Critique (2)

I Kissed a dead (And I don’t know if I liked it) : Kissed (1996) – Lynne Stopkewich

Vive l’Extrême Cinéma, son cinéma bis ou borderline, ses pépites sur pellicule introuvables et ses sujets clivants, comme ici la nécrophilie ! Kissed conte l’histoire de Sandra, une jeune femme attirée par la mort depuis sa plus tendre enfance. Elle déniche lors de ses études un emploi aux pompes funèbres, et se découvre troublée par ces corps défunts… qui l’excitent sur le plan sexuel. Elle fait bientôt la connaissance d’un étudiant qui tombe amoureux d’elle, mais qui s’aperçoit que la passion qu’éprouve Sandra pour les trépassés est plus forte que l’amour qu’il lui porte… Lilith et Dolores se sont rendues à la séance ensemble et vous en parlent dans cette critique à deux voix !

Bande annonce de Kissed

Lilith : Pour moi, c’est une œuvre faussement scabreuse, même si le thème de la nécrophilie est créateur de malaise par essence, nous ne sommes pas emporté.e.s dans une histoire aussi originale que ça. Le film oscille entre les genres romantiques et dramatiques et ne nous donne rien d’exceptionnellement novateur, même pour son époque. En étant dans le cadre du Festival Extrême Cinéma, on s’attendait à quelque chose de plus choquant, ou en tout cas de plus subversif. Mais, point de gore tu ne verras ! Des petits animaux morts frottés sur le corps de la protagoniste adolescente au milieu d’un décor forestier, une goutte de sang d’un de ces petits êtres décédés qui coule le long de son cou. Désolé de décevoir celleux que l’intrigue attirait pour des raisons plus sombres, mais passez votre chemin pour le body horror, car le film n’a d’extrême que son thème.

Dolores : Je suis totalement d’accord avec ce que tu dis. Il y a pour moi un gros décalage entre les intentions de réalisation et la mise en scène. Le film est au final très chaste, très propre, tourné comme une comédie romantique basique, là où on aurait aimé que ce soit plus piquant et personnel. Alors c’était très bien de l’éloigner du cliché habituel de la nécrophilie, et de ne pas être tombé dans un film d’horreur à la sauce torture porn premier degré, mais considérer un sujet pareil avec une exécution si plate me semble d’avance voué à l’échec. À noter tout de même que Kissed reste le premier film de la cinéaste, il n’y a pas d’erreurs techniques, la réalisation est propre, le casting est vraiment bon, même le montage est OK, mais il n’y a pas beaucoup de personnalité alors qu’un tel sujet méritait un traitement avec plus d’impact. On s’ennuie quand même beaucoup.

Lilith : À avoir un film plus posé, je trouve qu’il aurait été intéressant d’explorer un aspect psychologique de ce type de fantasme. Mais, mon impression après la projection du film, c’est qu’on n’en sait pas plus sur les individus qui auraient ces kinks. La réalisatrice ne semble pas s’appuyer sur une littérature scientifique qui approcherait ce sujet, elle invente sa propre vision du sujet.

Dolores : Mais tellement ! Le film ne maîtrise pas du tout le thème et le traite de manière hyper superficielle. Tu sais, je ne peux pas m’empêcher de faire la comparaison avec le film Jumbo de Zoe Wittock sorti en 2020, qui aborde aussi une parasexualité : Jeanne est une jeune femme qui va tomber amoureuse d’une attraction dans un parc forain, Jumbo. Ce film est d’ailleurs une pépite que je ne peux que recommander à nos lecteurices ! Hé bien ce film m’a fait comprendre l’affection particulière qu’éprouvent les objectophiles. On a de l’empathie pour Jeanne, on voit toute l’histoire à travers ses yeux, et le film nous fait, d’une certaine manière, également avoir des émotions pour Jumbo. Dans Kissed j’ai eu la sensation de rester à la surface tout le long, de ne jamais réellement saisir les sentiments de Sandra.

bande-annonce du film Jumbo

Lilith : Pour ce qui est des scènes de sexe, elles sont chorégraphiées d’une manière très sensuelle, à la limite du mystique. Elle danse nue autour des cadavres, pour ensuite s’approcher langoureusement d’eux. Il faut admettre que la scénographie est très esthétique, mais ça la rend assez peu réaliste. La lumière, censée inspirer l’orgasme et le lien de spiritualité qu’il y a entre les corps morts et la protagoniste, me semble tout à fait en contrepied avec le sujet. Le ressenti, en tant que spectateur.ice, amène à penser que la mise en scène veut introduire une idée de lumière dans des actes quand même très sombres. C’est d’ailleurs certainement l’unique point de subversion que l’on peut apercevoir dans l’œuvre.

