Pour la 75e édition du festival de Cannes, l’ouverture du festival a été remise entre les mains d’un Michel Hazanavicius bien décidé à parler cinéma. Son film Coupez !, initialement intitulé “Z (comme Z)” – avant que son réalisateur ne décide de changer le titre par soutien pour l’Ukraine et d’éviter toute confusion dommageable – reprend le métrage de fin d’études nippon Ne coupez pas ! de Shin’ichiro Ueda sorti en 2017. Un long-métrage ayant connu un succès critique et public plutôt inattendu, compte tenu de sa très faible distribution, y compris même au pays du Soleil Levant où il était préalablement destiné à une diffusion confidentielle (2 salles à Tokyo, pour deux semaines). Après avoir traversé le monde, le voici échouant sous les yeux de notre Michel national, se proposant rapidement d’en faire un remake à sa sauce avec son entourage “habituel” (qui a dit Bérénice ?).
L’horreur, la vraie
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça commence mal pour Romain Duris et sa petite troupe…et pour les spectateurs, obligés d’assister à cette purge parée des atours du très classique film de zombis mais dans ce qui se fait de pire. Il s’avère que Duris, ou plutôt “Higurashi”, est un réalisateur à la peine, devant tirer le meilleur d’une équipe de tournage réduite, composée de bras cassés et de talents pour le moins discutables. Face à l’incompétence générale, il déclenche une ancienne malédiction dans le but de provoquer l’irruption de vrais zombis sur le tournage et ainsi parvenir à produire l’œuvre la plus authentique possible, aux dépens de toute l’équipe qui doit désormais lutter pour sa propre survie.
Nous sommes bien entendus dans ce qui s’avère être une bouture de série Z dans la plus pure tradition : scénario capillotracté, moyens financiers et techniques dérisoires, cohérence aux fraises et acteurs au rabais. Mais ce qui désarçonne le spectateur, c’est que la frontière entre le film et le film dans le film semble inexistante. Pendant trente minutes, en tout cas. Et bon sang que c’est mauvais ! On ne sait pas si dès les premières minutes, on assiste à une parodie de mauvais film ou à un authentique navet totalement assumé par Hazanavicius (que l’on pourrait assimiler à une sorte d’essai sur la médiocrité), mais sans jamais parvenir à atteindre la barre du nanar, octroyant au moins un semblant d’intérêt et de distraction chez certains amateurs du genre.
Ici, on oscille sans arrêt entre une gêne réelle et un sourire timide, davantage provoqué par l’intention maladroite d’un cinéaste qu’on imagine sincère dans son art mais profondément à côté de la plaque et à tous les niveaux. Qu’il s’agisse des situations décousues et abracadabrantesques, des jeux d’acteurs à la ramasse ou des dialogues rythmés par des blagues qui n’arrachent rien de mieux qu’un rictus, le résultat est assez pathétique et difficile à supporter.
Puis, tout change. Le “vrai” film débute, et tout devient clair. Hazanavicius inverse la vapeur pour notre plus grand soulagement et arrive ce coup-ci à nous emporter avec lui dans son histoire hilarante, humaine et surtout fondamentalement cinématographique. Comme son matériau de base japonais, le film retrace la genèse de la production du métrage horrifique que l’on découvre dès les premiers instants, allant jusqu’à nous exposer un making of pour le moins “éclairant” sur les déboires rencontrées par l’équipe et ses répercussions – catastrophiques, pour certaines – sur le tournage. Les instants de gêne et de flottements n’ont dès lors plus la même saveur (ouf !), car le hors champ se révèle à nous et l’équipe s’en délecte. On imagine aisément le plaisir du réalisateur et de ses acteurs quand ceux-ci “libèrent” en quelque sorte le public en leur donnant à voir soudainement le vrai spectacle, tout en mettant en scène ce que beaucoup d’entre eux ont connu dans leur jeune carrière, qu’ils soient devant ou derrière la caméra : les films “alimentaires”, communications d’entreprises et autres images d’illustration vouées aux mauvais et racoleurs reportages TV, les espoirs déçus, les galères des débuts mais aussi la camaraderie et l’entraide, la débrouille en toute circonstance et cette volonté vivace qui doit animer même le plus bancal des projets, celle qui fait dire à son interprète principal qu’il doit finir ce film, comme pour lui donner sa chance d’exister.
Donner sa chance au cinéma
On l’a dit, Coupez ! est profondément cinématographique. Par le fait qu’il s’attache à parler de cinéma, bien sûr, mais aussi par l’impact qu’il a sur le spectateur, qu’il trompe dans un premier temps pour mieux l’amener avec lui derrière la caméra dans un second. Il joue avec notre posture de spectateur, nos projections, nos horizons d’attente et c’est presque une leçon qui nous est donnée.
