Carnet de bord : Fifigrot 2018

Cette année, Listener et Dolores ont parcouru la 7e édition (et oui, déjà !) du festival du film Grolandais de Toulouse. Elles vous présentent leurs avis jour par jour dans ce carnet de bord bien personnel...

Dolores : Avant même d’entamer le Fifigrot cette année, j’ai été étonnée des choix de programmation qui s’orientent beaucoup moins vers le potache, le “trashos” et la série B que d’habitude. On a certes une magnifique soirée “sacs à vomi” de prévue et une soirée “pornos bavarois”, mais j’ai l’impression que l’orientation est bien plus sérieuse et sociale que les autres années. Une conséquence de la mort du président qui rend la prog plus sérieuse ? À voir…

Samedi

Dolores : Bien occupée la veille et à peine remise de la sainte cuite du Vendredi, je me dirige à potron-minet (c’est à dire 11h30 dans mon langage) vers le Cosmo pour entamer ma première projection du Fifigrot avec Roar, un film des années 80 qui promet une expérience ‘ahurissante’. Eh bien foutre Dieu, nous y sommes en plein ! Pendant 2 heures nous assistons à la débâcle d’un projet qui partait déjà mal (faire tourner des acteurs avec des fauves non apprivoisés). Chaque personne sur le set lutte littéralement pour sa vie, et le sang sur les mains et les bras des comédiens est lui, bien réel… On a hurlé sur Cannibal Holocaust et son vrai-faux côté snuff, mais Roar en est un pur, un vrai. Bien plus inquiétant… Et aussi foutrement hilarant. Du bon vrai Fifigrot, en somme.

Changement d’ambiance ensuite pour La Tendre Indifférence du Monde, un film kazakh dont le réalisateur nous dit en introduction qu’il est “une ode à l’amour, au vrai”. Pas très Fifigrotesque dans l’esprit, et pourtant. Dans le développement et le ton, très tragi-comique et cynique, le film se démarque et sait trouver cette pointe d’originalité qui fait la caractéristique du festival. Magnifique, puissant, poétique et pourtant si drôle, La Tendre Indifférence du Monde est déjà un immense coup de cœur pour moi.

La Tendre Indifférence du Monde, source IMDB

Après une sieste bien méritée et armée de mes M&M’s je me dirige enfin à 18h au Gaumont pour découvrir L’Affaire Marvin, un mockumentaire merveilleux sur la mégalomanie d’un homme et de son chat persan qui vont, à eux deux, changer la face du monde et faire crasher des milliers d’entreprises en bourse… Un délire à la sauce “Il est revenu” drôle, frais, bien réalisé mais qui n’oublie pas pour autant de nous questionner sur les dérives des réseaux sociaux, des hoax et des “buzz” qui ont aujourd’hui plus de poids que le travail de la justice sur des affaires sensibles… Actuel et donc indispensable !

Listener : Peu disponible cette année, je me suis contrainte à un programme malheureusement restreint…Trop sensible pour subir un Lars Von Trier sur grand écran (et je remercie Dolores de s’être généreusement sacrifiée), je me concocte un programme à la GRO’zical ! En guise d’entrée en matière, je me rends au Gaumont pour l’avant-première de Leto (Kirill Serebrennikov, 2018). Visiblement, j’ai l’habitude de commencer les festivals par un coup de cœur ! Comme pour Cinélatino, je sors de cette première séance sous le charme et heureuse d’avoir pu découvrir une partie de la scène punk underground de Leningrad. 

Dimanche

Dolores : Sortir d’un film en faisant un doigt d’honneur à l’écran : prendre le boulot d’un réalisateur trop à cœur, ou preuve d’un vrai manque de respect ? C’est la question que je me pose toujours après avoir vu The House that Jack Built, une horreur cinématographique pondue par Lars Von Trier qui m’a mise hors de moi au point de partir avant la fin de la séance… J’aimerais faire plaisir à monsieur Von Trier en prétendant avoir été choquée par son film, pire, ulcérée. Il aurait ainsi réussi son pari, puisque sa seule volonté cinématographique passe par le choc. Le fait est que la seule chose révoltante est l’égo surdimensionné de ce réalisateur qui est obligé d’auto-citer des parties de ses propres films pour donner du crédit à son nouveau long métrage. Ce film est à l’image de la carrière de cet homme : du vent. Bien heureuse d’avoir eu une accréditation, car payer pour cette daube aurait encore plus décuplé ma colère !

