The Shape of Water

(crédit photo : Twentieth Century Fox France)

Alors sur ce coup je m’attaque à du lourd : The Shape of Water de l’adoré Guillermo Del Toro, à l’œuvre des très connus Hellboy (2004) et Hellboy II : Les légions d’or maudites (2008), du moins connu L’échine du diable (2002), du décevant mais néanmoins pas si mauvais Crimson Peak (2015), et du chef d’œuvre Le Labyrinthe de Pan (2006).

Petit point sur notre réalisateur mexicain préféré

Je préfère le dire tout de suite, j’aime beaucoup l’œuvre de Del Toro, je trouve qu’il s’en dégage une dimension toujours enfantine, avec pourtant des aspects à la fois choquants, sombres et mystérieux. Guillermo aime nous parler de l’acceptation ou le rejet d’autrui pour ses différences. Il nous parle aussi de l’enfance, et du fait de grandir. Ses personnages sont souvent des enfants ou des monstres au caractère très têtu (coucou Hellboy).

Alors quand on pense à Del Toro, à quoi pense-t-on ? Aux monstres oui, mais surtout à la qualité graphique de ses films, au traitement de l’image, à la photographie, à la lumière, aux décors, aux costumes, au souci du détail qui nous plongent toujours immédiatement dans l’univers dans lequel le réalisateur souhaite nous amener. C’est chez lui sa plus grande qualité : la mise en scène. Sur ce point Del Toro est irréprochable.

Alors quand j’ai entendu parler de ce dernier film, comme beaucoup d’entre nous, je l’attendais impatiemment. Parce qu’à chaque fois, même si certains de ses films ont pu me décevoir, je passe toujours un bon moment, parce que malgré tout, avec lui, on reste sur du bon film fantastique.

Une réception comme on l’espérait pour Guillermo Del Toro

Quand Del Toro a sorti Crimson Peak, il a n’a pas enchanté tout son public, l’histoire n’était pas tellement bien amenée, des éléments étaient sous-développés, mais les décors et la mise en scène étaient impeccables, il y avait un véritable travail sur la matière, sur le sang et sa couleur. Mais ça n’a pas suffi, il a déçu. Puis cette année on entend parler de son dernier film The shape of Water qui s’est baladé de festival en festival, qui a été acclamé par la critique, il fut qualifié de chef-d’œuvre, il a été nominé dans 7 catégories aux Golden Globes et en a remporté 2 en tant que meilleur réalisateur et meilleure musique de film. Puis les Oscars, nominé dans 13 catégories, et a remporté 4 statuettes pour le meilleur film, les meilleurs décors, la meilleure musique, et le meilleur réalisateur. En France il est enfin sorti le 21 février de cette année 2018. Autant vous dire que je me suis hâté dans les salles obscures pour découvrir le film qui a fait remonter la côte de popularité de notre très cher Guillermo.

(Crédit photo : Jordan Strauss/Invision/AP)

De quoi ça parle ?

Le film se passe aux États-Unis en période de guerre froide et nous raconte l’histoire d’Eliza (interprétée par Sally Hawkins), une jeune femme muette qui vit seule et qui mène une vie routinière. Elle passe chaque jour un peu de temps avec son voisin Giles (incarné par Richard Jenkins), un vieil artiste homosexuel qui peine à trouver du travail. Eliza travaille dans un laboratoire comme agent d’entretien et est accompagnée de sa collègue Zelda (ici jouée par Octavia Spencer) une femme afro-américaine qui parle pour deux. C’est dans ce laboratoire qu’Eliza va faire la découverte d’un monstre humanoïde amphibien, ramené de l’Amérique du Sud par l’antagoniste Strickland, un homme avec de noirs démons, imbu de lui-même et macho. Eliza va un jour faire la rencontre de cet être surnaturel, va apprendre à communiquer avec lui grâce au langage des signes et les deux êtres vont finir par tomber amoureux. La bête allant se faire tuer, Eliza décide d’agir avec Giles pour la faire s’évader du laboratoire afin de la mettre hors des mains de Strickland.

