Critique (5)

Tàr(ta gueule à la récré)

Récompensé à Venise du prix d’interprétation féminine, Tàr était également un des favoris pour les Oscars avec 6 nominations. Avec une bande-annonce entretenant le mystère et un casting de haut vol : Cate Blanchett, Mark Strong, Noémie Merlant (cocorico !), c’est avec curiosité que je l’ai découvert en salle obscure. Mais mon expérience de visionnage a été un combat pour que je ne parte pas avant la fin de séance. Que s’est-il donc passé ?

Il me manque quelque chose… Mais je ne sais plus… © Gqmagazine.fr

Un scénario en sourdine

Tar nous narre l’histoire d’une cheffe d’orchestre de renommée mondiale, Lydia Tàr. Elle est au sommet de sa carrière. Elle vient de publier une biographie. Elle enseigne son art dans une prestigieuse école new-yorkaise et est sur le point de conduire à l’ensemble philharmonique de Berlin la Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va être bouleversée par un scandale. Un pitch qui sur le papier est alléchant, mais dont l’élément perturbateur n’arrive qu’au bout de 2 h de film (montre en main) alors qu’il fait 2 h 38. L’histoire se paume dans ces deux premières heures à filmer un quotidien lambda qui ne fait en rien progresser l’intrigue avant d’accélérer son dénouement dans un sprint de 38 min, changeant de position géographique à un rythme frénétique et introduisant des personnages à la volée sans intérêt au point de me perdre. Comme si le réalisateur s’est réveillé un matin en se rendant compte qu’il avait oublié son scénario.

Un des rares moments jouissifs du film © Buzzfeed.com

Arrête de faire genre

Filmer le quotidien n’est pas forcément un signe de mauvais augure. Une œuvre comme La loi du marché, malgré son ton documentariste, cherche à alterner des prises de vues avec des caméras à l’épaule, expérimentant même avec les images (par exemple avec les séquences effectuées avec des appareils de surveillance). La mise en scène de Todd Field ici est tout simplement fainéante. Il nous propose 95 % du temps une suite de plans fixes. C’est l’encéphalogramme plat. Le réalisateur va alors tenter de réanimer le film en essayant en vain quelques travelings sans intérêt dramaturgique et des jumpscares musicaux inutiles. Les scènes de nuit sont illisibles. C’est à se demander où est le responsable lumière. Les rares séquences de cauchemars permettent des audaces de mise en scène allant chercher une imagerie déformée, un décor onirique qu’on peut trouver habituellement dans du cinéma de genre. Enfin un peu de stimulation et de chaos visuel dans cette chute ! Mais ces quelques moments tombent à plat car trop courts.

Noémie Merlant s’en sort bien pour son premier rôle en langue anglaise. À suivre de près ! ©Washingtonpost.com

Me Too – mi-raisin

La protagoniste, Lydia Tàr, est supposée être une figure d’autorité manipulatrice et perverse narcissique comme le personnage de J.K Simons dans Whiplash. À aucun moment, j’ai ressenti un quelconque danger venant de cette cheffe d’orchestre. Pire, Todd Field passe la majorité de son film à l’ériger en martyre d’un mouvement me too qui semble injuste. Pourtant le film nous montre clairement qu’elle est coupable de cette situation. En essayant de vouloir peut-être nuancer son propos, le film finit par se contredire et sème le doute sur qui est la « vraie » victime. C’est un jeu dangereux auquel il va perdre. Pour autant, les acteurs impliqués dans cette affaire sont talentueux et interprètent bien. Cate Blanchette est capable de composer avec la folie de son personnage (par exemple dans la scène de l’accordéon), mais le scénario confus et lisse ne lui en laisse pas suffisamment l’occasion. 

Le support émotionnel post visionnage de Tàr © Focusfeatures.com

(cette partie de l’article dévoile la fin de Tàr, si vous ne souhaitez pas être divulgâché. Vous pouvez lire directement la conclusion de l’article)

Le jeu vidéo, un sous art ?

Dans son ultime scène, le personnage de Tàr est en disgrâce totale. Elle a perdu ses emplois, fait l’objet d’une enquête sur ses agissements et sa famille l’a abandonnée. Elle s’envole pour Bangkok où elle retrouve un poste de chef d’orchestre. Le concert commence. Des écrans géants apparaissent et le générique de Monster Hunter World retentit à ma grande surprise. La caméra montre une audience composée de cosplayeur (fans déguisés en personnages du jeu). Le film se conclut sur cette phrase « Si l’un d’entre vous a perdu son courage (lost his nerve en anglais), qu’il s’éloigne maintenant et que personne ne le juge. » Que retenir de cette fin ? Conduire une musique de jeux vidéo est donc une forme de disgrâce ? Il ne faut pas juger Lydia Tàr pour son comportement toxique qui a poussé au suicide une de ses élèves ? J’espère pour le réalisateur avoir mal interprété cette conclusion sinon cela montrerait un profond mépris nauséabond envers le média vidéoludique et les victimes de ce genre d’abus.

Tàr est une déception totale. Malgré son casting compétent et son pitch alléchant, le film s’essouffle et perd rapidement en intérêt. Sa tentative de nuancer le comportement toxique de son personnage principal finit par contredire son but de le dénoncer. Résultat : un long-métrage prétentieux et ennuyeux. Dommage.

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