Comédien de doublage très actif, notamment dans le registre des animés, Bastien BOURLÉ s’est fait connaître pour les rôles d’Eren Jäger (L’Attaque des Titans), Soma Yukihira (Food Wars!) et Izuku Midoriya (My Hero Academia), en plus des nombreux autres rôles interprétés au cours de sa carrière. Dans le cadre du TGS en novembre 2021, j’ai eu l’occasion de rencontrer un acteur non seulement disponible, sympathique et spontané, mais surtout quelqu’un d’aussi passionné que passionnant dans sa façon d’évoquer sa vision du métier.
Retour sur cet échange aux allures de vraie conversation bien plus que d’une interview formatée.
S : « J’ai eu la chance de grandir avec des doubleurs assez iconiques. Qu’il s’agisse des voix françaises de Leonardo DiCaprio (Damien Witecka), Mel Gibson (Jacques Frantz), Russell Crowe (Marc Alfos), etc., j’ai toujours été sensible à l’art du doublage à la française. Même si j’appartiens à cette catégorie de cinéphages qui préfèrent visualiser son contenu en version originale, je suis toujours restée fidèle à certaines de ces voix. Depuis une quinzaine d’années et la consécration de cette génération de comédiens, j’avais l’impression de ne plus en voir arriver de nouveaux aussi iconiques ou aisément reconnaissables. L’effet nostalgie probablement, et la sensation que la qualité de la production avait baissé à la même vitesse que les délais de diffusion s’étaient accélérés. Tu es donc la première voix depuis longtemps à m’avoir marqué comme ça. »
B : « Ah oui ? Eh bien c’est très gentil, merci. Pourtant, je suis loin d’être iconique dans le milieu. »
« Justement ! C’est pour ça que je me suis dit que tu méritais d’être mis en avant, tu commences à être connu dans ton domaine. »
« Je suis connu dans le milieu qui regarde des animés, et qui regarde des animés en VF, ce qui est un petit milieu au final. »
« Au cours d’un entretien que tu as accordé il y a quelques mois, tu évoquais tes performances notamment pour le doublage d’Eren Jäger dans L’Attaque des titans, et j’ai été surprise de ta propre opinion sur la question. Tu n’es pas satisfait de ton travail pour ce rôle ? »
« Pas toujours. Après, c’est un truc de comédien et d’artiste de manière générale d’avoir du mal à être satisfait de son propre travail. Pour le coup, c’est vrai que les métiers artistiques sont des métiers qui t’impliquent personnellement. Il est question de talent, de personnalité. Tu te mets vraiment dans ce que tu fais, surtout comparé à d’autres métiers qui te permettent d’être plus détachés, et qui n’ont pas forcément à voir directement avec toi en tant qu’individu. Donc je pense que fatalement, comme ça te met dedans et que tu as une part d’ego, ça devient difficile. Soit tu adores ce que tu fais, soit tu détestes, ou tu te retrouves entre les deux. Moi j’ai du mal, la plupart du temps. Même encore aujourd’hui j’ai encore parfois du mal à m’entendre, même si j’ai l’habitude. Et c’est vrai qu’il y a des rôles où je peux me dire « Ah, c’est bien ce que j’ai fait », et la phrase d’après, « J’aurais pu faire mieux ou proposer autre chose ». Je suis très critique avec moi-même et comme je suis critique aussi avec les autres, je pense que ça va de pair. J’ai du mal la plupart du temps à être satisfait de ce que je fais. Si je le suis, du coup j’ai tendance à me dire que j’ai vraiment dû faire du bon travail. Par exemple, oui, je n’ai pas aimé tout ce que j’ai fait sur Eren. C’est pas constant en fait, ça peut être d’une phrase à l’autre, en réécoutant des mois, des années plus tard, justement avec le recul, de regretter et de dire « Putain j’aurais dû faire autrement, c’est pas ce que j’aurais dû faire ». Parce que c’est pas la même chose entre s’entendre sur le moment puis s’entendre dans une situation qui a rien à voir à tête reposée, où t’es pas du tout dans l’ambiance, tu vois. Et je pense que c’est là où tu es le plus critique justement, c’est après. »
« Je suis assez d’accord. En fait de manière générale dans l’art, c’est toujours plus intéressant de faire à l’instant T que d’avoir fait. Parce que tout de suite on est confronté, dès qu’on a fini quelque chose, à cette fameuse auto-critique. »
« Oui, je pense qu’on a tendance à moins aimer ce qu’on a fait, par la suite. Puis après ça dépend ! Il y’a des trucs que j’ai aimé faire sur le moment, mais dont je suis heureusement resté satisfait après aussi : parce que ça me parlait plus, que je me suis senti plus à l’aise en le faisant… C’est quelque chose qui compte aussi. Parfois, tu ne te sens pas à l’aise, et du coup ce que t’entends, c’est pas forcément ce que les autres entendent. Ça influence ton point de vue, ça te fait dire : « J’suis pas à l’aise donc j’ai l’impression que ce que je fais est pas bien » = donc ce que j’entends est pas bien, tu vois. Ça joue beaucoup aussi.
