Après le succès du « Grand Bain« , Gilles Lellouche revient derrière la caméra, avec un film de romance basé sur le roman de Neville Thompson “Jackie loves Johnser OK?”. Dans un mélodrame au kitsch assumé se rencontrent Jackie (Mallory Wanecque puis Adèle Exarchopoulos) et Clotaire (Malik Frikah puis François Civil) qui tombent follement amoureux malgré leurs milieux sociaux opposés : elle vient d’une famille bourgeoise, tandis que lui grandit dans un foyer ouvrier. Leur amour passionnel, condamné dès le départ par ces différences, est renforcé par l’incapacité de Clotaire à s’intégrer dans le monde de Jackie, ce qui le conduit peu à peu vers la délinquance…
L’éclipse des cœurs : quand l’amour ouf dévore tout
La nouvelle réalisation de Gilles Lellouche se veut une « ode à la jeunesse, à l’espoir, aux premières fois », comme l’affirme le réalisateur lui-même. Et il faut avouer que cet objectif est atteint avec succès. On plonge dans l’imagerie des années 80, qui, contrairement à d’autres représentations cinématographiques de cette époque, s’efforce d’être fidèle à la réalité plutôt que clichée. Je tiens également à souligner la qualité de la bande-son, où Lellouche a été accompagné dans ses choix par Thomas Bangalter, un membre du célèbre groupe Daft Punk. Tout cela crée un cadre propice à l’épanouissement de l’histoire de Clotaire et Jackie, qui nous ramène à l’amour insouciant que nous avons tous un jour vécu. Un amour qui nous élève, nous transporte et parfois nous tourmente comme aucun autre. L’éclipse solaire symbolise la rencontre et la réunification de ces deux âmes que tout oppose, mais qui restent pourtant liées à travers le temps et l’adversité. Les clichés présents dans certaines scènes ajoutent, à mon sens, de la profondeur à la représentation de cette légèreté et de cet amour inébranlable, irrationnel. Comme l’affirme Adèle Exarchopoulos, l’amour ouf permet de renouer avec “une insouciance […] perdue”.
Le genre mélodramatique : gangsters, romance et humour font un cocktail inattendu
Comme l’a affirmé Gilles Lellouche durant l’avant-première, L’Amour ouf est “une déclaration d’amour à l’amour […] et au cinéma”. Cependant, il ne se limite pas à du pur sentimentalisme, abordant diverses questions sociales, notamment la délinquance et le déterminisme, le tout agrémenté d’un brin d’humour. Ce mélange de genres surprend, mais s’harmonise tout à fait avec l’évolution imprévisible d’un amour “ouf”, qui part dans toutes les directions. L’histoire navigue entre les rires, les larmes, et la violence brute de certaines scènes. Pourtant, cet alliage intriguant au premier abord finit par créer un cafouillage qui détache le spectateur d’un scénario peut-être trop ambitieux. En voulant trop en dire, le film se perd par moments, nous laissant parfois incertains quant à la direction qu’il souhaite prendre et aux émotions qu’il espère réellement susciter.
Relations familiales et amicales : l’amour ouf dans tous ses états
L’Amour ouf s’attache à dépeindre les relations familiales et amicales, créant une toile de fond complexe qui nuance les personnages principaux. Lellouche prend soin de montrer l’influence de ces relations sur leurs trajectoires de vie : les amitiés de Clotaire, tout en étant sincères, l’entraînent cependant sur des chemins sombres, contribuant à sa descente progressive dans la délinquance. En parallèle, le film offre une belle représentation de l’amour filial absolu, notamment à travers la mère de Clotaire, incarnée par Élodie Bouchez. L’actrice a d’ailleurs insisté sur cet aspect lors de l’avant-première en déclarant : « Quoi qu’il fasse, quoi qu’il ait fait, quoi qu’il puisse faire, sa mère l’aime toujours. » Le film met également en lumière les tensions entre devoir familial et désir d’émancipation, tout en soulignant que ces relations, même conflictuelles, sont souvent le reflet de l’amour inconditionnel. Ces liens, qu’ils soient familiaux ou amicaux, tissent une trame émotionnelle qui complexifie le destin de Jackie et Clotaire, révélant un amour plus vaste et parfois plus déchirant que celui qui les unit.
Lellouche à l’œuvre : un champ d’expérimentation cinématographique
Avec L’Amour ouf, Gilles Lellouche s’aventure dans une véritable expérimentation cinématographique, où chaque séquence est l’occasion de repousser les limites de la réalisation classique. L’ambition du film est palpable dans la gestion des champs-contrechamps qui brisent les conventions habituelles. Un des moments les plus marquants est sans doute une scène de braquage intense, où l’utilisation des containers comme espace narratif apporte une touche de créativité inattendue. Toutefois, cette audace s’accompagne parfois de maladresses. Je pense notamment aux relations sexuelles tournées que j’ai trouvé gênantes de par leur cadrage et le changement incessant de point de vue. Lellouche multiplie les idées de mise en scène curieuses, voire saugrenues : une caméra qui virevolte au lieu d’adopter le champ-contrechamp habituel, un plan filmé à l’envers dans une chambre d’enfant dès les premières minutes du film. Si ces choix audacieux apportent parfois une fraîcheur visuelle, ils peuvent aussi devenir envahissants. Trop de jeux de caméra finissent par déconcentrer le spectateur, rendant certaines séquences un peu « too much » et brouillant la fluidité du récit.
Une intensité en surrégime
L’Amour ouf est un film qui touche à une large gamme d’émotions tout en abordant des questions sociétales malheureusement toujours d’actualité. Malgré un scénario assez classique, on sent la volonté de Lellouche de retranscrire des sentiments subtils à travers des mises en scène symboliques et novatrices. Cet effort est louable, et les émotions sont bien présentes. Cependant, en poussant parfois l’intensité à son paroxysme, le film tombe dans la surenchère, affaiblissant par moments l’impact émotionnel qu’il cherche à créer. Cette quête d’expérimentation visuelle et narrative, bien que risquée, parvient tout de même à nous livrer un récit poignant et sincère, même si son ambition excessive peut parfois perdre le spectateur en chemin. Ce film aura également permis de révéler le jeune talent de Malik Frikah que j’ai trouvé excellent dans le rôle de Clotaire.