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Carnet de bord du Grindhouse Paradise : quatrième jour

La fatigue commence à se faire sentir. Les yeux se cernent, les bâillements intempestifs retentissent dans la salle et le café se consomme par litres. Pourtant les séances de ce début de week-end sont pleines à craquer, avec une soirée sold out sur plusieurs projections. Que souhaiter de mieux pour démarrer cette quatrième journée ? Grindhouse, on y retourne pour la quatrième ! 

Blood Star

Survival désertique réalisé par Lawrence Jacomelli
Écrit par Lawrence Jacomelli, George Kelly et Victoria Hinks Taylor
Avec Britni Camacho, John Schwab, Sydney Brumfield
Distribué par Swift Productions

La séance de 14h nous transporte dans l’aridité du désert nord-américain avec Bloodstar. Dans ce thriller, nous suivons Bobbie, une jeune femme qui prend la route pour tenter de sauver son couple. Après quelques anicroches sur le trajet, elle est arrêtée pour un contrôle par un shérif impassible qui abuse de son autorité pour grappiller quelques pots-de-vin. Il va vite s’avérer bien plus sadique qu’un simple flic véreux. Il est dommage que Blood Star s’ouvre avec un foreshadowing nous spoilant déjà jusqu’à quelles extrémités le shérif est prêt à aller, car le reste du film est haletant. Implacable, froide, calme, cette figure d’autorité rassurante se muant en bourreau est un extrêmement bon antagoniste. Ses lunettes noires constamment vissées sur le nez le rendent terriblement charismatique et énigmatique. On le sent prêt à pousser le curseur du jeu du chat et de la souris très loin sur l’échelle du sadisme. Le personnage de Bobbie, notre héroïne, n’est pas en reste avec son répondant et son attitude badass. Elle ne tombe pas dans les clichés de final girl ou de scream queen et reste assez naturelle dans ses réactions face à cette situation qui démarre de manière banale pour devenir de plus en plus malsaine. Même si le film emprunte beaucoup aux codes du slasher, il n’en est jamais vraiment un pour autant, préférant rester à la frontière des genres entre un thriller psychologique et une course poursuite sanguinolente. L’ambiance visuelle n’est pas sans rappeler l’aridité du cinéma d’Ana Lily Amirpour, en particulier dans The Bad Batch, ou l’excellent Revenge de Coralie Fargeat, qui partage avec Blood Star sa rigueur âpre et ses plans de nuits magnifiques dans le désert. L’atmosphère du long-métrage respire une certaine badassitude typiquement américaine, depuis le culte de la punchline jusqu’aux diners et bagnoles typées. Il en dépeint un portrait à la fois iconique et ironique. Le petit fond féministe du film, qui consiste aussi pour l’héroïne à s’émanciper d’une relation toxique, est un plus certain. Blood Star est bien mené, bien rythmé, évite aussi énormément d’écueils du genre : sans être un grand film, il réussit plutôt bien tout ce qu’il entreprend, et repart avec un 4/5 de ma part. 

Your Monster

Amour monstrueux écrit et réalisé par Caroline Lindy
Avec Melissa Barrera, Tommy Dewey, Edmund Donovan, Meghann Fahy
Distribué par Shadowz

Qu’on se le dise : j’avais un peu la flemme de voir Your Monster. L’univers des comédies musicales ne me parle pas, les comédies romantiques ont vite tendance à me saouler, bref : j’y suis allée sans grandes attentes. Quelle ERREUR ! Je pense que c’est le film du festival sur lequel j’ai le moins de choses à redire : il est parfait. Parfaitement rythmé, parfaitement maîtrisé, parfaitement écrit. Il se concentre autour de Laura, en pleine rupture amoureuse d’une relation longue après avoir été diagnostiquée d’un cancer. Chanteuse, elle essaie tant bien que mal de répéter pour une comédie musicale dans laquelle son ex lui a composé un rôle sur mesure, quand elle fait la rencontre, un soir, d’un monstre vivant dans son placard… Et c’est une pépite qui répare des parties de notre cœur que l’on ne soupçonnait même pas brisées. Le genre de films que j’aurais aimé avoir vu ado pour me donner des armes face aux déceptions amoureuses. Et qui fait aussi énormément de bien aux inconditionnel-les de la Belle et la Bête, même si, on ne va pas se mentir, le Monstre du film ressemble plus à un métalleux avec quelques soucis de peau qu’à une créature réellement repoussante. Your Monster est un film hilarant, sans aucun temps mort, et qui évite énormément de clichés du genre. Il possède aussi un sous-texte étonnamment profond autour de la dépression et du deuil sentimental. Laura n’est d’ailleurs pas exempte de défauts dans cette phase, car son malheur peut la rendre terriblement égoïste, voire un peu cruelle avec son entourage. Le film respire une énorme sincérité sur le traitement de son sujet, et pour cause : la réalisatrice dit l’avoir écrit à la suite de sa propre expérience, similaire à ce que traverse l’héroïne. Quant aux codes de Broadway, ils subliment le film par l’utilisation de visuels lumineux, de costumes colorés, et d’un petit aspect vintage qui rendent le quotidien magique. C’est LE film doudou par excellence, qui réchauffe le cœur comme une tasse de chocolat chaud après une journée de merde. J’espère en ces quelques lignes vous avoir convaincu de regarder ABSOLUMENT Your Monster, à déguster sur Shadowz d’ici à la fin de l’année. Et le film que j’attendais le moins du festival est devenu mon préféré de toute la programmation. 5/5 sans hésiter, et on croise les doigts (poilus et griffus) pour le prix du festival !

