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BREAKING NEWS : Kristen Stewart sait jouer la comédie

Oui, oui, vous avez bien lu. Ce n’est ni un article du Gorafi, ni un titre putaclic pour attirer l’œil,encore moins de la publicité mensongère. Le miracle s’est bel et bien produit le 26 janvier 2022 pendant mon visionnage du film Spencer de Pablo Larraín, biopic consacré à Lady Diana et actuellement disponible sur Prime Video. Annoncé depuis juin 2020, privé de sortie cinéma et diffusé uniquement sur la plateforme d’Amazon, le film était aussi attendu par certains que boudé d’avance par d’ autres : entre jugement par contumace pour Kristen Stewart destinée à incarner le rôle principal, désintérêt pour le sujet dont l’angle particulièrement étroit avait de quoi surprendre et lassitude après une succession de films et de séries tournés autour de la famille royale d’Angleterre ces dernières années. Pourtant, voici cinq bonnes raisons de regarder un long-métrage aux allures de petite perle que l’on n’attendait pas.

Numéro 1. Parce que Kristen Stewart sait jouer la comédie

Oui je sais, je me répète, mais c’est important. Important car depuis 2008, on ne dépeint plus la réputation d’une actrice aux allures d’ambulance depuis longtemps déglinguée par des balles de calibre 12, plus ou moins de bonne foi. Souvent étrillée par les critiques populaires pour sa mine placide confinant aux expressions mono-faciales, Kristen Stewart est longtemps restée prisonnière du rôle de Bella Swan dans la saga des films Twilight dans lesquels elle n’a certainement pas brillé par son talent.
Et pourtant,quelque chose s’est bel et bien passé.Kristen Stewart est Lady Di, dans ce film de presque deux heures se focalisant sur les vacances de Noël de 1991 de la famille royale. Tout y est. La ressemblance physique, tout d’abord, est à peine croyable tant pour certains plans (notamment ceux du profil vu aux trois quarts). On croit réellement voir le fantôme de l’héritière des Spencer traîner dans le domaine sa peine comme son désenchantement. Il y a cette qualité des costumes et des robes dans lesquelles la jeune femme se voit engoncée du matin au soir, cette démarche à la fois légère et alourdie par le poids de plus en plus pesant de contraintes dont elle ne veut pas, et surtout, surtout : une captation ahurissante de la gestuelle de Diana.On se souvient de la cérémonie de mariage diffusée par les médias du monde entier, ainsi que des images d’archives dans la mémoire populaire. Car Diana n’est pas qu’un minois fragile surplombé par une masse de cheveux blonds tirés à quatre épingles à l’anglaise. Diana, c’est un port de tête fier mais immanquablement cassé à la fois, le visage incliné dans une posture de soumission presque dérangeante, tant elle renvoie à une souffrance à peine cachée. Kristen Stewart s’est emparé de l’aspect le plus terrible, le plus perturbant, le plus vulnérable de son rôle. Le regard est intense, douloureux, trahissant un appel à l’aide face auquel le spectateur ne peut que rester impuissant.

Les lèvres sont étirées en ce sourire mince, si mince, et on imagine le coût d’un tel effort comme si du sel lui avait été déposé aux commissures. Et ce visage incliné, souvent, toujours, ce visage qui tangue, qui s’accroche à l’espoir de survivre au carcan. Ce visage qui exprime une douceur et une vulnérabilité laissant parfois la part belle à une impertinence et une suite de provocations que ce physique gracieux parvient à rendre plus acceptables. Oui, Kristen Stewart est belle à voir, car on oublie Kristen Stewart. C’est Diana qui souffre et qui entame son chant du cygne à l’écran. Et le spectacle est loin de laisser indifférent. 

