Petite découverte de courts métrages (extra)ordinaires…
Youtube et Viméo sont des plateformes qui, sous la couche de podcasts sur les chaussettes et d’un boxing de bouffe japonaise injectée de mercure, cachent de petites pépites de créateurs talentueux. De nombreux réalisateurs connus ont d’ailleurs commencé avec les formats courts, et un simple tour sur un moteur de recherche nous permet de retrouver bon nombre de ces courts, gratuitement, et libres de droits bien sûr.
Aujourd’hui, le panorama sera hispanophone avec une sélection subjective de certaines de ces pépites. Beaucoup de ces courts magnifiques sont dans la langue de Cervantes mais hélas souvent sans sous-titres. J’ai restreint mes choix uniquement aux courts sous-titrés pour que le plus grand nombre puisse y avoir accès, mais croyez bien que nous n’avons ici qu’un tout petit aperçu de la partie immergée de l’immense iceberg de ces courts métrages…
ALIKE
De Daniel Martínez Lara et Rafael Cano Méndez, produit par Daniel Martínez Lara et La Fiesta Producciones Cinematográficas
Alike est un (très) court métrage espagnol qui raconte l’histoire de Copier qui tente d’apprendre à son fils Coller les bonnes manières… Et il s’en voit mille misères tant Coller n’a envie d’en faire qu’à sa tête !
Vous l’aurez compris, on est face à une métaphore pas très subtile sur l’uniformisation et le conformisme dans une société aliénante, où les enfants seuls seraient gage de regard pur sur le monde. Mais le court métrage est sauvé du message moralisateur à deux balles par une ambiance visuelle minimaliste et efficace, qui joue avec des symbolismes poétiques très émouvants. En un mot comme en mille : ce court métrage est beau. Et je mets quiconque au défi de ne pas sentir son cœur fondre face à cette histoire entre un père et un fils qui se redécouvrent.
Si Alike n’est pas un monument d’originalité sur son message, il a le mérite de le réinventer joliment et de proposer un film qui ne ressemble à aucun autre. Le ton est assez enfantin et le court est volontairement adressé au jeune public, mais il est suffisamment sympathique et attachant pour que les plus grands y trouvent leur compte. Le gros plus : sa musique ultra-expressive qui comble l’absence de dialogues à merveille … Et rend son visionnage internationalement partageable !
A MÍ MISMA
De Leonardo Tomasoni et Elena Menéndez Requeno, produit par Leonardo Tomasoni
Ce court très sensible et doux provient à la base d’une exposition collective “La diosa en el espejo“portant sur les questions du sensible, du regard de l’autre, de l’altérité et du rapport à la différence. Des questionnements qui sont condensés dans A mí Misma. Réalisé par Leonardo E. Tomasoni, ce court nous présente une femme qui se brosse les cheveux et qui écoute la radio. Sur cette radio, une voix monocorde et placide conte un récit amoureux universel et intrigant …
Clairement, ce court ne sera pas du goût de tout le monde. Lent, avant tout poétique et jouant sur la corde des sensations, sa quasi-absence d’histoire fait qu’on peut très vite rester en dehors de la chose. Mais pour les amateurs-trices de films contemplatifs, de poésie et de films sensoriels, A mí Misma représente un petit bijou. Le récit conté par la voix off est très juste, et la voix hypnotisante du conteur nous mène vite dans une ambiance surréaliste. Le montage, parfois très violent, parfois tout en fondu et en images fantômes, crée une ambiance irréelle étrange, presque proche du malaise par moments. Ce court, c’est un rêve qui se mue en cauchemar au moment où l’on comprend de quoi il est vraiment question. L’actrice, diaphane et désuète, contribue dans son jeu très “poupée de cire” à décaler encore plus l’ambiance et à la rendre presque malsaine. On est entre l’étrange et le plaisant, le désir et la violence. Un espace frontière que Leonardo Tomasoni a réussi à sublimer dans ce court, qui donne très envie de voir ce qui fut proposé dans le reste de l’exposition “La diosa en el espejo”…
ONIÓN
Réalisé par Juan Pablo Zaramella, Produit par JPZtudio
Abandonnez ici votre premier degré et tout désir de sérieux ! Onión est un court métrage comme vous n’en verrez jamais d’autre. Il utilise les bonnes vieilles techniques de la rotoscopie et des fonds verts pour incruster des parties animées dans des décors réels avec des acteurs. Nos deux personnages principaux sont des gros beaufs, amateurs de technos de grosses bagnoles, qui vont rencontrer rien de moins qu’un extraterrestre issu d’une planète que l’on croirait sortie d’un croisement entre du Miyazaki et du Tim Burton…
Nominé dans pas moins de 13 festivals pour son jeu d’acteur ou sa réalisation, quand il n’est pas tout simplement primé comme “le court de l’année”, Onión a fait parler de lui en 2017. Alors certes, son postulat de base nanardesque à souhait et loufoque assumé pourrait faire croire à une blague cheap et vaseuse, et pourtant. La qualité de la réalisation de Juan Pablo Zaramella, très mature dans sa mise en scène, ainsi que le jeu d’acteur complètement barré de Paloma Contreras et Marco Antonio Caponi font que l’on se situe dans un vrai film d’auteur à la volonté artistique assumée. Quel autre court se permettrait un défi aussi technique qu’un plan-séquence dans un salle de yoga remplie de miroirs uniquement pour nous dresser un panorama visuel du ridicule des personnages ?