U are the Universe

Science-fiction émotionnelle écrite et réalisée par Pavlo Ostrikov
Avec Volodymyr Kravchuk et Alexia Depicker
Distribué par The Jokers

Si Your Monster a pansé mon petit cœur, U are the Universe s’est bien chargé de venir le rebriser en mille morceaux. Ce film nous conte l’histoire d’Andriy, employé dans une station spatiale chargé de ramener des déchets radioactifs dans une navette qui effectue un aller-retour sur Terre tous les quatre ans. C’est un job devenu routinier pour lui, jusqu’au jour où la Terre explose et qu’il se retrouve, malgré lui, le dernier représentant de l’espèce humaine encore en vie. U are the Universe est un film ukrainien, et ne peut évidemment pas échapper à une lecture en rapport avec le contexte dans lequel s’est produit le film. L’équipe a décidé de continuer malgré la guerre, malgré de nombreuses mobilisations sur le front et la mort regrettable d’un technicien… Ce contexte donne une gravité toute particulière aux propos sur la solitude existentielle d’Andriy. Le film est profondément sérieux, mais se donne des atours parfois comiques ou plus légers. Andriy est un monsieur tout le monde, il sait sa fin inéluctable. Désabusé sans tomber dans un désespoir paralysant, il décide juste de vivre ses derniers instants du mieux possible en écoutant ses disques préférés, piochant dans les réserves de nourriture pour manger ses plats favoris ou continuer à sculpter ses figurines en pâte à modeler. Son robot de compagnie designé spécifiquement pour lui remonter le moral fait office de comic relief et de support émotionnel à la manière d’un Wilson de Seul au Monde. U are the Universe fait partie de ces pépites magiques qui insufflent une poésie inattendue dans des détails banals. La mélancolie qui imprègne chaque action d’Andriy, qu’un humain exécute potentiellement pour la dernière fois, donne du sens à chaque moment du quotidien. Il y a, hélas, quelques soucis de rythme, le film souffre de temps morts, et quelques interactions sonnent un peu faux au niveau de l’interprétation de l’actrice Alexia Depicker. Les vingt dernières minutes, cependant, sont un point d’orgue émotionnel. Vous n’écouterez plus jamais Voyage, Voyage, ni ne verrez les pigeons de la même manière après ce film. U are the Universe est une pépite d’émotion et d’écriture, un film qui nous remet à notre juste place dans cette infinie finitude à l’origine de toute la mélancolie humaine. 5/5 pour une sortie de séance sous une forme plus liquide que solide.

Cuckoo

Horreur bavaroise écrite et réalisée par Tilman Singer
Avec Hunter Schafer, Jan Bluthardt, Marton Csokas
Distribué par Park Circus

Je garde souvenir de The Cuckoo’s Curse comme d’une de mes pires séances au Grindhouse Paradise. Il faut croire que les coucous portent malheur : Cuckoo est bien plus proche du nanar que de la pépite que je m’attendais à découvrir. Gretchen est une énième ado en crise que l’on croirait écrite par un cinquantenaire qui tente de revivre la sienne. Après la mort de sa mère, elle doit emménager avec son père et sa nouvelle femme, qui sont évidemment peu accueillants, dans un complexe hôtelier au cœur de la forêt, évidemment étrange. Et évidemment, le gérant de ce complexe est louche. Et évidemment Gretchen est la seule à s’en rendre compte, car, ÉVIDEMMENT, les adultes sont tous des imbéciles autour d’elle. La principale qualité — et aussi l’énorme défaut — de Cuckoo, c’est qu’il se prend GRAVE au sérieux, alors même que son concept d’écriture est bancal. La photographie est ultra-léchée, de grands plans contemplatifs essaient de créer une horreur atmosphérique, les personnages sont tous très sérieux dans leurs dialogues et attitudes complètement absurdes. PERSONNE ne réagit de manière un tant soit peu crédible, la suspension consentie de l’incrédulité ne résiste pas au principe de réalité. Le design des créatures qui hantent le complexe hôtelier est risible, le « plan » du grand méchant semble écrit par un enfant de maternelle. Grand plan si mal amené d’ailleurs que le personnage doit nous assommer de monologues pompeux durant le climax pour nous expliquer l’intrigue tant l’histoire ne fait pas sens. Devait-on réellement prendre au sérieux cette histoire de race ancienne, croisement entre les humains et les coucous ? La relation lesbienne que Gretchen développe dans le film est tout aussi stupide : il fallait à priori comprendre que les cinq minutes de dialogue entre Gretchen et une femme random au comptoir de l’hôtel étaient en réalité les prémices d’une passion amoureuse telle que cette femme sera la seule personne à qui Gretchen fera confiance par la suite. Et que dire de Gretchen elle-même, héroïne désagréable, rancunière et méchante, dont le sort nous importe finalement bien peu au vu de son attitude avec son entourage ? Rien à sauver dans cette monumentale purge, qui peut vite devenir nanardesque — et du coup assez fun — si votre cerveau décroche assez. 

Le meilleur a donc côtoyé le pire en cette 4e journée de festival. Rendez-vous demain pour la cinquième et dernière journée ! 

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