puisque l’on travaille de plus en plus vite. D’abord parce que l’on peut de plus en plus vite passer d’une boucle à une autre, d’une scène à une autre. Maintenant avec la technique on tape le timecode sur un bouton et on arrive directement à la scène que l’on veut, donc c’est plus simple. Puisque l’on parle de temps, on a perdu aussi en qualité, enfin je m’entends, on a perdu en confort de temps, parce qu’avant on avait le temps de s’installer, de chercher et ma foi même parfois de se tromper. Aujourd’hui on nous demande de plus en plus d’être efficaces, les délais sont de plus en plus courts. Alors je ne parle pas des films « prestige » où on a largement le temps, les Marvel par exemple pour lesquels on a beaucoup de temps. Lorsque l’on fait de la série on nous demande d’être très efficaces et d’aller très vite, donc ça c’est un peu regrettable. Et il y a une autre chose, le son a beaucoup évolué. C’est-à-dire que le son que l’on fait aujourd’hui est, pour moi, beaucoup plus « métallique », il est pris de manière beaucoup plus présente, et du coup on détecte les moindres imperfections. Par exemple lorsque l’on a un peu trop de salive dans la bouche on fait ce que l’on appelle des « bulles ». Avant, il y a dix ans on n’entendait pas de « bulles ». La moindre petite coquetterie s’entend, donc ça peut être gênant. En plus on prend le son de manière de plus en plus proche, et j’ai l’impression que les nouvelles générations sont un peu des générations de « sourds ». C’est-à-dire que comme vous entendez tout de plus en plus fort, avec les casques tout le temps sur la tête, je pense qu’on a perdu une certaine subtilité, une certaine finesse. C’est mon ressenti en tout cas, c’est peut-être parce que je suis un vieux con, mais bon…

É : Savez-vous, à peu près, combien de films vous avez doublé ?

T. D. : Non, je ne sais pas, parce que j’en ai fait beaucoup… Il y a un site qui s’appelle RS-Doublage qui répertorie tous les acteurs du monde du doublage. La personne qui gère ce site a répertorié un maximum de films (séries et jeux vidéo également), même si je pense que plein de choses ont été oubliées. Mais vous verrez, mon C.V. est très très “lourd”.

É : Merci beaucoup, Thierry Desroses ! Bonne continuation pour votre carrière, que l’on espère encore longue et riche.

T. D. : Eh bien merci à vous, et longue vie à L’Écran ! C’est bien, Samuel L. Jackson est un acteur prolifique, comme je vous ai dit, j’ai déjà doublé 76 films avec lui. Il tourne 4 ou 5 films par an !

Interview réalisée le 2 décembre 2018 par Gonzobob, avec le concours de Florian Gayraud.

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