The Death and Life of John F. Donovan : La machine à rêves de Xavier Dolan

Je ne suis peut-être pas la mieux placée pour écrire une critique d’un film de Xavier Dolan. Je fais partie de ces spectateurs un peu corrompus qui ont pour lui une tendresse indéfectible de film en film. Découvrir son cinéma avec Laurence Anyways (2012), une œuvre sans mesure où Dolan a tout osé, même faire couler un torrent d’eau dans le salon de ses personnages juste pour le plaisir de communiquer une émotion, ça a été un déclic. J’ai trouvé dans ses films quelque chose d’infiniment réjouissant : un acharnement à offrir à ses personnages ce qu’ils méritent, des scènes d’émotion pure, des heures de gloire grandioses. Des moments de cinéma comme on en rêve, aussi kitsch soient-ils. Dolan est l’un des rares réalisateurs aujourd’hui à ne pas se réfréner ou se conformer de quelque manière, quitte à perdre certains spectateurs en route.

Laurence Anyways, 2012, filmmonthly

Ce John F. Donovan a été une séance très étrange pour moi. Je n’ai pas du tout été dans le film, et pourtant je me suis sentie d’un coup très proche de son auteur. C’était comme contempler une grande machine à rêves aux rouages cassés.

C’est la première fois que Dolan s’essaie à des histoires à tiroirs. Le fil conducteur du film est un café de Prague où Rupert, jeune acteur et auteur talentueux, raconte à une journaliste pressée une expérience déterminante de son enfance. Pendant des années, il a entretenu une correspondance secrète avec John Donovan, superstar de séries TV, jusqu’au décès brutal de celui-ci. À partir de là, le film articule deux histoires qui surgissent par épisodes au fil de l’interview, comme un esprit qui se perd de souvenir en souvenir : l’enfance de Rupert, fanboy têtu et incompris, et le monde à cent à l’heure de John, tel qu’il était ou peut-être tel que Rupert se l’invente. Ces époques et ces milieux qui se fondent les uns dans les autres, sans que l’on sache leur part de réalité et d’imaginaire, pourraient créer une douce confusion, si seulement le film était parvenu à m’embarquer avec lui. Mais les histoires restent flottantes et ne prennent jamais toute leur substance : à force de ne parler qu’au passé, le film ne s’ancre jamais dans ce qu’il raconte. Où est la vie de frénésie et de grandeur de John, que Rupert évoque avec tant de passion ? Elle ne se matérialise jamais vraiment à l’écran, et c’est la même chose avec chaque moment d’intensité, chaque fois qu’une histoire semble prendre vie et décoller : le film nous rappelle que tout est déjà parti en fumée… La relation épistolaire qui unit Rupert et John, si centrale au film, n’est qu’esquissée par la lecture d’une unique lettre. Au final, la seule histoire réellement tangible, dans laquelle quelque chose se passe et un lien se crée, c’est pour moi l’interview dans le café.

Image tirée de The Death and Life of John F. Donovan, publiée sur bullesdeculture

L’esthétique de ce Donovan est belle, et cela rend les choses encore plus frustrantes. La lumière douce et tamisée, la profondeur de champ extrêmement maîtrisée, l’adéquation de chaque morceau de musique avec ce que racontent les personnages… Je pense qu’on ne peut que constater le travail colossal que Dolan a fourni pour cette œuvre, et l’importance extrême qu’elle revêt pour lui. J’ai reconnu Dolan dans chaque plan, parfois même un peu trop dans ses références à des scènes cultes de films qu’il ne se cache pas d’adorer (celles à Titanic et Le diable s’habille en Prada sont tout sauf subtiles). Ce qui fait que, en dépit du fait que je ne suis jamais entrée dans ce film, j’ai vraiment eu l’impression de mieux comprendre Dolan et son motto de « tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».

Xavier Dolan, Kit Harrington et Jessica Chastain (qui n’apparaîtra finalement pas dans le film) lors du tournage. © tout droit réservé

Donovan, c’est le cinéma qu’il a toujours rêvé de faire. C’est son désir de créer un grand mélo américain, d’y insuffler son histoire personnelle et sa vision de notre société, ses fantasmes de grandeur kitsch et d’héroïsme. Si les rêves de Rupert ou de John sont moins tangibles que ce qu’ils auraient dû être, ceux de Dolan sont bien là. On peut appeler ça un égotrip, et je suis plutôt d’accord, mais cette vaine tentative n’en reste pas moins touchante. Parce que ses fantasmes de cinéma sont aussi un peu les miens, et peut-être aussi les vôtres…

Je ne pense pas que Dolan pourra un jour canaliser ses élans créatifs, et ce serait d’ailleurs bien dommage. Mais j’attends de retrouver un jour sa fougue si caractéristique dans un film plus simple, car dans ce Donovan, il semble s’être perdu. Je crois que le film que j’aurais aimé voir, c’est plutôt l’histoire de Xavier en train d’imaginer celui-ci…

Stella

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