Un film très influencé

La manière dont commence le récit rappelle beaucoup Le Labyrinthe de Pan. On entend la voix d’un narrateur qui nous raconte un conte de fée, ça permet d’introduire le récit et de nous faire accepter le côté surnaturel du film. Puis on enchaîne sur une séquence du quotidien d’Eliza d’abord montrée entièrement puis montrée par un montage rapide pour indiquer la répétition des événements. Et c’est durant cette séquence que l’on apprend à connaître notre personnage. Elle évolue dans un environnement qui n’est pas sans rappeler les films de Jean-Pierre Jeunet avec ses décors à la fois pittoresques et fascinants. Les teintes monochromes bleues, vertes et ambrées des images, la musique d’Alexandre Desplat qui rappelle par moments celle de Yann Tiersen sur Le fabuleux destin d’Amélie Poulain (2001) de Jean-Pierre Jeunet. Il faut dire que même le personnage d’Eliza nous fait beaucoup penser à Amélie. D’ailleurs cette ressemblance frappante a provoqué l’agacement de Jeunet à l’égard de Del Toro qui va jusqu’à parler de plagiat pour certaines scènes. Bien sûr, la musique de Desplat sur ce film possède une identité qui lui est propre et qui vient servir le film à merveille. La musique sait rester à sa place, elle nous marque mais ne nous sort pas de l’histoire, au contraire, elle nous y fait rentrer directement. On ressent un véritable travail et une véritable maîtrise de Desplat sur cette œuvre. La musique se base évidemment sur la thématique de l’eau, particulièrement sur son aspect le plus romantique et délicat qui soit. S’il y a bien un Oscar que ce film mérite c’est pour sa musique, on ne peut le nier.

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(Crédit : Twentieth Century Fox)

Les décors

Bon il y aussi l’Oscar des meilleurs décors qui est amplement mérité. Mais comme à son habitude Del Toro ne lésine pas sur les moyens, on sent que l’utilisation de la création numérique voulait être limitée un maximum et ça fait plaisir à voir. Les décors du films font preuve d’un véritable réalisme, et encore une fois, ils ne sont pas seulement là pour faire joli, il y a un vrai travail de mise en scène, une utilisation du décor dans le cadrage pour signifier une personnalité ou l’état d’esprit d’un personnage. Et c’est si finement bien amené que ce genre d’informations entre en nous inconsciemment.

Le scénario

C’est ici que le bât blesse. Autant on ressent un réel travail sur la mise en scène, autant le scénario lui, frôle parfois l’absurde ou ne développe pas suffisamment certains aspects de l’histoire qui non seulement mériteraient de l’être, mais en plus nous permettraient de nous soucier de la relation entre les personnages qui va être mise à mal dans la suite du film. Le vrai soucis est que le film arrive à traîner en longueur sans jamais bien développer ses personnages avec un troisième acte d’une rapidité fulgurante. On a presque l’impression que le film souhaite en finir au plus vite. Le film qui pourtant est censé porter sur l’amour entre un monstre et une humaine un peu comme un La Belle et la Bête revisité, n’arrive pas à nous émouvoir plus que ça.

 « L’eau prend la forme de son contenant, mais malgré son apparente inertie, il s’agit de la force la plus puissante et la plus malléable de l’univers. N’est-ce pas également le cas de l’amour ? Car quelle que soit la forme que prend l’objet de notre flamme – homme, femme ou créature –, l’amour s’y adapte. »

Guillermo Del Toro

Il y a en effet beaucoup d’aspects poétiques à l’histoire ainsi qu’un message simple et fort. Mais le comprendre ne suffit pas à nous émouvoir et nous soucier de ce qui se passe à l’image. Et ce manque d’implication est dû au fait que les scènes où Eliza et le monstre aquatique apprennent à faire connaissance sont passées en accéléré, et nous laissent donc en dehors de tout ça puisque racontées comme si ça n’était pas important. Sauf que pour une relation qui plus est amoureuse, chaque détail de la rencontre et de la découverte de l’autre est important et aide à l’attachement. Le monstre n’a pas de nom, ce qui rend difficile l’identification, et il reste mystérieux quant à ses intentions. Ou bien ses intentions ne sont que d’aimer (et ce sous tous ses aspects) Eliza.

L’histoire reste également d’un classicisme ennuyeux, les personnages sont très manichéens, Strickland N’EST PAS GENTIL. Il est exécrable dans le moindre de ses faits et gestes, on nous montre sa vie de famille pour nous dire que même avec sa famille il est pas si sympa. Alors qu’il aurait été plus intéressant de nous montrer un personnage aux deux facettes, un être humain en fait. Ici nous n’avons pas droit au double jeu, le monstre est plus humain que l’humain et inversement, c’est tout. Les seuls humains qui ont bon cœur et de nobles intentions dans ce film sont les rejetés de la société. On oublierait presque que nous possédons tous autant que nous sommes une part de bien et de mal en nous.

Je suis à la fois très heureux et déçu. Heureux de voir Del Toro recevoir des récompenses dans autant de festivals, heureux de voir que c’est pour du film fantastique. Mais je suis déçu de voir que c’est pour un film qui selon moi n’est clairement pas à la hauteur du Labyrinthe de Pan qui arrivait à nous toucher, qui savait exploiter son contexte politique et faire des personnages « gris » plutôt que noirs ou blancs. J’ai néanmoins passé un très bon moment devant ce film, mais méritait-il tout cet engouement et adulation? J’en doute fort.

sally hawkins film GIF by Percolate Galactic

Loïc

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