« Eh bien justement c’est une bonne transition, car pour revenir plus précisément sur SNK (NDLR : L’Attaque des Titans) tu as déjà évoqué en interview la pression dès le départ pour le rôle de Eren. On t’avait prévenu : « Attention, ne te rate pas. » »
« Au début ouais ! C’était mon premier rôle principal, mon premier grand rôle, tous genres confondus. Au moment où on m’en a parlé c’était LE gros animé du moment qui était super attendu en France, déjà très aimé au Japon… C’est un truc énorme, toi t’as le rôle principal, donc ouais, il faut faire le truc bien, tu vois. Forcément, je me suis mis la pression tout seul, et déjà de base je pense que sans qu’on te dise quoi que ce soit, quand tu obtiens un rôle principal, tu te mets la pression quoi qu’il arrive. Du coup on m’avait donné… je sais pas si c’était la première saison en entier, ou en tout cas les premiers épisodes, mais on me les avait passés pour en apprendre un peu sur ce que c’était, pour découvrir le personnage. Donc ouais je m’étais mis la pression, et pour la première session j’étais un peu stressé. »
« De mon point de vue en tout cas, et venant de quelqu’un qui n’est pas forcément consommateur très fréquemment de mangas ou d’animés japonais, j’ai trouvé ta performance extraordinaire, à plusieurs égards. Lors de nombreuses scènes de l’animé, ton travail est impeccable et il y une retranscription des émotions qui est assez hallucinante, au-delà de l’attachement plus ou moins fort au personnage d’Eren pour le spectateur. J’ai d’autant plus apprécié la version en VF, car je trouve que la VO peut parfois être assez dérangeante pour une oreille peu habituée au doublage japonais. Il faut compter bien sûr avec l’héritage du théâtre kabuki très expressif, qui peut ne pas passer auprès tout le monde. »
« C’est ça. Cette expressivité pour nous, avec ce qu’on connaît du jeu, en France, parfois ça peut paraître faux. Parce que c’est aussi très exagéré. Les Japonais ont parfois tendance à exprimer les choses – alors pas en public –, mais dans les animés on trouve cette expressivité poussée à l’extrême. Pour eux c’est logique, la personnalité du personnage et la langue, la façon de l’exprimer, sont très étroitement liées. Je ne sais pas laquelle influence le plus l’autre. Je pense que la langue doit influencer la façon d’être. Il y aurait tout un truc à étudier là-dessus, mais les linguistes le savent déjà : c’est qu’une langue te plonge dans un état d’esprit, une façon d’être. Il est connu qu’une personne étrangère à un pays, qui s’y rend, et qui parle la langue, change elle-même un peu de comportement. Et c’est vrai que la langue japonaise est très particulière pour ça. Il y a ce côté un peu « surjoué », et c’est vrai que si nous on faisait la même chose, ça ne passerait pas, en fait. On est obligé de l’accommoder, et du coup, je comprends. Je comprends pas toutes les critiques des amateurs de VO pour la VF, parce que les trois quarts ne sont jamais vraiment justifiées, mais je comprends une critique qui va te dire qu’il n’y a pas d’émotion dans la VF, même si c’est faux. Le problème, c’est qu’ils sont habitués à entendre une émotion level 100, en japonais, et quand nous à côté on redescend de dix crans, forcément, ça peut paraître fade. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas de l’émotion. On a juste envie de répondre à ces critiques qu’ils savent très bien que ça ne se fait pas comme ça, en France. Quand tu regardes un film français, les acteurs ne jouent pas comme ça, sinon tu dirais qu’ils jouent mal. »
