couverture Babylon

Babylon : un hommage au cinéma ou une virulente critique d’Hollywood ?

Babylon, ville décrite dans la Bible comme une cité dépravée, où règnent la luxure et la violence. Lorsque ses habitants décident de construire une tour qui pourrait toucher le ciel, c’est là que Dieu intervient. Il détruit la tour de Babel et sa ville en parsemant les hommes ça et là dans le reste du monde.

Mais alors pourrait-on comparer l’édification de cette tour à l’ascension de l’industrie cinématographique sonore ? Tous les deux sont des éléments déclencheurs de la désillusion et de la chute des hommes.

L’époque du film muet est ici présentée comme les années folles, les années sans masque et sans tabous dans lesquelles les hommes se permettent tout.

Ici, nous suivons le parcours de 5 personnages qui vont connaître cette violente retombée dès l’arrivée du code Hayes et la disparition du cinéma muet.

L’extravagante soirée du début du film ©francetvinfo.fr

Hollywood et la démesure

Le film n’a pas de réel scénario en soi. L’histoire des 5 figures se superpose à celle de fond qui est le fil conducteur : l’ascension du cinéma. Damien Chazelle nous avait déjà exposé sa vision d’Hollywood dans La La Land sorti en 2016, une image beaucoup plus belle et délicate. Malgré la dureté de ce milieu, le spectateur restait bercé par la douce musique mélodieuse et le rêve naïf des personnages. Mais dans Babylon, pas de place pour l’amour ou la douceur du songe. Sexe, drogue, sang et décadence sont au cœur du film. On découvre un Hollywood où la bienséance n’existe pas, où écraser les autres par tous les moyens est nécessaire pour réussir. Cette vision cruelle et vulgaire m’a beaucoup étonnée venant du cinéaste. Pourquoi avoir sélectionné des images aussi crues et sanglantes ? Cette outrance démesurée, qui contraste avec son dernier film empli de finesse et d’élégance, m’a parfois fait penser aux réalisations de Quentin Tarantino, d’autant plus avec le choix d’acteurs comme Brad Pitt ou Margot Robbie. Préférant les comédies plus lumineuses aux messages d’espoirs positifs, cet aspect de Babylon m’a véritablement marqué et je ne peux m’empêcher de ressentir une légère déception quant à ces caractéristiques esthétiques et scénaristiques. C’est pareil pour la romance entre Manny et Nellie. On s’attendait à une histoire hollywoodienne quelque peu semblable à La La Land, où chacun poursuit son rêve en s’épaulant. Même si l’on ressent le coup de foudre de Manny envers le personnage de Margot Robbie, la relation n’est pas creusée. On reste dans l’attente d’une évolution où ils s’avouent enfin leurs sentiments, qui n’arrivera qu’à la fin du film et ne durera que quelques minutes avant que Nellie LaRoy disparaisse. On se demande si celle-ci est vraiment amoureuse de Manny.

Nellie LeRoy lors de la fête © francetvinfo.fr

Brad Pitt et Margot Robbie tombés dans l’oubli

Parlons de Brad Pitt alias Jack Conrad. Icône du cinéma muet, admiré et adulé par tous, y jouerait-il son propre rôle ? Celui d’un homme séduisant, bourré de talent à qui tout réussit. Même sa présence à l’écran, c’est-à-dire des scènes sans dialogue ou sans enjeux véritables sont malgré tout impactantes. Car c’est Brad Pitt. Sa simple image ou son nom fonctionnent parfaitement. Il est le symbole d’Hollywood, dans le film comme dans la vraie vie.

Jack Conrad en confrontation avec la journaliste qui lui fait comprendre son déclin @purepeople.com

Mais qu’en est-il de Margot Robbie alias Nellie LaRoy ? Une révélation star du muet qui s’avère en fait une actrice comme tant d’autres, victime du code Hayes qui brise son image de pin-up à succès.

Ces deux acteurs seront les seuls à ne pas réussir dans le parlant et à refuser de tomber dans l’oubli, à tel point qu’ils préféreront même la mort au mépris et à l’ignorance. 

Le choix de ne faire survivre que l’Afro-Américain et l’homosexuelle est intéressant. Peut-être est-ce un peu grossier ou bien juste représentatif de la société de l’époque ? On pourrait se dire que ces deux-là sont tellement habitués à ces inégalités et ce mépris qu’ils ne vivent pas une désillusion soudaine comme Jack Conrad et Nellie LaRoy. Même si le personnage de Nellie n’est pourtant pas gâté par la vie et les critiques depuis son plus jeune âge. Pourtant, on ne les voit à aucun moment du film se rebeller, on peut alors penser que leur amour respectif pour la scène et le cinéma est plus fort que le reste. Les plus fragiles succombent et les plus tenaces résistent.

L’amour : l’unique sentiment qui sauve les hommes

On peut s’identifier au début du film au personnage de Manny, un jeune Espagnol sortant de nulle part, la tête pleine de rêve et d’ambition, qui souhaite inscrire sa place dans le cinéma. Il observe la dépravation des uns sans y participer. Il n’est que spectateur de leur dérive. Mais on se rend vite compte qu’il n’est pas si différent des autres et se laisse emporter par les cruelles conditions du Hollywood des années 1930. Il devient même leader de ce système en obligeant par exemple un chanteur de jazz noir à se peindre le visage pour paraître plus foncé à l’écran. Finalement, Manny est en réalité une victime de ce fonctionnement. Il s’en aperçoit lorsqu’il commence à écouter son cœur. Car même quand Hollywood est soumis aux nouvelles restrictions et aux normes morales, on découvre en même temps que Manny l’envers du décor, bien plus sombre que quelques années auparavant. C’est sûrement l’élément déclencheur qui le poussera à tout quitter pour vivre un véritable amour loin du danger des caméras.

Manny et Nellie se déclarant leur amour après avoir tout quitté ©fr.news.yahoo.com

C’est l’amour qui le sauvera. Nous comprenons ainsi le véritable message du réalisateur. Cette infime étincelle d’espoir et son amour pour le cinéma lui permettent d’échapper à ce monde superficiel qu’est devenu Hollywood. Il est sûrement le seul authentique passionné que l’on puisse voir dans le film, qui résiste à ce nouvel Hollywood. L’amour des autres s’éteint dans la mort (cf. Jack Conrad et Nellie LaRoy), incapable d’accepter de laisser leur place à d’autres.

Le dernier regard de fin veut tout dire : Manny a réussi. Il a participé à l’avènement du cinéma en restant fidèle à ses valeurs et qui il est. C’est sûrement le regard du réalisateur que l’on voit à travers les yeux de Manny, qui découvre avec émotions le chemin parcouru pour en arriver là aujourd’hui : un cinéma parlant, en couleur et qui nous transporte par mille et une émotions. C’est bien pour cela que j’aime le cinéma : Babylon est un film haut en couleur, plein d’énergies et qui nous fait vibrer.

En bref, Babylon est un chef-d’œuvre époustouflant dans lequel Damien Chazelle nous offre un merveilleux éloge à cet art, accompagné de son fidèle compositeur Justin Hurwitz et de sa sublime musique dont on ne se lassera jamais.

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