Numéro 2. Parce que c’est un film d’horreur en huis-clos qui ne dit pas son nom

Si l’on ne connaissait pas les protagonistes de l’histoire, il y aurait de quoi se poser des questions sur le registre du film et ce à quoi l’on pourrait s’attendre. Sandringham House et ses rares éclaircies ne parviennent pas à faire illusion. C’est un château hanté par des siècles de tradition qui sert de décor au récit. Un château entouré de landes au brouillard mélancolique, aux nuages bas et à l’hiver gris. On n’est pas loin d’un décor n’étant pas sans rappeler le manoir des Autres (2001), et dont le cadre sinistre est sans cesse souligné par le froid qui règne dans les chambres comme dans les corridors. Les majordomes sont inquiétants, arborent des trognes impayables et qu’on n’aimerait pas croiser au détour d’un couloir en pleine nuit (hommage au très flippant Timothy Spall, terrible en cerbère britannique par excellence). Les fantômes qui règnent sur le domaine, l’institutionnalisation terrible des fêtes de Noël orchestrées avec une minutie excessive et un protocole abrutissant n’en rendent que plus vraie l’adage : « Les morts gouvernent les vivants. » Les morts sont partout : peints sur les toiles et tableaux de maître, dans les livres qui traînent sur les tables de chevet et au creux des draps, dans les souvenirs qui peuplent la mémoire de Diana, frappée par la nostalgie de son enfance bien moins guindée.

La liste des alliés sur lesquels s’appuyer est mince, constituée principalement qu’en deux enfants trop jeunes pour représenter un soutien de poids mais pas assez pour ne pas comprendre le drame qui se joue entre les lignes. La menace, la paranoïa, la surveillance, l’inquisition sont là en permanence, renforcés par l’utilisation d’antiques instruments (de torture ?). Ces instruments qui humilient au nom d’un folklore pourtant depuis longtemps considéré comme obsolète, sont complétés par des interrogatoires dont la violence latente a de quoi interpeller. Les hallucinations visuelles et auditives contribuent enfin à projeter la triste héroïne de Spencer sur un piédestal aux allures de gibet. Même la bande-originale y met du sien, portée par des violons tragiques (mais jamais larmoyants), des trompettes sarcastiques, par un orgue glaçant ainsi que les notes d’un clavecin froid. Si l’on ne connaissait pas cette histoire, on aurait peine à croire que Diana puisse s’en sortir indemne et tout bonnement vivante. Le pire restant sûrement de savoir que le divertissement à l’écran est probablement bien en deçà de ce que la princesse de Galles a dû endurer auprès d’un époux pareil à un étranger et d’une belle-mère toute-puissante dont on ne présente plus le caractère retors.

Numéro 3. Parce qu’on peut s’intéresser au sujet sans avoir eu besoin de se taper The Crown pour autant

Qu’on s’y intéresse de près ou pas, tout le monde connaît les rumeurs et les faits les plus célèbres entourant la famille d’Elisabeth II. Tout le monde a déjà entendu parler de Lady Diana, du Prince Charles, des robes et des chapeaux kitschesques au possible de la Reine, de Kate Middleton, du Prince Harry qui s’est fait la malle, etc. Il y a les aficionados du genre et les autres, dont je fais partie. Pour être honnête, je n’ai jamais vu The Crown, The Queen et encore moins les multiples documentaires et biopics déjà réalisés au sujet de Lady Di. Le personnage ne m’intéressant pas, les quelques faits de ma connaissance me laissant plutôt circonspecte. Rien n’aurait pu prédire le développement d’un sentiment d’empathie aussi fort à l’égard de la jeune femme. Et pourtant.