« Je pense que notamment toi et les autres membres du casting, votre niveau de doublage et le travail fourni sur SNK sont plutôt excellents. D’ailleurs, la traduction des dialogues par rapport au texte VO était super intéressante, pertinente et parfois plus claire même pour mettre en lumière certains points du scénario. En tout cas, pour moi c’était hallucinant de retrouver une qualité de doublage comme ça. Vous avez vraiment réussi à trouver le juste milieu entre mettre suffisamment d’émotions quand il en faut (parce qu’il y a quand même des scènes où ça sort des tripes, et ça s’entend), et en même temps cette espèce de mesure qui est en effet un peu plus occidentale dans le doublage et dans laquelle on se retrouve complètement culturellement parlant. »
« Oui effectivement on est obligé de trouver ce juste milieu. Doubler de l’animé c’est une façon de jouer très particulière. Contrairement au jeu « en live », t’es obligé de pousser un cran au-dessus de toute façon. Quand tu regardes bien, dans un animé, tout est un cran au-dessus : les situations, les discours… Tu peux même dire parfois que c’en est un peu ridicule. Dans un live, tout est plus posé d’une certaine manière et donc t’es pas obligé d’aller là-dedans. Pour de l’animé, aller à fond c’est pas gênant. Ça passe parce que c’est porté par l’image. On ne fait que prêter notre voix, et l’idée c’est que ça se cale à l’image, c’est soutenu par l’image. Ça va à fond, c’est très poussé dans les émotions, dans les situations. On pourrait même dire que c’est grotesque et absurde si on va jusqu’au bout : y’a des pouvoirs, du fantastique, L’Attaque des Titans en est un bon exemple. Ce qui n’est pas du tout une critique de ma part, même si c’est vrai qu’en France, ce n’est pas un genre qui est beaucoup mis en valeur. Du coup oui tu peux te permettre d’aller à fond, et ça passe. Mais à fond à la française, pas à fond à la japonaise. Parce que là je pense que ce serait vraiment critiqué par tout le monde. »
« T’as l’air d’avoir beaucoup de caractère, et en même temps tu dégages une certaine sensibilité par rapport à ton art. Quand tu en parles, je trouve qu’à force de t’avoir écouté dans quelques interviews, tu te laisses pas faire. Tu as l’air de résister aux gens qui t’entraînent un peu trop sur le terrain de la fan attitude, un peu gratuite, ou qui au contraire dézinguent des choses que toi tu trouveras justifiées. Est-ce que l’interaction avec ton public est parfois difficile à gérer ? »
« Alors moi j’aurais tendance à dire que j’ai pas de public. Je fais ce métier là pour moi, évidemment. Le résultat, lui, il est là pour les gens qui regardent de la VF, mais du coup c’est bizarre de te dire que t’as un public, des fans, une communauté. Fin, j’suis pas une star, j’suis pas un comédien, j’suis pas un acteur. J’suis comédien oui, mais… »
« Oui tu as un statut un peu particulier. »
« Oui, je ne suis qu’un comédien dans l’ombre, derrière un micro. On prête notre voix à des comédiens, on prête notre voix à des personnages, mais on n’est pas comme les acteurs américains qui sont présents sur le salon par exemple, on fait pas leur taf. Eux ils sont sur les plateaux, ils se donnent en entier. Du coup c’est très bizarre parce que j’suis pas une célébrité, j’suis pas quelqu’un de connu, j’fais pas un métier « public » en soi. C’est donc toujours étrange d’être sollicité, d’être invité, de faire des dédicaces, et de te rendre compte qu’il y a des gens qui sont fans de ton travail et du coup par extension fans de toi. Je trouve ça bizarre. C’est ça aussi qui fait que j’suis comme ça, c’est que… oui, j’ai du caractère, comme beaucoup de gens. »
« Caractère, dans le bon sens du terme ? »