The House that Jack Built, source IMDB

Lundi

Dolores : Ce lundi exceptionnellement ensoleillé pour un mois de septembre signe le début d’une nouvelle journée de projections toutes plus différentes les unes que les autres. Je me dirige d’abord vers Utoya, film norvégien retraçant le massacre perpétré par un criminel d’extrême droite en 2011. Intense, glaçant, le film est un long plan-séquence d’une heure et quart qui nous plonge au cœur du chaos sans nous laisser une seconde de répit. Mais je vous en dis plus dans l’article écrit à ce sujet… Sortie française prévue pour le 12 décembre 2018 à ne surtout pas manquer ! 

Ressortir d’un film aussi éprouvant ne fut pas chose aisée, aussi c’est toute chose que je me suis rendue vers la conférence sur la banalyse organisée à la Cave Poésie. De la banalyse, je ne savais pas grand chose si ce n’est que son principe était d’élever au rang d’œuvre d’art toute chose qui ne raconte rien, n’est ni belle ni prenante, bref, toute chose banale. La conférence tenue par Yves Le Pestipon ce soir-là était au-dessus de ce que nous, simples mortels, pouvons concevoir de la vie. Entre Pinelisation du monde, éloge de la banalité et concepts se tenant à la limite de la fumisterie et du génie, la banalyse a trouvé une place tout à fait appropriée au sein du Fifigrot où le décalage est une profession de foi… Merci, M. Le Pestipon !

Dernier film de ma soirée, Headbang Lullaby m’a évidemment attirée à cause de son titre. Parlez de headbang à une métalleuse, et elle foncera au galop ! Raté pourtant, car à part une vieille voiture rouillée en guise de fier destrier, rien ne vient évoquer le metal dans ce film… Et ce n’est pas bien grave, car ce qu’il a à offrir est tout aussi satisfaisant. Drôle, décalé, et très “punk” dans son esprit, Headbang Lullaby est un film qui surprend tant il s’émancipe des codes cinématographiques. Parfois hélas pour les mauvaises raisons : sa narration déconstruite, les pistes scénaristiques avortées ainsi que les scènes surréalistes quasi lynchiennes plombent le film. Dommage, car le reste de la proposition est excellent. Nous avons eu la chance de voir ce film en compagnie du réalisateur qui nous expliquait vouloir à tout prix sortir des sentiers battus, briser les codes pour ne pas se contenter de la banalité qu’il trouve “confortable mais ennuyante”. Le film est inégal, mais réussit largement son pari en ce qui concerne la surprise, et il est assez rare aujourd’hui de se dire que l’on vient de voir un film qui ne ressemble à aucun autre… Un univers cinématographique qui manque encore un poil de maturité, mais qui est définitivement à suivre !

Source : IMDB

Mercredi

Listener : GRO’zical, séance 2 ! Je traverse les festivités grolandaises qui animent la cour de l’ESAV et attends Dolores pour voir Queercore : How To Punk A Revolution (Yony Leyser, 2017). Du docu queer comme on aime, rien de tel pour conclure une longue journée de travail ! Malheureusement, tout ne se passe pas comme prévu… Non seulement, un grand jeune homme cache le centre de l’écran, mais en plus, les sous-titres sont décalés de vingt bonnes secondes ! C’est avec beaucoup d’énergie mentale que je m’accroche pour tout suivre, et je remercie mes années d’anglais et toutes les séries que j’ai suivies qui m’ont au moins permis de comprendre la majorité du film. Comme avec Leto, je sors de Queercore convaincue de la chance que j’ai eue de voir ce film sur grand écran. En guise d’entrée dans ce mouvement musical, ce film fait son affaire et rétablit la vérité de l’histoire du punk, dont on oublie bien souvent les intrications avec la scène queer.

Bande-annonce de Queercore

Dolores : J’étais aussi présente à cette soirée et malgré mon signalement à l’équipe technique du décalage de sous-titres, aucune rectification n’a été faite, ni une proposition de remboursement du public… Je profite d’ailleurs de cette partie pour faire un bémol général sur le festival. De nombreux soucis techniques et problèmes d’organisation ont hélas gâché mon expérience. Par exemple, je me suis rendue à des films aux horaires indiqués par le catalogue, et j’apprends une fois sur place qu’en fait tous les films sont décalés d’une demi-heure car le festival n’a pas pris en compte le temps des génériques de début et de fin des films projetés… De même pour la conférence sur la banalyse du mardi de laquelle j’ai dû partir en plein milieu car l’horaire indiqué n’était pas le bon ! Lorsque l’on prévoit plusieurs jours en avance son programme et qu’on est mis face au fait accompli, il est très ennuyeux de devoir tout reprendre à 0 pour des erreurs d’organisation internes. Et d’ailleurs, ma première séance du mercredi, Climax, était une séance imprévue car je devais voir un autre film, projeté en retard ! … Et j’ai ainsi pu assister à cet immense nanar cinématographique à gros budget. Un film ridicule et à mourir de rire, qui a au moins le panache de ne pas se prendre trop au sérieux. Et tant mieux, car il n’aurait absolument pas de quoi. Aussitôt consommé, aussitôt oublié !

