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Last Night in Soho : sixties sanglantes

Image de Last Night in Soho avec Sandie et Eloise face à un miroir, avec une photo de Sandie au premier plan

LAST NIGHT IN SOHO met en scène l’histoire d’une jeune femme passionnée de mode et de design qui débarque à Londres pour ses études. Elle possède la faculté de voir les morts, et parvient, grâce à ça, à rencontrer Sandie, une jeune starlette débutante des années 60 avec qui elle découvre le Londres de cette époque. Mais le Londres des années 60 n’est pas ce qu’il parait, et le temps semble se désagréger entraînant de sombres répercussions.

Edgar Wright et le cinéma de genre se côtoient déjà depuis un moment. Celui que l’on connait surtout pour la trilogie du Cornetto a exploré le film de zombie, les films de SF et le slasher dans des parodies loufoques à la personnalité folle. C’est la première fois qu’il s’attaque frontalement au cinéma d’horreur dans une perspective sérieuse. Et le résultat est plutôt réussi ! 

Une patte visuelle caractéristique

Edgar Wright est un réalisateur amoureux de la belle image. Son style visuel est avant tout coloré et punchy, avec des lumières flashys et fluos, une esthétique assez “pop”, un montage frénétique. Last Night in Soho ne déroge pas à la règle et fait partie des films les plus impressionnants de l’année sur le plan esthétique. Le Londres des années 60 qui y est dépeint est fantasmé, vu à travers le regard élogieux et rêveur d’Eloise, notre héroine qui est passionnée par cette époque.Tout y est brillant, clinquant, lumineux, par contraste avec le Londres contemporain qui paraît morne, gris et fade.

Robe poudrée, ambiance glamour : bienvenue dans le Londres sexy des sixties

Le film est baigné dans des nuances colorées qui teintent chaque scène d’une ambiance particulière. Le rouge des néons prédomine, symbole du monde de la nuit que visite Eloise durant son sommeil, mais préfigurant aussi l’histoire macabre qui se joue autour de Sandie . Le rose poudré ensuite, une couleur innocente et douce qu’arbore Sandie dans une robe babydoll, une incarnation visuelle de la naïveté des deux femmes venues à Londres accomplir leur rêve. Le bleu est aussi très présent surtout dans la période contemporaine, une couleur plus froide qui rappelle le pragmatisme de la réalité. Ces indices visuels nous aident d’ailleurs à nous repérer temporellement, car le film adopte une narration parfois déconstruite. Lorsque les couleurs sont dans le spectre chaud, rouge, doré, rose, nous sommes dans le passé. Lorsque les couleurs sont dans un spectre plus froid, bleu, gris, vert, nous sommes dans le présent.

Les images promotionnelles n’hésitent pas à mettre en avant ce contraste coloré

Cette omniprésence de couleurs et les contrastes dans l’image ont poussé énormément de critiques à comparer Last Night in Soho à un giallo. L’inspiration sur le plan visuel est indéniable, ainsi que les références à Dario Argento, mais la comparaison s’arrête là. L’érotisme indispensable au giallo n’est pas présent, et les scènes sanguinolentes sont trop rares.

L’horreur derrière la lumière

Vendu comme un thriller horrifique teinté de drame, Last Night in Soho surprend par la radicalité de sa dimension horrifique. Certaines scènes sont cauchemardesques, notamment en ce qui concerne les hommes sans visage qui viennent hanter Eloise. Leur première apparition joue habilement autant sur le son que sur l’image. La bande son est une répétition déformée de phrases stéréotypées lancinantes que ces hommes disaient à Sandie. Leur visage est une sorte de “bouillie” où l’on ne reconnaît aucun trait distinctif. Ces hommes représentent tous ceux qui ont entouré Sandie durant la montée de sa carrière et ont profité d’elle, de sa beauté, de sa présence, mais aussi au sens littéral de son corps. Dommage que par la suite ils soient un peu surexploités, ils auraient gagné à apparaître moins souvent pour que l’horreur reste efficace. 

Certaines scènes rappellent aussi le cinéma expressionniste

L’ambiance est absolument brillante. On a l’impression de regarder des clips de Ghost, avec cet univers horrifique hyper esthétisé qui arrive à faire surgir l’horreur malgré les paillettes.

