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Dolores vous chronique, en vrac, sa semaine de festival au Fifigrot 2024 et ce qu’il faut voir… Ou pas !

Trois courts occitans – Tres corts occitans — Occitanie

Un des fers de lance de l’association l’Écran est la mise en avant de créations — et créateurs — locaux. Si si, ça se voit peut-être pas toujours, mais je vous jure qu’on essaie ! Alors ceeeeeertes, le Gers et les Landes, c’est pas Toulouse-même, mais solidaritat de la lenga macarel ! Je ne vais pas m’étaler plus avant dans cette mini critique, car je vous prévois une plus grande chronique bilingue autour de ces trois courts qui méritent le visionnage, mais en quelques mots : quel plaisir de voir des réalisateurs s’emparer du genre —- sous forme de fable/comptine pour l’un, sous forme de thriller horrifique pour l’autre — pour porter des récits engagés sur la situation migratoire. Quel plaisir aussi que la langue occitane évolue dans un contexte quotidien, et ne soit pas utilisée uniquement comme un symbole passéiste et folklorique d’un autre temps. Une très belle soirée à l’Ostal d’Occitania, où l’on a pu aussi découvrir les œuvres fantasmagoriques de Judith Latino en guise d’introduction.

Dark Star — John Carpenter (2024) — USA

Peut-on vraiment passer à côté de l’occasion de voir un Carpenter au cinéma, et son premier long-métrage qui plus est ? Hop, direction le Cratère pour découvrir cette pépite sur grand écran. Si le film souffre d’un manque de budget évident – le jeu d’acteur est particulièrement fauché — c’est aussi paradoxalement dans cette pauvreté qu’il puise sa plus grande force : son inventivité folle. Un ballon de plage devient un alien, quelques diodes et effets sonores ‘bip bip boup boupesques’ transforment une pièce en cockpit de vaisseau… L’humour pince-sans-rire du film est parfois déroutant, les personnages se comportant constamment comme de grands ados, mais avec un air grave et sérieux. Il est d’ailleurs assez étrange, au vu de la suite de la carrière de Carpenter, de le voir manier autant l’humour dans ce film. Le récit de ce groupe d’élite chargé de détruire les planètes “instables” (en réalité, les planètes menaçant la suprématie humaine) devient le prétexte à un grand récit sur l’ennui et la bêtise dans l’espace. À défaut d’être un chef-d’œuvre mémorable, Dark Star reste une curiosité, aussi drôle que profondément angoissante sur la question de la solitude existentielle dans l’univers. Un film qui illustre parfaitement bien le cycle IA VS Connerie naturelle qui rythme cette édition 2024 du Fifigrot !

Bande-annonce de Dark Star

La Clepsydre — Wojciech Has (1973) — Pologne

Cet OVNI cinématographique compte sans doute parmi les films les plus beaux qu’il m’ait été donné de voir. Les décors, les costumes, les jeux de lumière, les expositions en double focale, les travellings qui donnent une impression de film en quasi-plan séquence… C’est un tableau cinématographique bourré de références picturales (Judith et Holopherne, les Caravage, Le radeau de la méduse, Delacroix, Dürer, Rembrandt… ). La découverte de la scène suivante est toujours un ravissement tant les trouvailles visuelles surprennent, déroutent, mais surtout enchantent. Cette esthétique unique, ce foisonnement artistique, est d’ailleurs le point fort du film. Parce que hélas, il ne brille pas par son discours. Le film est obscur, pour ne pas dire carrément hermétique. La toile de fond diégétique nous propose une vague histoire de voyage dans le royaume des morts — ou des rêves, ça se ressemble. Mais elle est noyée par une forme prétentieuse, de grands discours alambiqués, et un enchevêtrement de références culturelles sur la culture juive polonaise, au point qu’il est vraiment difficile de dire quelle est la substantifique moelle de l’ensemble. Et, s’il est parfois excitant d’être dépassé par un film, force est de constater que je suis restée au seuil de ce qui promettait d’être une expérience cinématographique exceptionnelle, et j’en suis très frustrée. Le joyau restera donc pour moi dans son écrin, comme une belle curiosité à regarder de loin.