« Ah pas toujours ça dépend, j’ai un sale caractère aussi ! Mais oui j’ai du caractère, et du coup… Un youtubeur, il a une communauté, clairement, il peut pas vivre sans ça. Nous, si les gens nous aiment pas, on s’en fout. Parce que sur le principe, comme je te disais j’ai pas les chiffres, mais je crois que c’est 80% des Français qui regardent de la VF, et dans ces 80% y’en a combien qui s’intéressent vraiment à la VF ? Et qui s’intéressent aux comédiens ? Y’en a quand même très peu. Quand je dis « on s’en fout » c’est pas méchant, mais c’est vrai que ça nous empêche pas de bosser, de vivre, et de faire notre métier. On n’a pas ce rapport au public nécessaire comme à un chanteur, ou autre. Donc pour moi j’ai pas de public, et c’est pour ça que je vis les choses de cette manière-là et que je brosse pas les gens dans le sens du poil, en fait. Je dis ce que je veux, comme je veux. J’arrondis un peu les choses parce que je pourrais être beaucoup plus brutal et faire pleurer les gens. Je me suis jamais empêché de dire « J’aime pas tel rôle ». Quand on parle de Izuku mine de rien, j’dis « J’aime pas. » « Pourquoi t’aimes pas ? » « Bah c’est un geignard. » On me dit « Bah si, il est bien. » « Bah non, il est pas bien. »
« Oui ça m’a d’ailleurs beaucoup fait rire ce passage d’interview. »
« Pour moi j’ai pas de raison de les brosser dans le sens du poil. C’est sympa si y’a des gens qui m’aiment. La VF tu la fais aussi pour eux, par extension, mais j’ai déjà des gens qui commencent à m’insulter et je sais très bien à cause de quoi, parce qu’ils utilisent toujours le mot : « T’es pas respectueux ». Comme quoi je n’aurais donc pas de « respect » pour Izuku Midorya. Je sais qu’eux ce sont des fans de Midorya, et quand tu vas sur leur profil tu vois des photos, tu sais que c’est ça. J’ai eu le malheur de critiquer Izuku Midorya, donc j’suis un mauvais comédien, donc j’suis irrespectueux, donc j’suis un connard, pour eux. Mais j’m’en fous en fait. »
« Ah oui quand même, la vache. »
« C’est des fragiles, de toute façon ce sont des gamins la plupart du temps, voilà, ils font ce qu’ils veulent et ça m’empêchera pas de vivre. Moi, encore une fois, j’vais pas les brosser dans le sens du poil. J’dis ce que je veux, ça plaît pas, tant pis. Parce que je fais pas ça pour eux. Fin je fais pas les choses pour eux, je les fais pour moi, et après j’essaye de faire un travail pour eux. Mais c’est pas parce que je fais un bon ou un mauvais travail que je dois aimer ou non le personnage. Ça reste un métier, et on n’aime pas tout ce qu’on fait dans un métier. Je suis pas obligé d’aimer tous mes rôles. Et tant pis si ça les vexe. Ça m’est égal. J’suis pas une personne publique, j’suis pas censé surveiller ce que je dis, j’suis pas censé dire les choses pour les gens. J’le vois pas comme ça en fait. »
« Oui t’es pas dans le contrôle absolu de ton image et de ton discours. »
« Bah non, parce que pour moi j’ai pas d’image. Fin c’est bizarre mais par exemple on m’a pas mal demandé de faire des dédicaces en audio, notamment sur les réseaux sociaux. »
« Sur Twitter ? »
« Pas que sur Twitter, sur Facebook aussi. Mais je m’y connecte jamais parce que Facebook je m’en fous, je m’en sers pas, et le truc c’est que comme je l’expliquais, je suis pas une personne publique, je ne suis pas un produit, j’suis pas là en mode : « Tu veux que j’te fasse une voix j’vais te la faire ». C’est pas mon truc. Moi, je fais mon métier. Ce que je fais ça te plaît tant mieux, si tu veux qu’on en parle, y’a pas de souci, je viens aux conventions spécifiquement pour les gens… Et là j’te fais tout ce que tu veux : je fais les dédicaces vidéo, audio, aucun problème. Dans la vie de tous les jours, c’est moi. C’est Bastien Bourlé, c’est pas Izuku, j’suis juste un mec qui fait des voix, en fait. C’est comme ça que moi j’vis les choses. Du coup ça se répercute sur ma façon de parler dans les interviews, parce que déjà j’ai un peu cette façon de parler dans la vie de toute façon, et que j’estime ne pas avoir à surveiller mon image comme le ferait un comédien, qui doit faire attention à ses réponses, il a l’agent qui surveille… non. J’ai pas besoin de ça. »
« C’est bien de savoir que tu as cette espèce de spontanéité là, et que tu t’empêches de rien. »