Quand au documentaire sur le Queercore, si l’on excepte le souci technique qui demandait un effort de concentration supplémentaire, l’expérience était plutôt agréable. Bien fourni et complet, le documentaire nécessitait quand même une bonne connaissance préalable des mouvements punks LGBTQ+ et j’ai souvent eu le sentiment de manquer de matière pour tout comprendre. Mais un film qui remue les méninges et donne envie de faire des recherches en sortant de la séance, ça fait aussi du bien !

Vendredi

Listener : Il est 16h30 et je cours, je vole pour traverser Toulouse et rejoindre l’ESAV à 17h. Le rendez-vous du jour, ce n’est pas un film, mais une masterclass. Yann Gonzalez, le réalisateur du récent Un couteau dans le cœur (2018), sublime film queer et grande déclaration d’amour au cinéma, est en place dans la salle de projection pour évoquer son parcours et son style. Ce fut l’occasion d’en savoir plus sur son goût pour les “images interdites”, sa passion quasiment militante pour la pellicule et la manière dont il vit ses films comme des mondes utopiques pour mieux renverser une société encore hétéronormée. Alors que je comptais en rester là, voilà qu’il présente rapidement les séances de sa carte blanche à la Cinémathèque et nous persuade, Dolores et moi, d’aller voir à 19h Équation à un inconnu (Dietrich De Velsa, 1979), un film porno gay. Évidemment.

Dolores : Comme Listener, j’ai eu un énorme coup de cœur pour Un couteau dans le cœur sorti cette année, à mi-chemin entre un porno gay et Phantom of the Paradise… Rencontrer Yann Gonzalez après avoir découvert ses films apparaît comme une évidence tant le discours qu’il tient sur le cinéma se ressent à l’écran : subversion, décadence et érotisme (il fera une thèse sur le cinéma érotique gay lors de ses années d’études), utilisation de la pellicule, passion pour des personnages fascinants, goût pour le thriller et la série B policière… Intriguée par les films qu’il avait à nous présenter, j’ai suivi Listener vers la Cinémathèque pour découvrir un porno gay… 

Un couteau dans le coeur – source : IMDB

Listener : Équation à un inconnu, salle 1, premier étage. Si j’avais su que je me retrouverais un jour à voir un porno gay à la Cinémathèque… Forcément, c’est à cause de Yann Gonzalez ! Sans surprise, Dolores et moi sommes en minorité féminine dans la salle. “Ce n’est pas grave d’avoir une petite érection”, prévient Gonzalez. Juste, soyez “propres”. Pendant la séance, on entend les dossiers grincer à mesure que des spectateurs font leurs allers-retours aux toilettes. Quant au film, étrangement, on reconnaît rapidement ce qui fait que Gonzalez en pense beaucoup de bien, jusqu’à le qualifier de chef-d’œuvre et confier espérer en faire un blu-ray. Outre les scènes pornographiques, la mise en scène de la drague silencieuse, de ces regards, le jeu de couleurs, certains éléments de costume (les masques et les gants en cuir) et l’étrangeté de son atmosphère onirique, presque cruelle dans son final orgiaque, en font une expérience esthétiquement mémorable.

Dolores : J’ai toujours rêvé de voir un porno au cinéma. Fantasme cinéphile accompli grâce à Yann Gonzalez ! C’est toujours un plaisir de voir des objets cinématographiques improbables sacralisés et présentés dans des hauts lieux intellectuels comme la Cinémathèque, quand ils ne sont pas du tout prévus pour cette fonction à la base… Yann Gonzalez se met à nu en nous présentant ce film qui a visiblement marqué son cinéma, et c’est une grande preuve d’humilité de sa part que de nous présenter un objet aussi intime. Dommage qu’un concert (de metal, évidemment), m’ait forcée à quitter la salle avant la scène finale que Listener n’a cessé de me décrire comme incroyable !

Dimanche

Listener : Fin de festival matinale avec Diamantino (Gabriel Abrantes, Daniel Schmidt, 2018) ! Direction l’American Cosmograph pour y voir le film lusophone dont vous trouverez la critique enthousiaste sur le site. Une fois de plus, je mets fin à un festival avec un coup de cœur. Et une fois de plus, mon coup de cœur va vers un film des plus improbables et inclassables qui soient. Le genre de films qui met en scène un joueur de football international, en pleine action dans un stade de foot, entouré de “petits chiens” qui courent dans une brume rose. Il faut le voir pour y croire. Et vous savez quoi ? Moi, je suis au Fifigrot pour cette raison précise : pour y voir des films que je n’aurais jamais vus autrement. Et si ça veut dire se lever un dimanche matin, ça en vaut bien la peine. 

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