Bande-annonce de La Clepsydre

Compète GrosCourts

La Alegria — Tomas Pernich (2024) — Argentine

Un décor pop et trash sert de toile de fond à la rencontre de deux âmes perdues, désabusées par le cynisme de leur époque, qui trouveront réconfort l’une auprès de l’autre. Le court est vulgaire, flashy, parfois à la limite de l’écœurement, mais c’est aussi cette esthétique très assumée — et son humour décapant — qui en font sa grande force. 

Bande-annonce de La Alegria

Assoiffé — Lisa Sallusto (2024) — France / Belgique

Petite pépite d’humour burlesque totalement muette, Assoiffé met en scène un homme qui a soif contre un homme avec une fontaine à eau guère partageur. Et ça part loin. Très, très loin. Bien que hilarant, le court est aussi très sérieux sur sa question de fond : l’égoïsme primitif humain. Décapant ! 

Interview de la réalisatrice Lisa Sallusto

Pupuce — Chloé Larrerre (2024) — France / Belgique

Une jeune actrice paumée doit trouver rapidement un chien pour s’entraîner à lui donner la réplique, mais décidément, aucun de ses amis ne veut lui confier leur compagnon poilu. La galerie de personnages à la fois loufoques, mais aussi si vrais est ce qui rend ce court très sympathique.

Bande-annonce de Pupuce

Les esprits aiguisés remarqueront qu’il manque un court à cette compète, Les Mystérieuses aventures de Claude Conseil, que je n’ai malheureusement pas pu voir à cause d’une migraine aussi insistante que persistante. Ouin. 

Une langue universelle — Matthew Rankin (2024) — Canada

COMMENT ? Comment un film qui, sur le papier, a tout pour me séduire, a pu AUTANT m’ennuyer ? Des cadrages à la Wes Anderson (mais dans du béton gris déprimant, Canada oblige), un ton pince-sans-rire à la frères Coen totalement absurde, une galerie de personnages dépressifs et loufoques, un film politisé qui parle de la situation de la communauté Perse de Winnipeg, et un film choral, sans doute ma forme narrative préférée. Et pourtant la sauce ne prend pas : c’est inutilement long, et même les scènes absurdes/humoristiques sont noyées dans une ambiance soporifique. Les aspects décalés paraissent parfois forcés, le film en fait des caisses et tombe dans la lourdeur. Les enjeux mettent énormément de temps à se mettre en place, ce qui fait qu’on a souvent plus l’impression d’assister à des saynètes sans queue ni tête qu’à une réelle histoire. Et, quand la résolution arrive, on a la sensation qu’un bon nombre de questions reste sans réponse… Aussi ennuyant que le portrait de la ville de Winnipeg dépeint dans le film ! Quant à la langue universelle du titre, aucune idée de ce qu’elle peut bien être.

Bande-annonce de Une langue universelle

Riverboom — Claude Baechtold (2024) — Suisse / France

Le documentaire est loin d’être mon genre de prédilection, mais il faut parfois faire preuve de curiosité. Confiante dans la programmation du Fifigrot, je suis donc allée voir Riverboom et n’ai pas regretté mon choix un seul instant. Le principe même de ce docu est intéressant : des cassettes disparues, tournées en Afghanistan en pleine Pax Americana, refont surface 19 ans après leur tournage. Le cinéaste Claude Baechtold décide de s’emparer de ce matériel qu’il a lui-même tourné pour créer ce film. Un produit hybride, certes documentaire, mais aussi très empreint de codes de fiction – à la fois road trip, buddy movie, film de guerre, et voyage initiatique à la recherche de la guérison du deuil. Une belle curiosité couronnée du Prix du Public (auquel j’ai contribué avec un 4/10 ; ma seule réserve étant sur la fin que j’ai trouvé un peu abrupte). Sur ce sujet grave, le film a un vrai sentiment feel good. L’Afghanistan de cette époque est porté par un élan d’espoir et une envie d’aller de l’avant qui donne des ailes, bien loin d’une image fataliste d’un pays en guerre. Le film ne tire pas de portrait naïf pour autant, les blessures du pays se découvrent à chaque seconde au détour d’une maison fracassée, du témoignage d’un habitant face caméra ou des impacts de balles qui criblent chaque surface. 

