Doubleplusungood

Réalisé par Marco Laguna, Belgique, 2018
Avec: Wild Dee, Bouli Lanners, Delfine Bafort, Georges Beguin, …

Source : IMDB

  Quelle bonne surprise que ce Doubleplusungood, présenté au Gaumont Wilson dans le cadre du Festival Fifigrot 2018 ! Un objet filmique aussi inclassable que fascinant, l’œuvre du belge Marco Laguna, son tout premier long-métrage, oscille sans cesse entre art et essai et univers ultra-référencé multipliant les hommages à différents genres cinématographiques ou réalisateurs qui ont fasciné son imaginaire. 

Pour bien comprendre le résultat final, il faut revenir sur les conditions de tournage et de production tout à fait rocambolesques décrites par Marco Laguna, qui était présent à la séance. Le film a mis pas moins de cinq ans à être tourné “en mode guérilla” et avec un microscopique budget de 50 000 euros, ce qui est assez incroyable au vu du résultat final, mais nous reviendrons là-dessus. Le réalisateur a dû rivaliser de débrouillardise afin de mener son projet à bien, reformant son groupe de trash des années 80 pour quelques tournées, puis prenant un job de vendeur de voitures d’occasion, ce qui lui a permis graduellement de réunir la somme nécessaire !

  Mais entrons dans le vif du sujet, Doubleplusungood, qu’est-ce que c’est ? Question difficile s’il en est… Le film nous conte l’histoire de Dago Cassandra, un truand un peu minable qui sort de 15 ans de prison avec un désir de vengeance vivace. Il se croit en mission divine et va s’employer à éliminer brutalement ceux qu’il considère comme les alliés du Démon, à savoir des banquiers, avocats, truands ou autres qu’il a croisé sur sa route dans une croisade hallucinée et sanglante.

Source : IMDB

Dago Cassandra est le gros point fort du film, puisqu’il en est également le narrateur, qui n’hésite pas à s’adresser directement au spectateur et brise ainsi le sacro-saint quatrième mur. À la manière d’un film noir classique, c’est de son propre aveu un narrateur non fiable, c’est-à-dire que l’on ne sait jamais dans quelle mesure il faut lui faire confiance, d’autant plus que le personnage est extrêmement torturé et divague souvent, nous emmenant dans les méandres de son esprit tortueux. Il est interprété par un acteur non professionnel véritablement bluffant, le dénommé Wild Dee, déménageur de son état. Il crève littéralement l’écran avec son physique de “méchant de série Z minable”, comme le décrit l’un des personnages. Il reprend ici le rôle qu’il a tenu dans un court-métrage, également réalisé par Laguna, et il est même co-scénariste du film.

  S’ensuit donc une sorte de trip sous acide, à la fois survolté et contemplatif qui voit Dago pourchasser et éliminer un à un ses cibles. Le tournage par épisodes se voit dans la structure même du film, qui privilégie une succession de chapitres, vaguement liés entre eux par le fil rouge de la quête sanglante de l’anti-héros. Ces différents volets font que l’on est constamment surpris, chacun d’entre eux faisant référence et rendant hommage à un artiste ou un genre précis. Ainsi, on ne compte plus les clins d’œil plus ou moins appuyés, qui vont de Godard à Carpenter, en passant par Hawks et Sergio Leone. Doubleplusungood a été tourné entre la Belgique et la Californie, entièrement en langue anglaise, et s’inscrit dans un univers visuel fondamentalement américain, au point que de nombreuses scènes ont l’air d’un western moderne poisseux.

  Les limitations de budget n’apparaissent jamais à l’écran que ce soit en termes de réalisation ou d’effets spéciaux. Le film est particulièrement gore, et force est de constater que les effets sanglants sont bluffants et très réussis. On peut citer par exemple la mémorable scène de massacre à la tronçonneuse d’une malheureuse victime, qui rappelle bien entendu l’œuvre éponyme de Tobe Hooper. Laguna s’offre même quelques fulgurances formelles lors d’une inoubliable séquence de course-poursuite en voiture, qui n’a strictement rien à envier aux standards du film d’action hollywoodien. Il est assez inconcevable de se dire que la scène a été tournée en trois jours, avec seulement deux voitures qui se détériorent au fil des prises à disposition, sans même l’ombre d’une pièce de rechange en cas de pépin. À noter que c’est la seule séquence dans laquelle on peut voir un acteur professionnel, à savoir Bouli Lanners, rencontré par Laguna sur un tournage antérieur.

Doubleplusungood est résolument une œuvre à part, violent et excessif, comme on n’en voit que dans des festivals comme Fifigrot, que le film écume d’ailleurs depuis à peu près un an. S’il peut être déstabilisant, voire particulièrement dérangeant, il vaut largement le coup d’œil et constitue un exercice de style passionnant et assez prometteur pour la suite de la carrière de Marco Laguna, dont j’attends d’ores et déjà avec impatience le prochain film, qui espérons-le aura une genèse moins longue et chaotique. En attendant longue vie à Fifigrot et au cinéma belge !

Le réalisateur Marco Laguna sur le tournage en compagnie de l’un de ses acteurs.
Source : IMDB

Gonzobob

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