« Mais parce que je sais qui je suis et que je sais que j’suis personne. Dans le fond, j’suis pas une célébrité, et c’est pas parce que… Fin tu vois quand tu me dis que j’suis connu, tout ça, bah en fait : qui me connaît ? C’est les gens qui regardent des animés en VF. C’est une toute petite niche. Sur soixante-dix millions de Français, ça représente quoi ? »
« Oui, effectivement. »
« Tu vois, j’dois avoir 1600 personnes qui me suivent sur Twitter, c’est ridicule. Sur soixante-dix millions de personnes. Tu peux pas prendre la grosse tête. J’suis pas Orelsan. Même si j’ai doublé avec lui, j’suis pas Orelsan qui est suivi par des millions de gens, littéralement, et qui commence à faire des scènes dans le monde entier. Là tu peux prendre le melon, ce qu’il n’a pas du tout parce que c’est sûrement l’un des mecs les plus adorables que je connaisse. Mais je peux pas, je peux pas me la raconter, me placer à un niveau où je suis pas, dans la situation où je suis. Ça n’a pas lieu d’être. C’est pas parce que pendant un week-end j’ai cent personnes qui viennent me voir pour faire des dédicaces que du coup j’suis une célébrité ou que j’ai une image, que je dois faire attention. Et encore moins par rapport à un youtubeur justement, parce que tu vois un youtubeur c’est aussi un personnage. Là je pense que t’as plus une image, et tu dois plus faire attention. Moi, j’m’en fous. »
« D’ailleurs parenthèse en parlant d’Orelsan : t’es Normand non ? »
« Ouais. »
« T’es de quel côté, à peu près ?
« Le Havre, Seine-Maritime ! Pas loin de lui puisque lui il est du côté de Caen. J’suis né là-bas, j’y ai vécu mes quinze premières années, puis j’ai déménagé à Paris quand j’étais adolescent, et j’y suis resté pour mon travail. Au départ j’étais parti pour faire du cinéma, mais davantage dans la technique. Je faisais des études d’ingé-son, ce genre de choses. Mais j’avais déjà fait du théâtre, par exemple. »
« Mais du coup tu me disais que toi ça ne t’intéressait pas d’être acteur « physiquement », que tu n’étais pas spécialement à l’aise avec ça. »
« J’pense que comme… j’vais peut-être pas dire tout le monde, mais comme beaucoup de monde ça fait un peu rêver d’être une star, de passer à l’image, c’est valorisant, ça donne envie tu vois. J’pense que la plupart des gens préfèrent avoir une vie de star, des gens qui t’aiment, gagner de l’argent et vivre dans le luxe et la célébrité que de vivre une vie « lambda ». Qui est une vie que j’ai. Et… J’pense que oui au fond de moi, quelque part, y’a cette envie-là. Mais, dans les faits, je suis absolument pas à l’aise avec la caméra. Pas du tout. Et en plus j’suis une feignasse, et ça demande beaucoup de travail mine de rien. Que ce soit le théâtre déjà, où tu dois faire les répétitions, apprendre les textes, qu’en cinéma ou en télé où t’arrives à six heures du mat’, tu bosses toute la journée, pareil t’as des textes à apprendre aussi… Ça demande du travail, ça demande une disponibilité qui n’est pas la même… C’est pas le même métier, quoi. C’est très différent et puis… si je faisais ça, et si j’étais célèbre, bah est-ce que j’aimerais la célébrité ? Par rapport à mon caractère, à ce côté un peu sans filtre… Tu vois ? Est-ce que ça m’embêterait pas, de devoir me faire solliciter, de devoir faire les choses d’une certaine façon ? Moi je pense que quelque part, j’aimerais, mais… je le cherche pas. Et tu vois je ne fais plus de théâtre parce que je ne cherche pas la scène. Je ne dis pas que les gens font du théâtre juste pour ça, mais au final j’éprouve plus de plaisir à faire du doublage que du théâtre. Et c’est vrai que ce côté : ne pas avoir à répéter, à apprendre un texte, avec de l’immédiat où tu sors de chez toi, tu vas au studio, on te présente le truc, tu le fais, tu rentres chez toi, t’as fini… J’aime bien, ça aussi. J’aime bien ce côté un peu dans l’immédiat, ce côté tranquille à pas forcer. »
« Oui, tu ne ressens pas à tout prix le besoin d’avoir à préparer un rôle en amont. »