La magie Spencer opère, nous laisse nous attacher immanquablement à ce personnage contradictoire, paradoxal, en proie à ses démons les plus violents. Car si l’ennemi vient bel et bien de la famille royale à laquelle elle commence à s’opposer au début des années 90, Diana reste sa première adversaire. Tourmentée par des tendances boulimiques de moins en moins dissimulables, obsédée par son apparence physique et son poids, persuadée de n’être plus considérée que comme un fardeau, un « cheval sauvage à mater » depuis qu’elle « leur a pondu deux petits princes », le film dévoile sans détours la longue liste de maux dont est frappée la princesse. Intelligemment, nous plaçant 99% du temps dans les chaussures de la mariée désincarnée, l’œuvre de Pablo Larraín plante ses griffes dans le crâne de son public et vient remettre les compteurs à zéro et les points sur les i. On en oublie les à priori tissés au sujet d’une femme considérée comme capricieuse, fuyant les médias tout en ayant réclamé leur attention en guise de vengeance et d’arme pointée en direction du pouvoir. On en oublie aussi le parfum de scandale jamais très loin. Ne reste plus que l’être humain derrière les robes impeccables et ce sourire un peu crispé. De quoi donner envie de se documenter, de lire, de chercher à comprendre et à en savoir davantage, d’écarter d’autres voiles comme pour espérer en apprendre un peu plus sur qui était cette sacrifiée choisie initialement par Elisabeth II comme l’épouse idéale pour son caractère tranquille et « docile ». Spencer sème le doute, et peut aisément rebattre les cartes pour tous ceux qui, jusqu’ici, ne s’étaient pas laissé convaincre si facilement par l’aura incontestable et l’incroyable sympathie que Lady Di a abandonné derrière elle. Dont moi-même.

4. Parce que cette parenthèse de trois jours annonce magnifiquement le drame, six ans plus tard

Trois jours. Trois jours pour semer une à une les pierres annonciatrices de malheur. Trois jours d’angoisse, de mauvais pressentiment, de mâchoires serrées, de fuite perpétuelle. L’angoisse, comme celle qui n’aura cessé de la tenailler, même une fois échappée de la machinerie royale. Le mauvais pressentiment, comme celui qui aurait dû avertir l’icône du danger imminent. Les mâchoires serrées malgré les débordements de la presse, l’emballement qui la dépasse. Et enfin, la fuite. Tout est là.

Tout annonce une mort jeune, un péril permanent, dès l’ouverture. Depuis la route jusqu’au domaine qui la voit conduire, perdue et désorientée parmi des landes qui l’ont pourtant vu grandir, jusqu’aux premières marches du château gravies dans la douleur et le regret. La déchirure presque trop silencieuse du couple princier voué depuis le premier jour à péricliter s’ajoute aux repas luxueux interminables avalés dans la douleur (une scène abominable, notamment, a de quoi serrer la gorge et confine presque à la nausée de par son intensité et son incroyable pertinence : la pilule est littéralement dure à avaler). Diana se cogne contre des murs vastes, si vastes, pourtant devenus trop étroits. Diana est exposée aux flashs des appareils photos empoignés par des journalistes amoureux de son image et du fric engrangé par chacune de ses apparitions soigneusement étudiées.

On la privera pourtant de lumière dans sa propre chambre pour la préserver de clichés volés par les paparazzis toujours embusqués. La fuite en avant, c’est la fuite perdue d’avance, aussi sûrement que celle des faisans livrés à la chasse et abattus sur les terres alentour. La fuite dans une littérature qui ne la rassure pas (le récit funeste du destin d’Anne Boleyn, l’une des nombreuses épouses d’Henry VIII), et qui agit comme un message caché : la mort rôde, partout.

Tous les ingrédients sont réunis, mélangés avec soin. Pas besoin de filmer une course-poursuite sous le pont de l’Alma. Pas besoin de respecter scrupuleusement les étapes chronologiques biographiques d’un parcours chaotique. Ces trois jours décisifs sont bien plus parlants que des images « chocs » et l’effet obtenu n’en est que plus saisissant. Le glissement est perceptible, laisse la part belle à l’imagination, et il n’est alors plus difficile de se représenter ce qu’ont dû être les dernières années de vie de la princesse de Galles. Le choix scénaristique fonctionne à la perfection, joue avec les connaissances de ses spectateurs, dévoile des secrets de polichinelle qui sèment encore l’effroi aujourd’hui,nous confortant dans cette impression de fatalité presque prévisible du sort qui attend Diana née Spencer.