Dance Macabre, dans son ambiance sixties horrifique, rappelle grandement certaines scènes du film

Cette réussite ne serait pas totale sans le casting remarquable. Anya Taylor Joy n’a déjà plus rien à prouver : elle qui a débuté par le cinéma indépendant gagne petit à petit ses marques dans des films grand public,et prouve qu’elle est une des plus grandes actrices de sa génération. A la fois terriblement sexy, mais jamais froide, touchante dans son ambition sans être insupportable, elle incarne parfaitement bien cette Sandie mystifiée dans le regard d’Eloise, fascinée par elle. Mais celle qui crève l’écran est sans conteste Thomassin McKenzie donc l’écriture est parfaite. Rarement personnage de jeune adulte ne m’aura autant touchée par sa sincérité. Elle est timide, mais ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle a du caractère et des répliques qui font mouche. Elle a peur, mais est courageuse, et cherche toujours des solutions intelligentes pour se sortir de ses problèmes. Elle est débrouillarde, drôle, et fait preuve d’énormément d’esprit. Thomassin McKenzie l’incarne parfaitement bien et est d’un naturel touchant.

Pas si brillant dans l’écriture

Si le film est brillant cinématographiquement, il pêche hélas dans sa narration.

Il aborde déjà trop de sujets en un seul film pour réussir à garder le cap sur toutes ses intrigues. Sont développés, pêle-mêle : le deuil de la mère de l’héroïne, le souci de la maladie mentale qu’elle a transmis à sa fille, le harcèlement scolaire qu’elle subit de la part de camarades, le fait qu’elle soit perdue en tant que campagnarde dans Londres, l’intrigue plus “polar” et enquête liée à Sandie dans les années 60, une intrigue avec un ancien flic qui va mener l’héroïne sur une fausse piste, une intrigue amoureuse… En abordant tant de sujets, certains allaient forcément en pâtir. On a la sensation que plusieurs pistes sont lancées dans le vide et vite abandonnées, et qu’elles ne servent ni un propos global ni un dessein purement narratif. Concrètement, le film est soit trop long, soit trop court. Il aurait gagné en radicalité en resserrant les sujets abordés, ou aurait mérité une bonne demie heure supplémentaire pour conclure harmonieusement tout ce qu’il met en place. Cela crée donc forcément des soucis de rythme, et le film souffre de longueur parfois gênantes.

Les antagonistes sont caricaturaux et manquent de profondeur

J’ai aussi un souci avec la manière dont le film se termine. Sur un plan purement narratif, j’y ai retrouvé un défaut présent dans énormément de romans thrillers, à savoir un “twist” et un méchant qui explique la résolution de l’intrigue en quelques minutes. On a l’impression de se trouver devant un soufflé appétissant qui retombe de lui-même tant la résolution tombe un peu à plat. 

Mais au-delà de ça, j’ai un souci avec son message. Le film entier nous fait avoir de l’empathie pour le personnage de Sandie, exploitée par les hommes et malmenée par les lumières de la ville. Elle est forte et intelligente, ambitieuse, mais aussi montrée comme fragile et dépendante des gros bonnets du monde du show business qui l’exploitent. Hors sur les dix dernières minutes, l’empathie que l’on éprouve pour elle devrait d’un coup disparaître au profit d’une empathie artificielle pour les hommes sans visages qui nous ont effrayé tout le long du film. Le film essaie de faire une morale en demie teinte, mais échoue son message non manichéen : à la place son propos en devient confus et déroutant, comme s’il n’assumait pas jusqu’au bout l’amour que l’on doit porter à Sandie envers et contre tout. 

Ce personnage cache un secret… Dont la révélation fait l’effet d’un soufflé retombé.

Et allez… J’ai un petit regret personnel sur le fait que le film n’assume pas la romance entre Sandie et Eloise. Il y a énormément de sous entendus homo-érotiques dans le film, et c’est frustrant de ne voir jamais cette romance se concrétiser. On préfère nous forcer une relation amoureuse avec un homme, personnage sympathique au demeurant mais qui n’a pas d’autres fonctions que d’être un love interest. La relation entre femmes est encore réduite à un objet de fantasmes, comme si elle ne pouvait être quelque chose de concret.

Dans l’état, Last Night in Soho est un film imparfait mais avec une personnalité folle. Il parlera sans doute à un public déjà conquis par le cinéma de genre, et déroutera peut-être les fans d’un Edgar Wright comique, mais saura séduire en tous les cas par son esthétique irréprochable.

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