Lola Laurianne - Miniatures assos articles (7)

Carnet de bord du Grindhouse Paradise : cinquième jour

Le Grindhouse Paradise touche déjà à sa fin avec cette cinquième journée. Cette pause bienvenue au milieu de la routine est toujours un peu magique, à la fois éreintante, surtout lorsqu’il s’agit d’écrire des articles par la suite, mais aussi très intense à vivre. L’espace de quelques jours, des inconnu-es deviennent des proches avec qui l’on se plaît à débattre des films en sortie de séance. L’ambiance est toujours électrique et enthousiaste. L’American Cosmograph devient une deuxième maison. Un mini-bilan en quelques mots : une édition remarquable, qui prouve l’intérêt du public toulousain pour un tel festival avec plusieurs séances complètes. De nombreuses personnes fidèles du mercredi au dimanche qui ont joué le jeu du marathon. Un merch — t-shirts, affiches, tote bags — fièrement acheté et porté par le public. Une programmation étendue qui reste ultrasolide. Une première compétition de court-métrage qui a séduit l’intégralité des participant-es. Et l’arrivée remarquée, et appréciée, du village du festival qui permettait de profiter de rafraîchissements ou grignotages à des prix très corrects. C’est avec un peu de nostalgie que j’aborde cette dernière journée, car, même si j’ai tenté de profiter du festival au maximum de mes capacités, ces cinq journées hors du temps sont passées extrêmement rapidement.

Dead Mail 

Polar analogique écrit et réalisé par Joe DeBoer et Kyle McConaghy
Avec Sterling Macer Jr., John Fleck, Tomas Boykin, Susan Priver, Micki Jackson
Distribué par Yellow Veil Pictures

Avant chaque séance le Grindhouse Paradise diffuse une petite bande-annonce du festival avec des extraits des films à venir, et allez savoir pourquoi, à cause de ces images, j’étais persuadée que Dead Mail était une comédie noire. Je m’étais à peu près autant plantée qu’en pensant que Cuckoo serait un bon film : on est sur un thriller bien sombre et torturé qui nous place en plein cœur des 80’s. Jasper, employé de poste au service des courriers perdus, trouve une curieuse lettre tachée de sang qui l’informe qu’une personne est enfermée dans une maison. Il va mener son enquête et se retrouver mêlé à une bien sordide affaire. Dead Mail séduit avant tout par son esthétique analogique. Son grain texturé, ses couleurs fades, le léger halo de flou qui entoure chaque lumière lui donne un cachet vintage qui colle parfaitement à l’ambiance du film. Dead Mail n’est pas sans rappeler le film Censor qui prenait lui aussi place dans les 80’s à l’époque de la censure Thatchérienne. L’intrigue s’axe particulièrement autour des premiers synthétiseurs — nerds des claviers électroniques et autres amateurices de puces et circuits imprimés, ce film est fait pour vous ! Il est presque didactique sur l’histoire de la musique électronique, qui s’imbrique pourtant tout à fait logiquement dans l’histoire. La musique est donc, inévitablement, portée par ces grandes plages de synthé vibrantes très Carpenteresques. Le casting est excellent. John Fleck brille en particulier en antagoniste à la fois sidérant de sadisme et touchant de fragilité. Un film de nerds, vous disais-je, jusqu’aux personnages, portés par cette passion qu’est le clavier électronique, qui évoluent dans une solitude sociale les conduisant aux évènements du film. On ne tombe pourtant pas dans le cliché facile du geek aux cheveux gras incapable de tenir une conversation normale. Dead Mail est plutôt un hommage, une déclaration d’amour à ces pionniers hors normes qui ont permis de démocratiser ces savoirs de niche… et ont souffert, peut-être, en leur temps, d’une forme d’exclusion sociale. Une petite production originale qui mérite largement le coup d’œil. Bien que son scénario reste extrêmement classique, le contexte dans lequel il se déroule ainsi que son feeling très nerd lui donne un cachet certain. 

Penalty Loop

Vengeance à répétition écrite et réalisée par Shinji Araki
Avec Ryûya Wakaba, Yûsuke Iseya, Malyka Ali
Distribué par Kino Films

