Almodovar aborde dans ce dernier long-métrage les questions sacrées de la maternité et de la mémoire : Janis (Penelope Cruz) photographe de 40 ans, souhaite faire ouvrir la fosse à côté de son village pour offrir une sépulture décente à ses ancêtres, fusillés pendant la dictature franquiste. En même temps, elle tombe enceinte et lors de l’accouchement, elle partage sa chambre avec Ana (Milena Smit) une adolescente terrifiée à l’idée de donner la vie seule, contrairement à Janis, folle de joie à l’idée d’être mère. Leurs destins seront liés à jamais…
Le grand retour d’Almodovar !
Aucun doute n’est possible : c’est bien Almodovar à la caméra. Il sublime les paysages espagnols, qui paraissent à la fois idéalisés et tellement fidèles à la réalité. L’atmosphère aseptisée du studio de photographie, au début du film, est rapidement mise en contraste avec les couleurs vives, chaudes de Madrid et du petit village à côté de Grenade. Les appartements sont typiques du réalisateur, avec leurs couleurs primaires et décoration composée de sculptures géométriques. Chaque nouveau film nous permet de nous replonger dans cet univers à l’aspect superficiel mais aussi chaleureux…
Le récit est construit sur des oppositions : l’environnement est beau et distingué, mais les actions qui s’y déroulent sont louches et découlent de secrets que l’on cache…
Et Almodovar nous dévoile l’artificialité des choses par le prisme de ce qu’il y a de plus vrai : donner la vie.
Le film est une grande pièce de théâtre qui se dévoile sous nos yeux et dans laquelle les personnages portent des masques : ils se mentent et se trompent. Almodovar apporte donc une grande attention à la mise en scène : des personnages qui entrent et sortent par des portes parallèles, des ellipses créées par la lumière qui s’éteint progressivement… comme sur une scène de théâtre.
La mémoire espagnole au centre d’un projet périlleux
Dans ce film les actions des personnages ne sont jamais interrogées ni condamnées : un homme qui trompe sa femme souffrant d’un cancer, une mère qui abandonne sa fille et sa petite-fille pour suivre son rêve de gloire sur les scènes espagnoles… Leurs actions semblent privées de conséquences morales. Leurs existences sont creuses, comme cette Espagne, dont le présent s’appuie sur des actions passées qu’on a toujours cherché à évincer.
L’Histoire de l’Espagne est rejetée à même sa naissance ; la question est de savoir combien de temps cette inconscience généralisée survivra. Almodovar nous prouve que l’Espagne n’est pas encore maîtresse de son futur et qu’elle ne pourra pas l’être tant que son passé ne sera pas dévoilé et interrogé. Le pays est à l’image de cet enfant illégitime que Janis essaie d’élever.
Le message sur le papier est puissant mais le trop-plein de la mise en scène empêche de créer des liens entre les deux grandes actions qui cohabitent. Le message n’est donc que partiellement délivré.
Le devoir de mémoire est particulièrement important pour le réalisateur, qui a produit un documentaire sur ces oubliés de l’Histoire : les soldats morts pendant la Guerre Civile espagnole et la dictature de Franco. Le Silence des autres est sorti en 2018 et aborde la question de l’injustice qui sévit en Espagne, entre pardon des crimes de guerre et oubli de la mémoire de ceux qui sont morts en tentant de protéger l’intégrité de la démocratie. En montrant ce projet d’ouverture de fosse commune, le réalisateur partage le désir de toute une nation et donne la marche à suivre par le gouvernement : aller au bout de ces projets, ce qui semble inconcevable de la part des autorités actuelles.
Mais le projet n’est évoqué qu’au début et à la fin du film : le spectateur l’oublie, car plongé dans des histoires familiales dramatiques. Le déroulement de la fiction donne l’impression que le réalisateur n’a pas réussi à mêler les deux actions, rendant quasiment imperceptible ce parallèle entre la mémoire du pays et le lien entre une mère et son enfant.
De nombreux sujets sont traités dans le film : les mères célibataires, la dureté du domaine artistique, le viol, la tromperie, l’homosexualité, le franquisme… et on ne sait pas vraiment où se positionne Almodovar par rapport à tout cela. Les actions des personnages ne sont jamais remises en question : elles sont passées sous silence et on se demande si ce manque de vision morale est recherchée ou pas. Où s’arrête l’absence de pensée critique des personnages et où débute le point de vue du réalisateur ? On peut se demander si Almodovar a choisi de ne pas se positionner sous couvert de suivre une volonté de neutralité, qui est impossible quand on s’attaque à de tels sujets, car ne faisant que souligner sa lâcheté.
Le grand réalisateur de la libération artistique devenu raisonnable ?
Le réalisateur aborde donc trop de sujets, qui tombent parfois abruptement et n’ont pas leur place dans le récit : la relation homosexuelle entre Janis et Ana n’apporte absolument rien au récit. Leur histoire d’amour, qui n’en a pas vraiment l’air, fait écho à un temps où Almodovar soutenait des récits audacieux, qui n’étaient pas appréciés de l’ensemble du public : la représentation des minorités sexuelles par exemple. C’était un temps où Almodovar donnait la parole à ceux qui étaient rejetés des rangs de la société. Ses films avaient une beauté choquante. Il se concentre à présent sur la beauté ordonnée des foyers des personnes riches, animées par leurs traumatismes constitués d’abandon maternel. Pourtant la figure de la mère a toujours eu une place centrale dans la création d’Almodovar, mais la maternité n’a jamais été aussi peu solide : on change d’enfant comme de chemise.
C’est un film qui reste agréable à regarder, car on se laisse facilement porter par l’intrigue dramatique, et cela malgré une musique plate qui rappelle celle des télénovelas. Penelope Cruz, elle, est toujours aussi incroyable et porte le film sur ses épaules.
[…] est un très bon prétexte pour revoir ce long métrage dont je n’avais pas vraiment de souvenir. Madres Paralelas allie parfaitement les parcours individuels des deux femmes qu’il présente ainsi que le destin […]