« Non, non, en plus j’suis pas à l’aise avec autre chose vis-à-vis du métier de comédien aussi… pour le coup c’est quelque chose de très personnel. Mais du coup ça me convient très très bien le doublage, et je pense que ça me convient parce que ça me permet justement d’avoir cette distanciation que tu n’as pas quand tu incarnes vraiment le personnage sur scène ou à l’écran. Normalement tu fais un certain travail où tu rentres dans le personnage, tu te l’approprie. Et ce qui veut dire toi, tes émotions, etc. Ce qui est très différent avec le doublage, où tu as cette rupture, où tu as l’image. Le personnage est à l’image, et toi t’es derrière ton micro dans une situation qui n’a rien à voir. J’pense que ça m’arrange cette distanciation avec la situation, avec l’émotion, de pas avoir à complètement entrer dedans pour les raisons personnelles que j’évoquais. Donc ça me convient parfaitement. »
« Il y a quand même certaines scènes où on peut se demander comment vous faites pour les doubler. J’admire d’autant plus cette séparation que tu arrives visiblement à faire. Tu ne t’es jamais laissé happer comme ça, par une scène, par un moment ? Est-ce que tu as eu une scène qui a été plus difficile à doubler par rapport à ça ? »
« Bah tu te laisses quand même un peu aller au minimum oui, parce que sinon tu joues pas. Donc quand tu joues une émotion, une situation, tu la joues… tu t’impliques pas comme tu le ferais si t’étais sur scène évidemment, mais si je dois jouer toute une scène avec plusieurs phrases d’affilée où j’suis dans la colère, quelque part je suis en colère. »
« Et dieu sait qu’il en faut pour doubler Eren Jäger… »
« Ouais ! *rires* C’est pas une colère vraiment profonde qui me vient et d’un coup Bastien Bourlé se met en colère, mais c’est une vraie colère que j’extériorise à ce moment-là via le personnage. De la même manière qu’une scène où j’dois pleurer, qu’une scène où… Voilà. Tu dois le ressentir quand même un minimum, mais y’a quand même cette distance. Je veux dire par là que ça s’arrête, la scène est finie, toi t’étais derrière ton micro ou on te coupe parce que c’était pas bien, ou que tu t’es raté et d’un coup ça te coupe dans ton élan aussi. Le truc c’est que le doublage c’est dans l’immédiateté, comme je dirais aussi le travail à la caméra. Le théâtre je pense que c’est différent parce que le théâtre t’as cette possibilité de rentrer dans le rôle. Pendant une heure et demie t’es sur une scène, donc t’es dans une situation où tu fais vraiment semblant et t’as l’impression d’être dans la situation en question. Tu peux, même si ça ne se voit pas forcément, ne pas être à fond dans ton rôle dès le départ, mais au fur et à mesure rentrer dedans et être plus à l’aise et y être. Là, t’as pas le choix, sur le principe tu dois tout de suite être dans l’émotion, dans le ton, c’est très différent. Mais y’a un côté aussi fabriqué, justement, parce que t’as pas eu le temps de te préparer et d’être dans le rôle. À un moment donné le théâtre normalement c’est toujours dans le cheminement : il se passe ça, ça amène ça, ça monte… Tu sais déjà d’où part ton personnage et où est-ce qu’il va, tu peux voir la progression et travailler là-dessus. Là où nous on fait les choses scène par scène, donc au fur et à mesure… Et puis nous on est aussi soutenu par le comédien original, parce que c’est ça le truc : c’est qu’on a la chance d’avoir un support. Ça a déjà été joué. Donc on s’appuie sur le jeu original, avec bien sûr notre façon de jouer, notre personnalité et notre savoir-faire, mais sur le principe on « copie » ce qui a déjà été fait, à notre façon et du coup ça t’aide. Parce que t’as pas à te dire « Attends, j’vais le faire comment ? » « Est-ce que je le prends comme ça ? ». Tu le vois, tu dis : « Okay il l’a pris sur ce ton-là, il l’a pris dans cette intensité-là, j’vais aller là-dedans ». T’as le directeur ou la directrice de plateau qui est là aussi pour t’aiguiller et pour te dire : « Donne plus d’intensité, ou moins, là tu vois à l’image il en donne plus… », ce genre de choses. Donc on a aussi cette facilité de rentrer dans les chaussures d’un autre, qui fait qu’on n’a pas tout à créer par nous-mêmes et c’est déjà plus facile. Y’en a qui disent le contraire parce que justement tu dois rentrer dans les chaussures d’un autre comédien, mais en même temps ça te permet d’avoir déjà un support de base sur lequel travailler. Ce qui n’est pas forcément le cas pour les autres branches du métier. »
