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Tori et Lokita des frères Dardenne: un hommage décevant pourtant inspiré d’une belle histoire

Tori et Lokita, c’est le dernier long-métrage des frères Dardenne. J’ai pu assister à la projection du film lors du festival de Cannes et je dois dire que je suis restée mitigée.

Pourtant, ça partait bien, le synopsis était plutôt intéressant. De plus, ils font partie du cercle fermé de réalisateurs qui ont eu deux palmes d’or, donc j’étais plutôt positive.

Je me rends à cette séance rediffusée dans la Salle Agnès Varda (anciennement la salle du Soixantième) située dans l’enceinte du Palais des Festivals.

J’enchaînais après avoir passé plusieurs nuits courtes et avoir vu Crimes of the future (David Cronenberg, 2022) et Armageddon Time (James Gray, 2022) dans les heures qui précédaient. 

Une petite salade de fruit pour me requinquer et puis c’était reparti. La chaleur était douce et la brise marine n’était pas désagréable pour me réveiller avant cette séance. Je m’installe dans la salle climatisée, peu préparée à ce que j’allais voir mais pleine d’enthousiasme. Les lumières s’éteignent, le film se lance… 

Bien loin des strass et des paillettes de Cannes, on plonge dans le récit de vie de deux jeunes immigré-es : Tori, un garçon d’une dizaine d’années et Lokita qui paraît être plus proche de la majorité. Le duo, qui semble se trouver dans un foyer pour migrant-es, veut tout faire pour ne pas être séparé, quitte à mentir sur leurs réels liens d’affiliation. Car Lokita veut garder son petit protégé, qu’elle considère comme son frère, près d’elle et vice-versa. Cependant, Lokita ne parvient pas à avoir ses papiers alors que Tori les a. Ces enfants désabusé-es vont tremper dans des histoires malsaines : un pizzaiolo qui leur fait vendre de la drogue, le passeur qui les a fait venir en Belgique qui veut leur soutirer de l’argent. Bref un imbroglio de choses dont iels vont avoir du mal à se défaire.

Un sujet bien exploité, mais un jeu d’acteur et une mise en scène qui manquaient de réalisme

Joely Mbundu (Lokita) et Pablo Schils (Tori) ainsi que Alban Ukaj (Betim) dans le film Tori et Lokita des frères Dardenne) – © diaphane production.

Ça n’est pas tant le scénario qui me déplaisait mais tout ce qu’il y avait autour. Le film manquait cruellement de saveur. Il n’avait aucune originalité au niveau de ses plans, la photographie faisant penser à un mauvais téléfilm français sur France 2. 

Le jeu d’acteur finissait d’entériner la ressemblance. C’était bien trop scolaire, le texte était très clairement déclamé, trop bien articulé, cela manquait de naturel. Les acteur-ices qui semblent être des amateur-ices n’ont pas pu rendre hommage, à la hauteur de mes espérances, au thème abordé.

Car le sujet est quand même très intéressant, il évoque ce que les immigré-es sont prêt-es à faire pour s’en sortir et met en exergue le fait que personne n’est là pour les aider, même celleux qui semblent être des aides sont en fait des charognard-es prêt-es à tout pour les exploiter. Lorsque j’étais jeune, un de mes oncles me racontait une blague dont la morale finale était : « C’est pas parce qu’on te fout dans la me*** qu’on te veut du mal et c’est pas parce qu’on t’en sort qu’on te veut du bien ». J’avais l’impression que dans ce film c’était exactement ça et c’est plutôt un point fort du film. Mais ce qui est central dans le long-métrage, ce sont les actions (ou plutôt l’inaction) des administrations qui ont des impacts réels sur des vies humaines. Le fait que ces administrations restent sourdes aux demandes des migrant-es peut mener à des situations très graves.

Mais même sur le final, lorsque Tori explique cela dans un micro, dans une scène supposée être dramatique et pleine d’émotions, je n’étais pas transportée, j’avais du mal à être convaincue voire même touchée par la situation. Et pourtant je pleure assez facilement devant les films quand un sujet m’émeut.

Pourquoi un prix au Festival de Cannes ?

Les frères Dardenne récompensés par le prix du 75ème anniversaire du Festival de Cannes – © AFP.

Le film a quand même eu une distinction qui lui a été spécialement dédiée lors de la cérémonie de clôture : le « prix du 75 ème anniversaire du festival de Cannes ».

J’ai été assez étonnée de cette distinction. J »imagine qu’elle a été attribuée non pas par rapport à la qualité de ce long-métrage en tant qu’objet filmique remarquable, mais plutôt parce que le thème a le mérite d’être abordé d’une nouvelle manière.

Lors de la remise des prix, les frères ont d’ailleurs dit qu’ils tenaient à dédier ce films à Stéphane Ravaclay, qui avait il y a quelques mois effectué une grève de la faim à Besançon pour qu’on n’expulse pas son apprenti en Guinée. Ils ont alors été inspirés par cette belle histoire et ont voulu mettre en avant les problématiques d’un tel sujet d’une façon différente et innovante.

Il y a fort à parier que l’engagement militant de Vincent Lindon dans certaines questions sociales à quelque chose à voir avec le fait que ce film ait eu un prix, puisqu’en tant que président du jury de cette édition il a dû plaider en faveur de l’œuvre des frères Dardenne.

Je ne vous dirais pas que c’est le film de l’année mais je ne vous dirais pas non plus de ne pas aller le voir. 

Il faut regarder l’œuvre comme elle est: un film qui aborde une question sociale ancrée dans l’actualité. La beauté du cinéma c’est aussi de savoir reconnaître la valeur d’un objet au delà

de son esthétique, ou de la compétence des acteur-ices. C’est dans sa globalité qu’une œuvre doit être appréciée et si ce n’est pas un joyau du cinéma c’est en tout cas un long-métrage instructif qui nous rappelle que derrière les chiffres de l’immigration il y a des vies en jeu.

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