Dolores : Ouais, ça pose de sérieuses questions sur le plan moral, comme si on « normalisait » ça… Mais à la limite si le film nous permettait vraiment de comprendre ses sentiments, ça pourrait se justifier ! Sauf que tous ces moments-là sont accompagnés de la voix off de Sandra, qui raconte elle-même son point de vue sur les choses. Paradoxalement ça ne nous aide pas à saisir, puisque nous ne ressentons pas ce qu’elle ressent : elle ne fait que nous les conter, avec un style bien trop ampoulé et littéraire qui artificialise au plus haut point son récit. On nous prend en otage d’une certaine manière, en ne nous laissant pas le choix d’interpréter les scènes. On nous impose l’histoire de Sandra comme « la bonne ». Le principe fondateur du cinéma est le « show, don’t tell », il ne faut pas dire les choses, mais les montrer. La présence d’un narrateur dans un film est donc souvent un aveu d’échec… Et c’est le cas ici.

Nous n’avons accès qu’au seul et unique point de vue de Sandra © iMDB

Lilith : Je trouve aussi que les morts sont traités comme des objets sexuels. Le corps inanimé est une poupée gonflable à la merci des désirs de la jeune femme. Elle avoue elle-même avec la voix off, que lorsqu’elle a un rapport avec son petit ami fraîchement décédé, elle sent une connexion et un plaisir jamais éprouvé auparavant et qu’elle n’a plus ressenti plus tard en couchant à nouveau avec des macchabées. C’est parce qu’elle a aimé Matt lorsqu’il était en vie qu’elle a ressenti cette chose exceptionnelle quand il est mort. C’est bien lui en tant qu’être humain vivant qu’elle aime et non pas « les cadavres », celui avec qui elle a de toute évidence partagé un lien. Il s’agit là de l’unique rapport consenti qu’elle entretient, son petit ami ayant décidé de se donner la mort, dans le but de pleinement satisfaire les besoins sexuels de sa copine. Pour le reste de ses relations, cela ressemble plutôt à des plans cul non consentis. Je trouve par ailleurs que dans le film, on saisit mieux les problèmes psychologiques de Matt que ceux de Sandra, comme quoi, comme tu le dis Dolores, la voix off n’aide pas du tout à se mettre à la place de la protagoniste.

Dolores : Le lien entre les défunts et Sandra n’existe tout simplement pas ailleurs que dans sa tête. Je suis obligée d’y revenir, mais dans Jumbo, l’attraction « répond » à l’héroïne. La mise en scène fait en sorte qu’on comprenne que le manège a aussi des sentiments, qu’une réelle interaction a lieu. Là les cadavres ne donnent jamais leur consentement, on ne voit aucune connexion entre Sandra et les morts qu’elle baise… Si ce n’est son petit ami, bien vivant lui, qui lui annonce qu’elle pourra coucher avec lui une fois décédé. De plus les choix de Sandra semblent très superficiels, elle ne sélectionne que des corps jeunes et beaux, ne parais pas entretenir un autre type de relation. Elle ne leur parle pas, ne s’intéresse pas à leur passé… Les personnages lancent souvent dans le film que les morts « ressentent les choses », mais on ne le voit jamais à l’écran. Ils se contentent de le dire sans que nous, spectateurs, en soyons témoins. Même une mise en scène un peu clichée et surnaturelle avec des fantômes aurait été plus plaisante que ce « non choix » scénographique, où les questions du consentement ou de la pathologie mentale (est-ce que Sandra est dans une crise psychotique et s’imagine des trucs ?) ne sont jamais abordées.

Lilith : En fin de compte, cette pratique morbide reste un mystère autant pour la réalisatrice que pour les spectateur.ice.s. La subversion est quasi absente et l’originalité supposée du propos n’arrive pas à me convaincre.

Dolores : J’avoue que je m’attendais à bien mieux… Le sujet est intéressant, j’espérais en apprendre plus, mais le film n’en fait rien. Kissed me donne le sentiment d’être très superficiel et d’être avant tout un exercice de style, qui aurait pu être traité avec n’importe quel autre thème. Décevant.

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