« Est-ce qu’il y a une émotion qui t’est plus facile qu’une autre ? On a mentionné la colère précédemment, qui en est visiblement une que tu arrives nickel à sortir. »
« Ca fait partie de mon caractère de merde. J’peux être très facilement colérique. Tout ce qui est colère c’est pas un truc qui me dérange, c’est pas un truc avec lequel j’suis mal à l’aise, ça m’est facile à faire. »
« Pour toi tu dirais donc vraiment que c’est l’émotion que t’arrives à jouer le plus facilement ? »
« Ouais ! De ouf. »
« Et la plus dure, tu dirais que c’est quoi ? »
« Les pleurs, la tristesse. Je suis pas à l’aise avec ça parce que je suis pas à l’aise avec ça dans ma vie. »
« Tu es quelqu’un d’assez pudique ? »
« Oui. J’suis pas du genre à pleurer en public, j’suis pas du genre à dire « Je t’aime », que ce soit à mes parents ou à ma copine, j’suis pas du genre à… j’suis pas forcément du genre à exprimer ce que je ressens, au fond. Ou même à un anniversaire, si on m’offre un cadeau, j’vais pas sortir : « Ah putain ça me fait trop plaisir ! ». J’vais plus dire : « Ah c’est sympa, merci c’est cool. » J’ai du mal à exprimer ce genre de choses et donc pour les émotions reliées à la tristesse, ça me met excessivement mal à l’aise. J’suis déjà très mal à l’aise par rapport à l’émotion des autres de manière générale. Quand y’a quelqu’un qui pleure, j’ai envie de lui dire : « Va pleurer là-bas ! ». Tu sais, le rejet, vraiment. Le : « Aaah comment j’vais gérer ça, bon bah un câlin j’imagine ? ». Je sais pas en fait, donc j’suis pas à l’aise avec ça et du coup pour moi c’est le plus dur. Parce que même si tu fabriques, tu dois quand même le faire par rapport à toi, le vivre d’une certaine manière. Et ça, ça me met mal à l’aise et du coup, j’me sens… J’me sens ridicule, j’me sens stupide à le faire. Ce qui est logique : si j’suis pas à l’aise, j’ai l’impression d’être ridicule. Ce qui est pas forcément le cas hein. »
« J’te confirme que non parce que, bien sûr ça vaut c’que ça vaut, c’est que mon point de vue, mais au contraire j’trouve ça d’autant plus dingue qu’une émotion qui te soit plus compliquée pour toi à incarner, sorte de façon aussi qualitative. »
« Oui parce que c’est le travail du comédien. »
« Ouais mais justement, ça en dit long sur la qualité du travail apporté. »
« Vu qu’on est censé tout savoir jouer, peu importe ton état d’esprit du moment, ton caractère, ta personnalité, peu importe que tu sois à l’aise ou pas, t’es censé le faire. Et peut-être que tu vas réussir à vraiment le faire au bout de dix prises, bah tant pis. Le résultat, c’est tout ce qui compte. On a la chance de pouvoir recommencer, de pouvoir refaire, les gens n’entendent que le résultat final. Parce que ça peut arriver que t’aies fait les choses en une fois, ce qu’on appelle en one shot ou plutôt en one take, et c’est arrivé que ce soit fait en dix fois. Ça veut pas forcément dire que t’as galéré, ça peut vouloir dire parfois que la personne qui te dirige voulait autre chose, de plus ou de moins, qu’elle te reprenait et parfois tu trébuches, mais c’est le travail du comédien. T’es censé savoir tout jouer et t’es censé aller chercher l’émotion là où tu peux. Même si j’suis pas à l’aise avec ça, j’m’en sors mieux ces dernières années par rapport à mes premières années dans le doublage. J’arrive à me mettre plus dans l’émotion, à me foutre les larmes aux yeux, ce que j’arrivais pas à faire avant. J’pense que c’est le fait de le jouer, c’est l’œuf ou la poule : ça entraîne. À force de jouer la tristesse, tu peux plus facilement te mettre dans la tristesse, et du coup si tu ressens une pointe de tristesse c’est plus facile de le retranscrire, et vice versa, tu vois. C’est plus facile pour moi aujourd’hui. »