Que se passe-t-il au Japon depuis quelques années avec les boucles temporelles ? Après Beyond the Infinite Two Minutes, pépite qui avait gagné le prix du Grindhouse en 2022, après Comme un Lundi, comédie beaucoup plus riche qu’il n’y paraît sur le principe de la boucle temporelle sortie l’an passé, voici Penalty Loop, une énième itération de ce trope usé jusqu’à la corde. Et pourtant, ce long-métrage arrive lui aussi à tirer son épingle du jeu en proposant de suivre Jun, un citoyen lambda coincé dans une boucle temporelle qui le force, chaque jour, à tuer sauvagement le meurtrier de sa petite amie. Penalty Loop se distingue par son rythme lent, ses grands plans contemplatifs, son ancrage dans le quotidien. En présentation de séance, Johan Borg, organisateur du festival, nous a expliqué que le réalisateur Shinji Araki est passionné par le cinéma de la Nouvelle Vague. Cette influence se ressent dans le traitement anticlimatique de l’histoire et par la banalité des situations filmées — de prime abord tout du moins. Jun va au travail. Il prend sa voiture. Boit un café. Attend que le réparateur ait fini de bidouiller le coffre électrique. Il mange. Il faut accepter une première moitié de film laborieuse, rendue un peu assommante par sa quasi-absence de dialogue, pour savourer toute l’atmosphère de Penalty Loop. Son ambiance se mue ensuite en une expérience quasi hypnotique, où les personnages échangent de grandes leçons de vie sur fond de soleil couchant. Il y a des passages d’une solennité intense qui transforment l’expérience de cette boucle temporelle en un essai philosophique autour de la question de la vengeance, de la mort, du monstre qui sommeille en l’autre ou en soi… Il est dommage que le film n’assume pas d’être parfois un peu cryptique et se perde, sur la fin, dans des explications autour du pourquoi cette boucle temporelle existe. Il aurait dû rester à cet état étrange de proposition réflexive plutôt que d’essayer à tout prix de se raccrocher à une narration que l’on sent un peu forcée pour éviter de perdre le spectateur. Le retour à la réalité est un peu brutal. On aimerait rester dans cette torpeur hypnotisante et fascinante que réussit à créer Penalty Loop. Un beau film qui passe hélas à côté du statut de pépite.

The King Tide

Folk horror insulaire réalisée par Christian Sparkes
Écrit par KC Coughlin, Ryan Grassby et Albert Shin
Avec Frances Fisher, Clayne Crawford, Lara Jean Chorostecki

Distribué par Festival Agency

La folk horror est en vogue ces dernières années et The King Tide en est un très bel exemple. Sur une île isolée, un village de pêcheurs vit reclus depuis plusieurs années, loin des « continentaux » qu’ils ont en horreur. Les conditions de vie sont rudes sur leur petit bout de terre jusqu’au jour où Isla, un bébé recueilli dans un canot échoué, débarque sur l’île et fait profiter à ses habitants de ses mystérieux pouvoirs de guérison. The King Tide explore avec justesse les questions de l’emprise et des effets de groupe, aussi bien dans des dérives sectaires qu’avec le protectionnisme trop poussé envers les enfants. L’enfer est pavé de bonnes intentions et les habitants de l’île, avec toute l’affection qu’ils portent à cet enfant, ne se rendent même plus compte qu’ils l’étouffent. La progression dans l’horreur se fait tout en douceur… et toujours avec beaucoup d’amour. The King Tide bénéficie aussi d’une image sublime, où les ombres dansent sur des paysages rocailleux époustouflants. Le film a été tourné à Terre-Neuve et aucun lieu n’aurait pu aussi bien rendre l’ambivalence des propos du film en étant à la fois si somptueux, mais aussi si inhospitalier. Le récit se déroule presque à la manière d’un conte et il est difficile de rentrer trop dans les détails sans en spoiler les éléments majeurs. Beaucoup d’espace est en effet donné au développement des personnages, à filmer la vie quotidienne sur l’île et l’intégration d’Isla dans la communauté. Une certaine plénitude se dégage de l’atmosphère de cette communauté où le temps semble suspendu, donnant l’impression que l’élément déclencheur ne surviendra jamais et qu’il s’agit juste d’une tranche de vie insulaire avec une petite pointe de fantastique. La grande force de l’histoire est de ne tomber dans aucun des clichés que l’on pourrait attendre : les pouvoirs d’Isla ne se révèlent pas en réalité maléfiques, les personnages ne sont pas vils et tous ont des réactions et discours sensés. Je suis sortie éblouie de cette séance, dont j’ai trouvé les propos très intelligents et bien menés, mais aussi l’ambiance visuelle absolument brillante. Une très belle manière de conclure le festival, car, hélas je ne pourrais pas me rendre à la cérémonie de remise des prix de 19h ni à la dernière projection : le concert de Ghost en compagnie d’Enid, notre fidèle correctrice et intégratrice, m’attend au Zénith de Toulouse. Je croise les doigts pour Your Monster, U are the Universe, The Assessment ou The Ugly Stepsister qui sont les films qui se sont le plus distingués cette année, à mon sens !

À l’heure où j’écris ces lignes, le résultat est tombé : c’est The Assessment qui remporte le Prix du Jury du Grindhouse Paradise 2025. Un prix sans surprise au vu de son casting et de sa production, il avait fait l’unanimité en sortie de séance dans les discussions des spectateurices. J’aurais aimé qu’un film plus hors norme trouve grâce aux yeux du public, mais ça restait tout de même un de mes favoris ! Très contente aussi pour Cut Me If You Can qui a gagné le prix du jury dans la catégorie court-métrage, c’était de loin mon petit coup de cœur. À l’année prochaine le Grindhouse !

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