Le changement stylistique et narratif qui survient à la demi-heure est un véritable tournant qui fait passer le film de difficilement regardable à franchement drôle et attachant. Un basculement que certains ne verront jamais. Même à Cannes (ou plutôt surtout ici ?), le spectateur n’a “plus le temps pour ces conneries”. Dans nos cinémas et multiplexes, on assiste parfois à des départs définitifs en cours de film, comme si la vue de l’œuvre était à ce point insupportable qu’on accepte volontiers l’idée d’avoir gâché ses deniers en ne terminant pas son visionnage. Alors dans un festival comme celui de Cannes, où les accrédités sont nombreux, les cinéphiles aussi et parmi eux, la crème de la crème de l’élitisme culturel mondial, beaucoup ne se retiennent pas. Ils ont même le mauvais goût de quitter la salle en éructant leur avis à haute voix, pensant sans doute que qui que ce soit ici y accorde un soupçon d’importance (spoiler : non, on s’en fout. Vraiment.). Mais outre ce dérangement passager pour le reste de l’assistance, ils se privent d’une bonne surprise qui est au centre même du film, la deuxième face d’un vinyle sans laquelle l’album serait incomplet.
Il n’est pas question ici de défendre un mauvais film, une véritable daube, sous prétexte que nous n’en connaissons pas les conditions difficiles de fabrication ; ce n’est pas le propos de Coupez ! et ça n’est de toute façon pas du ressort du spectateur qui ne peut véritablement juger que le produit fini. Mais il est intéressant de souligner qu’en défendant le cinéma d’étudiant, de passionné sincère, composé de bric et de broc et souvent assez singulier, déstabilisant, le cinéma de copains et de petites mains, il nous conduit par sa structure en deux temps à ne pas nous arrêter à nos premières impressions, fussent-elles profondément dédaigneuses, pour mieux nous ramener à la base de ce qu’est l’aventure du cinéma.
Par ailleurs, le casting est impeccable dans l’exercice. Même si les mauvaises langues diront que Bérénice Béjo a enfin une bonne excuse pour jouer mal, force est de constater qu’une fois le pot-aux-roses révélé, tous tiennent la route et savent nous embarquer dans le dérapage plus ou moins contrôlé du “tournage Z” et de ses prémices. Duris en réalisateur à la manque mais qui fait en sorte d’aller au bout de ce qu’il entreprend, Béjo en actrice fraîchement retraitée et potentiellement (totalement) instable, Grégory Gadebois en acteur alcoolique et émotionnellement à la dérive, Finnegan Oldfield et son rôle de jeune premier au boulard surdimensionné, le pauvre Jean-Pascal Zadi en compositeur complètement dépassé et déconcerté par les événements ou encore le reste de la famille Hazanavicius (Simone et Raïka ; oui, Michel ramène toute sa smala) figurant parmi les assistants caméra et effets spéciaux dont l’abnégation et le sens de la débrouille forcent le respect !
Si l’on adjoint à cela le bon goût de laisser au placard les bons sentiments dégoulinants si chers aux comédies françaises pour ne laisser la place qu’au burlesque touchant de cette bande d’amateurs déterminés, on appréciera de voir Hazanavicius revenir à ses débuts, lui qui naquit et grandit sous les auspices de l’humour, ceux-là même qui ont fait sa gloire, de La Classe Américaine à OSS 117 (dans un registre ici plus édulcoré et mature, sans doute).
Au final, s’il fallait jeter une pierre, ce serait celle de “l’appropriation cinématographique chronique”, véritable maladie de notre temps, dont Michel Hazanavicius semble être ici affecté. Nous sommes bien en présence d’un énième remake d’un film contemporain, plus ou moins repris trait pour trait (avec quelques ajouts personnels et propres au contexte culturel local) alors que sa source d’inspiration n’a même pas 5 ou 10 ans d’existence. Un constat qui peut effrayer, tant ce “kidnapping” artistique est une spécialité doublée d’une sale habitude de nos amis d’outre Atlantique, qui préfèrent retourner des films de A à Z avec leurs propres équipes plutôt que de laisser leurs chances aux films étrangers sur leur sol (Infernal Affairs, Intouchables, Old Boy…la liste est longue). Sans doute ne sont-ils pas les seuls, sans doute cela ne date-t-il pas d’hier, peu importe au final : peut-être aurait-il été de bon ton de s’échiner à faire une tribune à ce cinéaste japonais, plutôt que d’avaler et régurgiter son film ? Qu’à cela ne tienne : allez voir Coupez !, et allez voir Ne coupez pas !, et vive le cinéma !