« D’accord. Et est-ce que du coup t’aurais un rôle que tu n’as pas encore incarné pour l’instant qui te ferait vraiment kiffer ? »
« Tous. Non, j’exagère en disant ça mais c’est juste qu’il y a tellement de films, de séries, de jeux vidéo, de dessins-animés, d’animés… Y’a tellement de projets produits qu’il y a plein de choses à faire. Y’a des rôles que j’aimerais faire dans le sens où ce sont des personnages qui existent déjà, qui ont déjà été interprétés ou pas. Moi j’suis plus dans les comics, j’lis tout ce qui est Marvel, j’adore ça. J’ai lu tout le MCU même si après c’est aussi par curiosité, parce que y’en a plein que j’ai pas aimé. Mon personnage préféré dans les comics, c’est Spiderman. J’adorerais, un jour, quel que soit le support, doubler Spiderman, pour mon kiff personnel. Après, je joue beaucoup aux jeux vidéo depuis que j’ai cinq ans, donc j’adore les jeux vidéo et y’a plein de choses que j’aimerais faire dans le domaine. Y’a des jeux de combats auxquels je jouais tout gamin, et j’aimerais avoir un personnage un peu dans l’esprit évidemment. Donc en soi y’a plein de petits rôles comme ça que j’aimerais faire. Après, ce qui me ferait kiffer aussi c’est d’être la voix d’un comédien. »
« Oui, c’est ce que j’allais te demander. Il y en a un qui te plairait particulièrement ? »
« Non parce qu’après la plupart du temps, ils sont tous déjà faits, mais pourquoi pas un comédien qui démarre, tu vois ? Justement si on revient sur Spiderman, un mec comme Tom Holland, il est un peu sorti de nulle part y’a pas longtemps, j’pense qu’il s’est vraiment fait connaître avec Spiderman. Donc pour ce qui concerne le comédien qui a été casté dessus, eh bien maintenant je pense pas me tromper en disant qu’en tant que doubleur, il va le doubler dans tous ses rôles. Et c’est un comédien qui maintenant fonctionne et qui fait plein de rôles. Ça, ça me ferait kiffer en fait. D’avoir un comédien qui démarre, d’être pris dessus, et d’être la voix de ce comédien-là. Bon, déjà parce que ça fait du taff et c’est cool, mais aussi parce que l’avantage c’est qu’au bout d’un moment tu finis par apprendre à connaître le comédien. Et si tu le chopes bien, si t’es à l’aise avec, tu le connais. C’est plus facile de le doubler et de rentrer dedans et j’pense qu’après même si c’est complètement indirect, y’a un genre de connivence qui se fait dans le jeu du doublage, et ça ça m’intéresserait beaucoup. »
« Et enfin dernière question et après j’te laisse tranquille : un film, un jeu vidéo, un livre, une série ? Un quatuor d’œuvres majeures ? »
« En film, je reviens souvent sur La Ligne verte, qui est exceptionnel et qui me fait chialer comme un bébé à chaque fois. En dessin-animé c’est récent mais j’ai adoré Spiderman New Generation qui est exceptionnel aussi. En livre, je saurais pas trop dire mais je suis un fan de Stephen King en fait, y’en a beaucoup que j’ai lu et y’en a beaucoup que j’aime. Mon premier, c’était Shining, je l’ai largement préféré au film de Stanley Kubrick. En jeu vidéo, j’ai grandi avec les Tomb Raiders mais j’ai grandi avec les Mario aussi… Après, j’ai toujours joué aux jeux de combats, donc je suis toujours souvent revenu sur les Mortal Kombat. Les jeux de combat, c’était aussi l’occasion de jouer avec ses potes après les cours, de les inviter chez toi ou d’aller chez eux à deux sur le canapé, ce qui se fait beaucoup moins aujourd’hui avec la connectivité. »
« Merci à toi, pour le temps accordé ! »