Queer eye (2018-en cours) commence comme beaucoup de reality shows. Cinq hommes gays débarquent dans la vie d’une personne pour métamorphoser son quotidien. Rien de très extraordinaire ; pourtant, pourquoi dois-je systématiquement me retrouver à pleurer des fontaines de larmes devant ?
Queer eye dont je parle ici est la deuxième émission du nom ; néanmoins je ne vais pas vous mentir, je ne connais l’existence de la première que parce qu’elle est rapidement cité dans un épisode. La série est produite par Netflix et met donc en valeur cinq hommes ; Tan s’occupe de la mode, Jonathan de l’esthétique, Antoni de la nourriture, Karamo de la culture et Bobby de l’architecture et du design intérieur. On partirait sur un mélange de D&co et Nouveau look pour une nouvelle vie, deux émissions du tréfonds des années 2000 que j’ai plaisir à revoir aux petites heures du matin sur la télévision miniature de mes grands-parents (Papi, Nani, je le confesse ici, ceci est la raison de mes réveils tardifs). C’est pourtant beaucoup plus que ce que je décris là.
La télé-réalité est souvent présentée via ses pires exemples. Loft Story a fait entrer le genre en France et a lancé le ton, entre voyeurisme et exhibitionnisme. Alors quand j’ai lancé le premier épisode de Queer eye, je m’attendais à mettre mon cerveau en pause. Une quarantaine de minutes plus tard, je venais de trouver mon show doudou des soirées moroses. Commençons par le commencement, les cinq « présentateurs » : cinq hommes ouvertement homosexuels, assumant a minima leur orientation et a maxima les talons à paillettes et les robes à nœuds géants.
Dans chaque épisode, ils aident une personne à révéler son potentiel et à vivre sa meilleure vie. Certains moments sont indispensables, (vous n’échapperez pas au relooking par Tan) mais d’autres s’adaptent à la personne. Ainsi, un épisode consacré à un capitaine pompier comprend un soin au Spa pour toute son équipe délivré par Jonathan, qui leur permet de prendre un moment pour eux ; et Bobby ne redécore pas la maison du capitaine mais la salle de vie de la caserne. Les « aidés » sont nommés par des proches qui expliquent pourquoi telle personne est chouette et mérite de recevoir les Fab Five. On commence donc par une scène souvent très pipou dans laquelle quelqu’un décrit le nominé, avec une mise en valeur de ses qualités, ce qui est très rare dans le milieu audiovisuel.
Une grande partie du show est consacré à la mise en confiance de « l’aidé ». Les mauvais esprits me diront qu’une semaine ne permet JAMAIS à personne de changer sa profonde image de soi, mais je leur répondrai premièrement que “chut”, deuxièmement que Rome ne s’est pas faite en un jour et qu’il est évident que cinq jours ne suffisent pas à révolutionner la vie de quelqu’un, mais troisièmement qu’une maison changée, de saines habitudes et un style vestimentaire et capillaire on point aident bien quand même.
Le but des Fab Five est d’aider. Aider à « tenir et assumer son rôle », par exemple en s’habillant pour une occasion, mais toujours en s’exprimant et en étant fier-ère de soi. Les cinq travaillent ensemble pour faire avancer les « aidés » dans la même direction, soit l’obtention d’une version plus aboutie d’eux-mêmes. Cela peut nécessiter de trier son passé, de s’ouvrir au monde, de se projeter, de prendre du temps pour soi, de se prendre un coup de pied bien placé etc., cela dépend de la personne. Mais en tant que visionneur-se, il y a toujours une leçon à tirer.
Néanmoins, tout n’est pas que légèreté et paillettes. C’est principalement Karamo qui apporte un aspect plus réaliste à la série (mais plus les saisons avancent, plus les autres s’y mettent). Un des exemples les plus marquants est avec un policier. Pour comprendre cette phrase, un point important : Karamo est noir, le show se déroule aux États-Unis et il est malheureusement beaucoup trop fréquent que des hommes noirs soient abattus par des policiers. Il en parle dans l’épisode avec « l’aidé », et la conversation est très touchante parce qu’il est dans l’explication et que les deux arrivent à un point d’accord.
Queer eye a aussi une volonté de normalisation de l’homosexualité, en montrant le côté très « normal » des Fab Five et en sortant des clichés figés. Et si certaines situations peuvent l’être, c’est alors un trait assumé et une volonté claire, à l’opposé de la position presque naturaliste de certains médias ; ainsi Jonathan ne porte pas des talons et n’est pas extravagant parce qu’il est gay mais juste parce qu’il le souhaite et qu’il l’assume. Et c’est si positif de voir des hommes qui s’assument dans leur meilleur, leur plus extravagant aspect, mais aussi parfois dans leur fragile et leur douloureux aspect. Parce que l’on y voit aussi des gens parler de leurs échecs, de leurs faiblesses, de leurs colères, de leurs peurs et de toutes ces choses souvent mises de côté et pourtant si humaines.
Soyons très honnêtes, vous ne développerez pas une culture gé de l’extrême avec Queer eye. Vous n’y verrez pas des plans cinématographiques audacieux, des bandes originales à couper le souffle et des jeux d’acteur hors du commun. Vos cours de storytelling devront rester rangés, et votre professeur de cinéma fera une syncope si vous placez le show dans un cours d’histoire du septième art. Mais si vous voulez voir des humains aider d’autres humains, vous rappeler que l’humanité n’est pas encore complètement pourrie jusqu’au trognon, et juste passer un bon moment devant une petite série sans prétention (mais qui a été nommé une fois au BAFTA, sept fois aux Emmy dont cinq remportés entre autres), arrêtez tout ce que vous êtes en train de faire et foncez, vous m’en direz des nouvelles.
Le Comte Gracula
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