Riverboom de Claude Baechtoldt

The Hyperboreans — Cristobal Léon et Joaquin Cocina (2024) — Chili

Le travail de Cristobal Léon et Joaquin Cocina m’est d’abord arrivé de manière détournée : nom récurrent du festival Cinélatino, je le connais surtout pour son travail conjoint avec Niles Attalah dont le film Rey m’obsède depuis des années. Et cette première rencontre en salles obscures relève du coup de foudre : si je suis restée sur le seuil de La Clepsydre malgré son foisonnement artistique, The Hyperboreans m’a instantanément séduite malgré son apparente obscurité. C’est un film qui ne ressemble à aucun autre et qui arrive à rester cohérent malgré ses différentes strates de diégèse. Théorie du complot nazie, rêve, dimension meta où les réalisateurs sont présents à l’intérieur même de l’œuvre, crises psychotiques délirantes… Le scénario lui-même est un labyrinthe cryptique dont nous possédons pourtant suffisamment de clefs de lecture pour se laisser porter sans jamais que le film ne nous laisse de côté. Et, si l’on y ajoute les dimensions formelles, le film devient absolument incroyable puisqu’il mêle des médias liés au théâtre, à la marionnette, au cinéma d’animation, au jeu-vidéo… Cette histoire autour du mythe des Hyperboréens, vulgarisé au Chili par Miguel Serrano, ésotérique illuminé ayant une petite tendance à aimer lever le bras dans les années 40, est complexe, mais terriblement fascinante. Le film ne séduira sans doute pas tout le monde tant il est hors norme, mais c’est le début d’une grande histoire d’amour de mon côté ! Et clairement mon choix de cœur pour remporter l’Amphore du Peuple, mais hélas le film repart les mains vides. 

Bande-annonce de The Hyperboreans

Steppenwolf — Adilkhan Yerzhanov (2024) — Kazakhstan

Ce n’est plus une surprise, Adilkhan Yerzhanov s’est hissé depuis quelques années parmi mes réalisateurs préférés. J’aime tant son cinéma qui mêle noirceur, poésie, humour grinçant et fables… Je vous en livre d’ailleurs un aperçu plus complet dans cet article. Steppenwolf reste tout de même le film le plus ouvertement noir que j’ai pu voir de sa carrière : l’humour est présent, mais il est cynique, grinçant, poisseux. Là où Adilkhan Yerzhanov aime dépeindre des monstres au cœur d’or, il inverse ici un peu la formule en allant chercher la part de ténèbres contenue dans l’innocence. Mi-western, mi-post-apo, son Steppenwolf dépeint l’errance existentielle de deux âmes en peine, forcées de cohabiter. Il est inspiré du Loup des Steppes d’Hermann Hesse, dont je ne vais pas tenter de vous faire croire que j’ai lu une seule ligne, mais que j’ai depuis soif de découvrir. Steppenwolf est un véritable petit bijou du cinéma, que l’on a pu dévorer en Scope à l’American Cosmograph, nous laissant ainsi profiter pleinement de cette captation enivrante des plaines kazakhes, filmées avec une lumière divine dont seul lui a le secret. Et, vous pourrez le visionner en VOD dès le 1er octobre,  en sortie sur support physique chez Extralucid Films en 2025. Vivement la prochaine pépite d’Adilkhan Yerzhanov !

Bande-annonce de Steppenwolf

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