Jouissif, décomplexé, Onión est de par son format relativement long (22 minutes) un court qui se savoure comme un épisode de série. Un régal que je vous conseille pour votre prochaine pause repas, à condition que vous n’ayez pas peur de mourir étouffés de rire par votre tupperware de riz cantonais.
FISH
Produit et réalisé par Lucrecia Martel
Est ce que ce court métrage est étrange ? Oui. Est ce qu’on sent la patte « Lucrecia Martel » de bout en bout ? Complètement.
La réalisatrice argentine Lucrecia Martel a atteint la reconnaissance du grand public français en 2008 avec La femme sans tête, sélectionné au festival de Cannes et produit par Pedro Almodóvar, excusez du peu. Son style graphique se distingue par une esthétique singulière alliant un certain sens du kitsch et une solennité qui ancrent ses films dans un imaginaire classique et noble, très hérité de la tradition picturale des romantiques. Ses histoires oscillent entre absurde et drame, et sont toujours teintées d’un humour « à l’argentine » qui dédramatise les moments les plus pathos de ses réalisations.
On peut retrouver cette approche dans Fish, court métrage expérimental et absurde à base de poissons bavards. Le rythme est justement dosé pour que le procédé ne lasse pas, et le décalage entre une esthétique très léchée, ces couleurs magnifiques et ce soin apporté au cadre et le ton volontairement loufoque de l’ensemble créent une surprise bienvenue. C’est un court bien « barré » comme on les aime, qui marque une pause pour Lucrecia Martel entre La femme sans tête et son dernier film Zama, primé dans énormément de festivals à l’international et que nous aurons sans doute la chance de découvrir prochainement en France… En attendant, il y a les poissons !
INSIDE CAR
http://www.larraguibel.com/proyecto/2/shortfilms/inside-car/ STA
De Iván Larraguibel (Brésil), produit par Oscar Godoy & Claudia Larraguibel
Le réalisateur ne s’intéresse pas au format long et officie dans le clip et le trailer de livre en plus de réaliser des courts métrages depuis de nombreuses années. Très à l’aise dans ce format, il tente toujours de décaler le propos en partant d’histoires simples qu’il transforme en mini-drames sociaux. Il est un habitué des sélections dans les festivals, et Inside Car ne fait pas exception à cette règle.
Dans Inside Car, le postulat de base est on ne peut plus classique : un couple dans une voiture écoute la radio à fond, en profitant de cet instant d’intimité pour aller plus loin… Et c’est là que rien ne va plus ! Tragi-comique, ce court va assez loin dans l’excès et nous surprend toujours dans nos attentes. Il joue avec les stéréotypes, les situations attendues et les dialogues clichés pour les détourner et nous confronter à une écriture bien plus singulière qu’il n’y paraît.
Pour ce court, le réalisateur brésilien s’est entouré d’une star : la monteuse chilienne Andrea Chignoli, qui fait office de fée aux doigts d’or dans ce pays. D’ailleurs, c’est sans doute à elle que l’on doit ce sens du rythme tout en crescendo et ce montage radical, qui n’hésite pas à faire des ellipses sur les moments les plus importants du scénario pour ménager ses effets de surprise.
Film bonus :
https://www.nytimes.com/video/opinion/100000003487331/melody.html
Réalisé par Marialy Rivas, produit par New York Times
Alors oui, c’est ni Youtube ni Viméo, mais pour Marialy Rivas on peut se permettre une petite triche, non ? 😉
Sur le site du New York Times, vous pourrez retrouver en intégralité certains courts métrages documentaires de la série “Open-Docs“. Cette série est passionnante et présente des portraits de personnalités atypiques, des débats sur des sujets de société (les questions du racisme vues par une personne noire, puis par des policiers) ou encore des retours sur des affaires de justice non résolues par des avocats. Marrialy Rivas dans son court dresse un portrait d’une violoniste issue de quartiers pauvres, sans pathos ni drama et se permet même quelques pointes d’humour. En 4 minutes on parle pêle-mêle de son enfance dans les quartiers pauvres, de sa place de femme dans la musique, de son rapport à l’élévation sociale ou encore de ses difficultés d’artiste face à la création contemporaine, rien que ça !
Marialy Rivas aime les portraits humains et sincères. Même dans ses projets de fiction, elle s’attache à travailler le réalisme des caractères de ses personnages. Humains dans leurs défauts et dans leur qualité, ils sont toujours grandis par une réalisation qui les place au coeur du processus de réflexion du projet cinématographique de la réalisatrice. Très portée sur la cause LGBT, Marialy Rivas s’y intéresse pour le potentiel dramatique des personnages et destins qu’elle croise. Ce documentaire n’est finalement qu’une facette de plus, logique, de la grande fresque humaine dressée par la réalisatrice.
En espérant que cette petite sélection vous a plu… Si c’est le cas, je n’hésiterais pas à faire un volume 2 (ou 3, ou 4, ou 5…). Tant que y a de la créativité et des génies créatifs inconnus, y a matière à parler !
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