Numéro 5. Parce que la mise en scène

Spencer, c’est avant tout une recherche esthétique soignée et qui ne laisse que plus amer, quand on songe à l’expérience de cinéma qu’aurait représenté son visionnage. On peut d’ailleurs parler de cette recherche visible bien avant la diffusion du film sur Prime Video. Dès la bande-annonce, quelque chose se passait déjà.

Quelque chose laissait planer un angle de vue et des décisions artistiques qui méritaient qu’on s’y penche, même de loin, et qu’on attende la sortie du biopic. Il est tout aussi pertinent de revenir sur l’analyse de l’affiche du film, aussi parlante que superbe dans sa sobriété, jouant là encore avec l’illusion d’une Diana plus vraie que nature. La silhouette est cassée, à terre, noyée dans la magnificence d’une robe bouffant le décor, comme le protocole royal dévore son existence en la réduisant à peau de chagrin en tant qu’individu. L’affiche est comme le personnage, comme le propos : touchant et intriguant, attirant par sa sobriété et le mystère qui s’en dégage.

Spencer, c’est aussi une bande-son aux petits oignons, composée par un Jonny Greenwood inspiré qui séduit par son aura grinçante et ses clins d’œil bourrés d’un humour noir doublé d’un hommage qui fait mouche. La musique devient presque un protagoniste à part entière, débordant par son emphase, titillant par les tiraillements, émouvante quand elle traduit le piège qui n’en finit pas de nous enfermer à Sandringham House. Pour faire simple : l’accompagnement sonore reste juste de A à Z et se paye le luxe de nous offrir d’incroyables moments de cinéma. En effet, difficile de ne pas frémir, quand l’orgue tonne pendant que l’armée de photographes cerne Diana à la sortie d’une église, comme une homélie macabre elle aussi annonciatrice du pire.

Côté casting, c’est le sans faute. Timothy Spall colore son personnage aussi antipathique que terrifiant de nuances bienvenues. Jack Farthing incarne un Prince de Galles d’une cruauté et d’une froideur n’étant pas sans rappeler les vraies. Stella Gonet n’a aucun mal à camper une Elisabeth II impitoyable d’élégance. Jack Nielen et Freddie Spry font plaisir à voir, dans les rôles des princes William et Harry, bouleversants d’authenticité. Difficile également d’omettre une photographie de qualité, un montage impeccable et une ambiance aussi feutrée qu’étouffante à souhait.

Enfin, on pourra mentionner le travail effectué pour le rendu du son, contribuant à enfermer le film, et son spectateur avec, dans une bulle intime qui n’est pas sans faire penser à l’essence même du long-métrage. Intime.

Alors non, ce n’est pas le film de l’année. Non, il n’est pas exempt de défauts. Mais Spencer vaut le coup. Pour certaines scènes osées et choquantes, pour ses touches de voyeurisme dosé à la perfection. Pour l’incroyable contemplation d’un cérémonial dont on ne voudrait pour rien au monde et qui a de quoi faire passer l’envie d’entrer dans la famille royale. Pour sa fraîcheur, son originalité et la qualité de son rendu. Pour la remise au centre de l’individualité d’une femme jusqu’à son nom de famille brandi comme un dernier drapeau d’une révolte impossible. Et puis bon… Avouez que Kristen Stewart qui joue bien, ça vaut un visionnage, non ?

Kristen Stewart arbore une ressemblance troublante avec la Princesse de Galles, et livre une incarnation gracieuse et spectrale de Lady Di © resize-elle.ladmedia
Lady Diana, fantôme désoeuvré errant entre passé dévorant, présent douloureux et avenir funeste © kinepolis.lu

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